La saison 4 de SailGP s’achève samedi et dimanche par le Grand Prix de San Francisco, qui se terminera par la grande finale entre les trois premiers au classement général. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec Julien Di Biase, le directeur des opérations de SailGP.
▶︎ Quel bilan faites-vous de cette saison 4 qui est sur le point de s’achever ?
C’est un super bilan ! On a réussi à livrer plus d’événements que prévus dans notre plan de développement, on a été dans des villes qui nous ont accueillis au-delà de nos espérances et on a eu une compétition acharnée, avec plusieurs vainqueurs différents (cinq) et une indécision jusqu’au bout pour les trois équipes qui vont disputer la grande finale.
▶︎ L’objectif a toujours été d’avoir une flotte homogène, trois équipes sont cependant bien décrochées, les Etats-Unis (rachetés en cours de saison, ce qui a conduit à un changement d’équipage), l’Allemagne et la Suisse, comment faire en sorte qu’elles soient plus compétitives ?
C’est vrai qu’il y a des équipes qui sont un peu coincées en fin de classement, alors qu’elles sont menées par de très bons skippers, comme Nathan Outteridge, arrivé en cours de saison sur le bateau suisse, ou Erik Heil pour l’Allemagne, qui a un palmarès éloquent en dériveur. Il y a deux questions : la première, c’est de savoir si le reste de l’équipage est au niveau du barreur, la seconde est liée au fait que les équipes n’ont, en dehors des événements, pas de bateau chez elles pour s’entraîner. Donc on essaie de développer des stratégies par rapport à ça. La première, en donnant plus de temps d’entraînement à celles qui ont besoin de combler leur retard ; ensuite, on a développé en interne un simulateur, accessible depuis tout récemment qui leur permet de s’entraîner quand elles ne sont pas sur l’eau. Enfin, on a pour objectif d’avoir un F50 en plus qui pourrait être utilisé uniquement comme plateforme d’entraînement entre les Grands Prix.
▶︎ Vous venez d’annoncer le calendrier de la saison 5, quels sont les prérequis pour accueillir un Grand Prix ?
La stratégie, c’est d’aller autant que possible dans les pays où on a des équipes. Ensuite de trouver des villes où on a de belles conditions de vent mais aussi où la topographie se prête à la tenue de l’événement, donc si possible au cœur d’une ville, avec des régates proches du bord de mer. On en a aussi qui veulent revenir, donc on essaie de signer des contrats de plusieurs années pour asseoir un calendrier plus stable. L’idée serait d’avoir la finale au même endroit chaque saison et de visiter les mêmes villes pour créer une habitude chez les fans. D’ailleurs, on se recale petit à petit sur un calendrier qui suit l’année civile. Pour la saison 5, on profite de la tenue des JO et de la Coupe de l’America pour démarrer plus tard, en novembre, on terminera en novembre 2025, ensuite, on aura ensuite une saison de janvier à novembre avec une pause d’un mois en décembre.
“14 événements, c’est vraiment
un bon résultat”
▶︎ Certains pays, comme le Canada, qui s’en est ému, ou la France, n’auront pas de Grand Prix lors de cette saison 5, pourquoi ? Est-ce pour des raisons financières ?
Nous avions 14 événements pour une vingtaine de propositions de villes. Il a fallu faire des arbitrages difficiles, avec l’objectif à la fois de renforcer les équipes existantes en allant dans leur pays ou d’aller dans des pays où on a le potentiel d’en développer de nouvelles. On a par exemple fait deux régates en Italie, dans le but d’avoir une équipe italienne, ce qui devrait porter ses fruits, puisque c’est l’objectif de Jimmy Spithill, on est en attente de savoir s’il va nous rejoindre. On va aussi au Moyen-Orient parce qu’on voudrait à terme avoir un team de Dubaï ou d’Abu Dhabi. Ensuite, il y a des pays qui ont des équipes et chez qui on n’est jamais allés, comme l’Allemagne et la Suisse, qu’on a donc choisis pour cette saison 5. Même chose pour le Brésil qui lance une équipe et voulait vraiment avoir un événement. Il a donc fallu prendre des décisions. Pour le Canada et la France, ça ne veut pas dire qu’on coupe les ponts, c’est plus un au revoir qu’un adieu, une question de roulement. Quant à la deuxième question, c’est vrai que l’aspect financier est important. SailGP a été créé pour développer un circuit viable financièrement sur le long terme, donc c’est vrai que quand des villes nous financent plus que d’autres, ça joue dans la décision.
▶︎ Combien coûte un événement ?
Ça dépend un peu de ce qu’on prend en compte, mais si on n’inclut pas la production TV, on est entre 3 et 4 millions de dollars (2,75 à 3,70 millions d’euros) par événement. Aujourd’hui, plus de la moitié sont financés par les villes, alors qu’au départ, c’était uniquement SailGP qui payait. On a d’ailleurs calculé que le retour sur investissement pour les villes est de l’ordre de 1 pour 15, en tenant compte de l’impact économique et de la valeur médiatique, ça nous fait un produit vraiment intéressant à proposer.
▶︎ Il y a deux ans, Andrew Thompson, responsable commercial et financier de SailGP, annonçait un objectif ambitieux de 20 évènements pour la saison 5, avec 14, êtes-vous tout de même satisfaits ?
Ça reste un objectif d’avoir une vingtaine d’événements. Mais pour atteindre ce chiffre, il faut d’une part qu’on atteigne une certaine maturité commerciale, car ces événements nous coûtent encore de l’argent, ensuite qu’on repense notre logistique. Il faut qu’on arrive à aller de A à B de manière plus rapide, on travaille aujourd’hui sur la solution. Dans l’attente, 14, c’est vraiment un bon résultat.
“Une franchise vaut au moins
40 millions de dollars”
▶︎ Vendez-vous beaucoup de tickets ?
Ça varie beaucoup d’une ville à l’autre, c’est beaucoup plus dur de vendre des tickets à Dubaï, où il n’y pas d’équipe, qu’à Halifax où le public est vraiment fan. Pour l’instant, le plus grand nombre de tickets vendus, c’est sur le Grand Prix en Nouvelle-Zélande l’année dernière, plus de 13 000 places par jour. D’habitude, c’est plus entre 2 000 et 5 000, ce qui, pour un événement de voile, n’a jamais été fait, mais par rapport à un autre événement de sport, de golf ou de tennis par exemple, ça reste petit. Notre objectif dans les prochaines années est d’aller vers des capacités de stade plus élevées.
▶︎ Et arrivez-vous à tirer des revenus des droits TV ?
Aujourd’hui, la stratégie est avant tout créer l’audience la plus large possible en mettant à disposition un bon produit, plutôt que de le monétiser, c’est le plus gros challenge pour SailGP. On est encore une marque jeune, lancée il y a cinq ans, on est satisfaits des chiffres, mais on est encore dans ce domaine sur une stratégie d’investissement, pas encore sur de la vente.
▶︎ Finissons par les équipes, combien seront au départ de la saison 5 ?
Les jeux sont ouverts. Pour qu’une équipe puisse courir, il lui faut un bateau, on est en train de construire le onzième, mais on n’a pas beaucoup de marge car ça prend beaucoup de temps et qu’on est sans arrêt en train de fournir des pièces de remplacement quand il y a de la casse. Ça veut dire que s’il devait y avoir plus d’équipes candidates que de bateaux, on se retrouverait, comme avec les villes, à devoir faire des arbitrages. Quand on a démarré en 2019, les six premières équipes avaient été financées par SailGP, avec l’objectif de les vendre plus tard. Aujourd’hui, sur les dix, quatre sont encore propriété de SailGP, au moins en partie, à savoir la France, le Canada, l’Espagne et la Nouvelle-Zélande. Elles recherchent activement soit du sponsoring soit un ou des propriétaires pour les prendre en charge financièrement. Ce qui veut dire que si une ou deux équipes veulent rejoindre le circuit et sont entièrement financées, SailGP pourrait leur attribuer le bateau d’une des quatre en question. Il y a forcément de la pression pour elles, mais à un moment donné, il faut couper le cordon ombilical.
▶︎ Ça coûte combien d’acheter une franchise ?
Le prix a pas mal augmenté depuis le début, aujourd’hui, il est de minimum 40 millions de dollars (37 millions d’euros).
▶︎ Combien SailGP investit-il encore sur ses fonds propres ?
Je ne peux pas vraiment donner un chiffre, mais l’objectif, c’est de s’affranchir d’ici la fin de la saison 5 de l’investissement de Larry Ellison, donc d’être à l’équilibre financièrement. Quand on a démarré ce premier cycle de cinq ans, on s’est dit que peut-être, après la saison 5, on se retrouverait à ne gérer que la ligue et non plus des équipes, ce qui nous permettrait d’atteindre cet équilibre financier et de se concentrer sur le développement de la qualité de l’événement. C’était super ambitieux, un vrai pari, mais aujourd’hui, on est sur la voie pour l’atteindre.
Photo : Simon Bruty for SailGP