Un mois après avoir remporté sa première victoire en SailGP à Cadix, l’équipe de France est de retour samedi et dimanche sur le circuit à l’occasion du Grand Prix de Dubaï. Tip & Shaft s’est entretenu avec Kevin Peponnet, arrivé en début de saison au poste de régleur d’aile.
► Peux-tu nous raconter comment tu as intégré l’équipe de France ?
Ça fait longtemps que SailGP est dans un coin de ma tête. Avec Quentin [Delapierre, le skipper], on faisait chambre commune aux Jeux de Tokyo [lui en 470, Quentin Delapierre en Nacra 17, NDLR], on parlait du circuit et de la manière d’y accéder, on se disait que ça passait uniquement par une médaille olympique. Malheureusement, l’un comme l’autre, on n’y est pas arrivés, du coup, j’ai rempilé sur une préparation olympique avec Aloïse Retornaz. Quentin a de son côté beaucoup poussé pour intégrer l’équipe de SailGP, ce qu’il a réussi à faire. En début d’année, comme l’équipe souhaitait naviguer avec un équipage 100% français et que le régleur d’aile, Leigh McMillan, allait rejoindre le défi anglais pour la Coupe de l’America, un poste s’est libéré. Quentin a pensé à moi et voilà comment je me suis retrouvé embarqué sur la première étape de la saison 3 aux Bermudes, sans avoir jamais mis le pied sur un F50.
► L’idée, au début, était de continuer ta préparation olympique ?
Oui, je voulais combiner les deux, parce que je suis sorti déçu du résultat de Tokyo et que les Jeux à domicile, ça fait forcément rêver, tu ne le vis qu’une fois dans une carrière. Mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas réalisable. Certains le font, mais je me voyais mal m’investir à 100% sur SailGP, qui prend beaucoup de temps entre chaque événement, et mettre l’exigence qu’il fallait pour viser une médaille aux Jeux, car c’était l’unique objectif. En plus, j’ai eu un petit garçon en mai dernier, ça faisait un peu trop. C’était forcément un crève-cœur de faire une croix sur des Jeux à domicile, mais SailGP est vraiment un circuit qui m’attire dans le sens où ça correspond à mon profil d’ingénieur : il y a beaucoup d’analyses de data, le bateau est un bijou technologique, je m’éclate aussi bien à naviguer qu’à essayer de comprendre comment fonctionne un F50.
“La Coupe, j’y crois encore”
► Ce choix était-il aussi dicté par la perspective d’un défi français pour la Coupe de l’America, qui devait s’appuyer sur l’équipe de SailGP ?
Ça a pesé dans la balance, oui, parce que la Coupe m’a toujours fait rêver, le parcours de mon oncle Thierry [médaillé d’or olympique en 470] – qui nous coache d’ailleurs à Dubaï en l’absence de Thierry Douillard – m’a beaucoup inspiré, entre son titre olympique et ses campagnes de Coupe de l’America, c’est lui qui a allumé la flamme. Maintenant, ce n’est pas ce qui a fait basculer ma décision. Je savais que SailGP allait grandir, on passera la saison prochaine de 11 à 15 Grands Prix, puis 20 l’année suivante, ça va largement nous occuper à plein temps. Et si jamais il y a une opportunité de participer à la Coupe, pourquoi pas ?
► Tu y crois encore ?
J’y crois, dans le sens où ce qu’on montre sur SailGP peut faire pencher la balance, on arrive à être performants au milieu des stars de la voile que sont Ainslie, Slingsby, Spithill… Si je me mets à la place d’un investisseur, je me dis qu’il y a du potentiel, je garde donc espoir sur un projet qui, compte tenu du retard qu’il aurait maintenant, participerait à une première Coupe pour être performant sur la suivante, c’est selon moi une stratégie intéressante.
► Raconte-nous comment tu es passé d’un 470 à un F50 volant ?
En ce qui concerne mon poste, ça reste du réglage d’aile, 80% de mon job consiste à maîtriser l’assiette du bateau, c’est finalement assez proche de ce que je faisais avant. Par contre, j’ai mis un peu de temps à maîtriser la bête dans toutes les séquences de manœuvres. Ce qui est le plus impressionnant au début, ce n’est pas tant la vitesse que les G que tu prends à chaque manœuvre. Pour faire un virement volant, le bateau tourne assez sèchement, si tu n’es pas cramponné et gainé, tu te fais vite balader, ça te coupe presque le souffle. J’ai un petit bêtisier à mon actif…
“Un bon pianiste ferait carrément bien
le job de régleur d’aile !”
► Quels sont les outils à ta disposition ?
Pour régler l’assiette latérale du bateau, j’ai une écoute qui règle l’ouverture de l’aile, un joystick pour la tension de chute de l’aile, actionnée par des vérins. Après, j’ai des pédales pour relever les foils et un petit pad avec plusieurs touches pour régler la cambrure de l’aile. Dans certains cas, je peux aussi avoir des actions sur les safrans et le foc, sachant qu’il y a pas mal de commandes dédoublées pour que chaque équipage fasse à sa sauce, mais aussi pour s’adapter quand on réduit le nombre d’équipiers. Je dis souvent qu’un bon pianiste ferait carrément bien le job de régleur d’aile !
► L’équipe de France a remporté à Cadix sa toute première victoire, es-tu surpris de sa progression ?
Disons qu’on n’avait pas forcément coché cet événement, car c’était le premier où il y avait de la mer, des conditions assez nouvelles pour nous, et qu’on a couru la finale à quatre à bord. Ce qui faisait que Quentin endossait en plus le rôle de régulateur de vol, un domaine dans lequel il a beaucoup moins d’expérience que les Américains ou les Australiens qui ont pour certains participé plusieurs fois à la Coupe de l’America. Mais c’est la preuve qu’on sait s’adapter. Après, ça faisait quelques événements qu’on était soit en finale, comme à Copenhague, soit à la porte, comme à Saint-Tropez. Et l’objectif depuis le début de la saison est de terminer dans les trois premiers pour disputer la grande finale à San Francisco. Pour l’instant, on y est, mais les écarts sont extrêmement serrés.
► Vous devenez une équipe à battre ?
A battre, je ne sais pas, mais on se sent plus observés. Après, on n’a pas arrêté de ressasser depuis Cadix qu’il ne fallait pas arriver à Dubaï en roulant des mécaniques. Il faut repartir avec le même état d’esprit, le couteau entre les dents, sans se prendre pour plus forts qu’on ne l’est. D’autant que le plateau est clairement de plus en plus homogène. Sur les six Grands Prix de la saison, il y a eu quatre équipes victorieuses, il n’y a plus l’hégémonie australienne comme avant. Le fait que SailGP propose une mise en commun de toutes les données aide les équipes plus novices à rattraper leur retard en s’inspirant des autres. C’est ce qu’on a fait : les trois-quatre premiers mois, on a bêtement appliqué ce que faisaient les Australiens. Depuis un ou deux événements, on essaie d’innover, je pense qu’on est en train de franchir un petit step.
Photo : Jon Buckle for SailGP