La première saison de SailGP s’est achevée le dimanche 22 septembre à Marseille par la victoire finale de l’équipe australienne (Tom Slingsby) devant les Japonais de Nathan Outteridge. L’occasion pour Tip & Shaft de faire un bilan global du circuit de F50 lancé par le tandem Larry Ellison/Russell Coutts.
Bilan sportif : deux divisions
Cette saison 1 aura été nettement dominée par les équipes australienne et japonaise, avec avantage aux Australiens qui auront remporté quatre des cinq étapes et surtout la régate finale, synonyme de chèque d’un million de dollars. Une domination sans surprise, dans la mesure où la plupart des navigants des deux teams avaient disputé la 35e Coupe de l’America aux Bermudes en AC50. “On a navigué sur ces bateaux pendant quatre-cinq ans aux Bermudes, donc toutes les équipes qui ont un vétéran à un poste-clé, barreur, régleur, tacticien, ont forcément un plus“, confirme Philippe Presti, coach de l’équipe australienne. “On s’est rendu compte très vite qu’il y avait deux bateaux en Ligue A et quatre en Ligue B, mais parmi ces derniers, nous étions très proches les uns des autres”, ajoute Bruno Dubois, manager de l’équipe chinoise, parvenue in extremis à monter sur le podium final de la saison devant les Anglais, les Français et les Américains.
Reste que, de l’avis de plusieurs observateurs, le « gap » a eu tendance à se réduire au cours de la saison : “Sur l’eau, la différence n’est pas si énorme et je pense que la courbe de performance des Australiens et des Japonais va stagner par rapport aux autres, analyse le Suisse Julien Di Biase, directeur des opérations de SailGP. Ce que confirme Philippe Presti : “Les Anglais ont fait d’énormes progrès qu’ils n’ont pas réussi à concrétiser sur les régates, mais ils sont tout près de nous. A San Francisco, on passe en finale devant eux à un point près, et à Cowes, ils ont gagné les trois manches d’entraînement. Les Chinois ont aussi progressé, ils ont fait des rotations en intégrant un régleur d’aile qui a l’expérience de la Coupe, ça se voit tout de suite en termes de résultats.” Pour Bruno Dubois, “les Anglais et les Américains ont beaucoup progressé au début, de notre côté, nous avons revu notre organisation à bord, et en fin de saison, on arrive à enchaîner les « dry laps » (tours sans toucher l’eau), on fait moins d’erreurs. Résultat : on gagne une manche à six bateaux, proprement.”
Comment combler l’écart qui reste cependant entre les deux divisions en 2020 ? “C’est un problème qu’il faut traiter, sinon on tue dans l’œuf la compétition. On va continuer à donner plus de temps d’entraînement aux équipes autres que les Japonais et les Australiens“, répond Julien Di Biase. Ce qui a déjà été le cas cette année, comme l’explique Tiphaine Turluche, désormais team manager de l’équipe française (elle a succédé à Stéphane Guilbaud après l’étape de San Francisco) : “On a eu un jour en plus à New York, quatre à Cowes, deux à Marseille, on devrait aussi avoir plusieurs semaines d’entraînement en Nouvelle-Zélande en janvier.”
L’équipe française a aussi fait appel en cours de saison à des « data scientists » qui l’ont aidée à analyser les innombrables données transmises par les capteurs installés un peu partout sur les F50. Ce qui fait dire à Tiphaine Turluche, au moment de dresser le bilan de l’année : “Nous finissons sur une note hyper positive avec notre première victoire sur la dernière course en flotte [manche sans les Australiens et les Japonais, NDLR]. Pour nous, ça veut dire beaucoup, parce que depuis Cowes, nous avions mis un fort accent sur la performance et l’analyse de données, ça permet de passer un cap.”
Bilan organisationnel : des événements qui trouvent leur public, des partenaires à trouver
Julien Di Biase le reconnaît : au moment d’attaquer la première saison de SailGP, ses organisateurs partaient dans l’inconnu, notamment en ce qui concerne l’accueil populaire qu’allait recevoir ce circuit monté de toutes pièces par le duo Larry Ellison/Russell Coutts. Le bilan de la fréquentation ? “En moyenne, on a eu entre 20 000 et 40 000 spectateurs, et en ce qui concerne la billetterie, de 500 à 2000 tickets vendus par jour. On n’a pas voulu lancer des programmes trop ambitieux, on a toujours essayé de sonder le marché et d’ajuster l’offre pour essayer de faire le plein. L’objectif n’était pas de faire du volume sur cette première année.”
Pour ce qui est de la dernière étape de la saison à Marseille, Stéphanie Nadin, directrice de l’événement, évoque “16 000 personnes sur les trois jours et environ 4 500 places vendues”, avec une offre qui a été progressivement adaptée. Ce que confirme Yannick Perrigot, patron de l’agence Disobey (ex Windreport), en charge notamment de la promotion de l’événement : “On a beaucoup discuté avec les organisateurs en essayant de leur faire comprendre que Marseille, ce n’était ni Cannes ni Saint-Tropez, et qu’il fallait peut-être baisser un peu le niveau de service pour faire quelque chose de plus populaire et à des prix plus accessibles. C’est pour ça qu’on a abouti, à la fin, à des tickets à 25 euros.”
Le coût d’un événement SailGP ? “4 millions de dollars“ (3,65 millions d’euros), répond Julien Di Biase, financés intégralement par SailGP. Auxquels il faut ajouter, en tout cas pour Marseille, les partenariats avec les collectivités publiques, en quasi-totalité des aides en nature : “Tout cumulé, ces aides équivalent à environ 500 000 euros”, précise Stéphanie Nadin. “C’est un modèle économique qui repose sur des financements privés, comme pour la Formule 1, et non sur l’argent public, se réjouit Didier Réault, adjoint au maire de Marseille, délégué à la mer (entre autres). Si nous n’avons pas versé le moindre euro en cash, nous avons en revanche fourni une aide logistique et administrative, mais aussi mis à disposition des espaces qui nous appartiennent.”
Entre les six équipes à financer (5 millions de dollars par équipe, soit 4,57 millions d’euros) et les événements à organiser, le circuit SailGP coûte donc… 50 millions de dollars par an à Larry Ellison (soit environ 54,7 millions d’euros). Mais l’objectif, à terme, est que l’investissement diminue drastiquement, d’où la recherche de partenaires pour soutenir le circuit. Rolex, “pour plusieurs millions d’euros”, dixit Julien Di Biase, s’est engagé le premier, suivi par Land Rover et Oracle, la société de Larry Ellison. A terme, également, les six teams vont devoir trouver leurs propres partenaires. Où en sont-elles à l’issue de cette première saison ? “Aujourd’hui, nous n’avons pas de sponsors en dehors de Sail Racing, notre équipementier. Mais tant que les gens ne voyaient pas les courses, il était difficile de réellement les intéresser au circuit. L’étape de Marseille a été un vrai plus pour nous et on commence à avoir des pistes sérieuses”, explique par exemple Tiphaine Turluche, qui compte renforcer rapidement l’équipe commerciale, aucun team n’ayant à ce jour convaincu des partenaires autres que des fournisseurs.
Le temps presse pourtant. Si SailGP avait au départ évoqué une garantie sur cinq ans, il semble que ce ne soit plus vraiment le cas : “Il y a une certaine pression pour que les équipes trouvent des partenaires commerciaux rapidement. C’est plus qu’un objectif, c’est un pré-requis : celles qui ne vont pas trouver de financement vont mourir. Larry Ellison est fan de voile, mais il ne fait pas SailGP pour la beauté du geste, l’objectif est d’aboutir à un circuit économiquement pérenne”, confirme Julien Di Biase. Combien de temps la patience du milliardaire américain durera-t-elle ? “Les équipes qui n’ont pas de partenaires à la fin de la saison prochaine vont être en difficulté“, répond le Suisse.
2020 : une nouvelle équipe et une étape en Chine ?
La saison 2020 débutera, comme cette année, fin février et à Sydney. Les autres étapes seront prochainement annoncées. “Idéalement, on va essayer de revenir dans les mêmes villes pour construire sur l’expérience de cette année et ajouter la Chine“, précise Julien Di Biase. Ce que confirme Bruno Dubois, team manager de l’équipe chinoise : “On travaille effectivement sur l’organisation d’une étape, mais à ce stade, on ne sait pas encore où.” Marseille devrait donc être sans doute encore de la partie : “La dynamique est déjà là et la ville est partante [ce que nous a confirmé Didier Réault], tous les feux sont au vert”, commente Stéphanie Nadin.
Une seconde nouvelle étape pourrait avoir lieu l’an prochain en Scandinavie, car se profile une septième équipe, suédoise ou danoise d’après nos informations, un septième F50 étant en fin de construction chez Core Builders en Nouvelle-Zélande. “Il y a plusieurs discussions en cours, mais rien n’est encore signé, commente Julien Di Biase. Car on ne prendra une nouvelle équipe que si elle est auto-financée.” Ce qui signifie qu’un nouvel entrant devra arriver avec son propre budget, l’objectif étant chaque année d’avoir une équipe et un événement de plus. “Cette saison était la première marche d’un chemin qui va être assez long. Notre vision, c’est dix équipes et dix événements, on veut faire la Formula E des mers, on ne l’est pas du tout aujourd’hui”, conclut Julien Di Biase.
Photo : SailGP