Team manager de Dongfeng Race Team lors de la dernière Volvo Ocean Race, Bruno Dubois reste sous pavillon chinois puisqu’il occupe des fonctions identiques à la tête de l’équipe chinoise engagée à partir de l’an prochain sur le nouveau circuit SailGP, dont la composition a été dévoilée la semaine dernière. L’occasion d’évoquer ce nouveau projet et les autres pour Tip & Shaft.
Comment t’es-tu retrouvé à la tête du SailGP China Team ?
A la fin de la Volvo Ocean Race, Russell Coutts m’a appelé pour me demander si j’étais intéressé pour tenir le même rôle qu’avec Dongfeng pour l’équipe chinoise de SailGP. J’ai réfléchi un peu et nous sommes assez vite tombés d’accord. Ça fait plaisir de pouvoir continuer avec une partie de équipe Dongfeng, avec des moyens pour faire les choses bien.
Comment s’est opéré le choix du skipper Phil Robertson ?
Phil Robertson représente la Chine en match-racing depuis six ans avec China One Ningbo. Et tout comme nous avec Dongfeng, il a gagné pas mal de courses sous les couleurs de ce pays. Russell m’a demandé en juillet si j’étais d’accord pour le rencontrer et ensuite, tout s’est fait très rapidement. Entre le match racing et les Extreme Sailing Series, il a fait les bonnes classes pour ce nouveau circuit et il va disputer en parallèle le circuit de SuperFoiler en 2019 afin de continuer l’entraînement.
Avez-vous déjà navigué sur le F50 ?
Oui, nous avons été les premiers à naviguer sur le nouveau bateau en Nouvelle-Zélande. Pendant 15 jours, nous avons partagé le bateau des Américains. Toutes les équipes vont ainsi tourner jusqu’en décembre, c’est un système comme sur la Volvo avec un service technique central, chaque team ayant ensuite sa propre équipe technique pour l’entretien des F50 qui sont entièrement monotypes. Les bateaux ont été complètement refaits, il n’y a plus d’hydraulique pour monter et descendre les dérives, tout passe par un système de batterie électrique ; les nouveaux foils sont très stables et ressemblent plus à ceux qu’avait Team New Zealand. A bord, il y a un barreur, deux grinders, un pilote qui s’occupe du contrôle de la hauteur et un régleur d’aile. Il n’y a pas vraiment de tacticien car les courses vont être beaucoup plus courtes que sur la Coupe, elles ressembleront à ce qu’on voit sur les Extreme Sailing Series en GC32, ce sera plus du sport de combat que du match-racing !
Quels sont les moyens de l’équipe et qui les prend en charge ?
C’est Larry Ellison qui paie pour les six équipes. Son plan est de lancer la série ans un premier temps, donc il se porte garant de tout pour trois à cinq ans, l’objectif étant de créer de la valeur pour vendre ensuite du sponsoring sur chaque bateau. Mais les équipes ne porteront pas de nom commercial. Chacune a le même budget de fonctionnement de 5 millions de dollars, qu’elles gèrent à leur manière. Nous, par exemple, on a besoin d’avoir plus de marins chinois, parce la règle de nationalité impose dans un premier temps d’avoir 40% de l’équipage chinois, soit deux l’an prochain, puis trois en 2020 et quatre en 2021. Ce qui signifie qu’il y a un vrai travail de développement à mener qui nécessite de recruter des étrangers pour former et coacher des navigants chinois. Ensuite, nous sommes en train de créer une académie en Chine, avec un Flying Phantom, l’accès à l’AC45 d’Oracle, des Moth… Et nous avons aussi pour objectif d’accueillir un Grand Prix en 2020.
Le fait d’avoir des Chinois à bord moins aguerris à ce style de navigation limite-t-il vos ambitions ?
Non, c’est comme pour la Volvo ! J’ai entendu pendant cinq ans que c’était très difficile de gagner la Volvo avec des marins chinois… et tu as vu le résultat à La Haye. Donc, nous partons avec les mêmes ambitions, Phil Robertson est champion du monde de match-racing et de M32, il ne vient pas pour faire une école de croisière, il a des objectifs élevés.
Avec ce nouveau projet, la page de Volvo Ocean Race est-elle tournée pour toi avec Dongfeng ?
Aujourd’hui, je suis à 100% là-dedans, j’ai un contrat de trois ans avec SailGP, mais j’aimerais bien essayer de refaire la Volvo un jour. Pour la prochaine, je ne sais pas. L’objectif du projet Dongfeng était basé sur deux campagnes, la première pour regarder, la deuxième pour gagner, et ils ont atteint leur but. Ils sont allés au bout de leur logique et on sait qu’aucun sponsor vainqueur n’est revenu sur cette course. Maintenant, ils sont en train de réfléchir à leur politique de marketing et de sponsoring. La dernière fois, ça a pris un an, donc on verra.
Te verrais-tu cumuler les deux casquettes de team manager sur la Volvo et SailGP ?
Je l’ai un peu fait entre la Coupe et la Volvo, c’est très très difficile. Je ne ferme la porte à rien mais je suis super content de ce que je fais, ça fait du bien de voir autre chose. Et si j’ai un autre truc à faire, c’est donner un coup de main à Jack Bouttell [numéro 1 sur Dongfeng et son gendre, NDLR] pour finaliser son budget pour le prochain Vendée Globe.
Justement, peux-tu nous parler de ce projet et du bateau, l’ex Spirit of Canada ?
Jack a ramené le bateau du Canada à Lorient, il attend quelques réponses pour attaquer le refit cet hiver, mais il devrait être prêt pour participer au programme Imoca à partir du printemps 2019. Pour l’instant, la priorité est d’alléger le bateau au maximum, l’objectif étant d’abord qu’il puisse jouer avec les bateaux à dérives.
Tu es associé comme d’autres aux réflexions sur la jauge équipage Imoca de la Volvo Ocean Race, quel est ton avis ?
Chacun a son idée de ce qui serait le mieux comme bateau, c’est intéressant. Tout dépend en fait de l’objectif principal. Moi, mon rêve serait de faire un Imoca pour la Volvo en 2021 qui pourrait ensuite faire le Vendée Globe en 2024 puis la Volvo suivante. Au niveau financier et amortissement, c’est pour moi l’idéal. Mais d’autres voudront faire le contraire, ce sont les deux scénarios qui vont se présenter.
Restes-tu en contact avec Franck Cammas pour un projet Coupe de l’America ?
Franck a essayé tout ce qu’il pouvait pour engager la France dans la prochaine Coupe de l’America, mais c’est très compliqué de trouver entre 80 et 110 millions d’euros ici. Parce qu’il ne faut pas rêver : en-dessous de ça, à moins peut-être de s’appeler Team New Zealand et d’avoir 25 ans d’expérience ininterrompue de la Coupe, ça sera très difficile de performer. En France, il est encore plus compliqué de s’inscrire dans la durée, parce qu’il y a plein d’offres au niveau du sponsoring, il suffit de regarder la Route du Rhum ! En Angleterre, il y a très peu de sponsors, à part Ineos pour la Coupe de l’America et Hugo Boss en Imoca.
A propos de la Route du Rhum, que t’inspire la performance d’Alex Thomson en Imoca, malgré sa pénalité de 24 heures ?
J’ai lu récemment les pronostics dans Tip & Shaft et j’ai rigolé : personne ne parlait d’Alex Thomsonalors qu’il est trois classes au-dessus de tout le monde avec son bateau qu’il connaît par cœur ! Mais celui que je mets au-dessus du lot, c’est Paul Meilhat. Arriver à tenir la dragée haute aux autres Imoca alors qu’il n’a pas de foils – même si certains ont sans doute des problèmes techniques – c’est impressionnant.
Un dernier mot sur la récente élection du marin de l’année par World Sailing : Dongfeng a été désignée équipe de l’année, Marie Riou et Carolijn Brouwer ont également distinguées, mais pas Charles Caudrelier…
Je pense que c’était politiquement très difficile pour World Sailing de donner tous les prix à Dongfeng. Et ce n’est pas dans la politique de la maison d’élire des marins qui ne font pas partie du milieu olympique. Après, gagner le titre comme équipe, c’est quand même un message fort envoyé, d’autant que ça tombe au moment où la course au large arrive aux Jeux Olympiques. Maintenant, je suis un peu déçu pour Charles, parce que, quelque part, c’est lui qui a choisi Carolijn et Marie, c’est lui qui a mené l’équipe à la victoire. Alors ce trophée, il le reçoit aussi pour lui et il est fier pour Dongfeng.
Une équipe à dominante Dongfeng Race Team. Dirigée Bruno Dubois, l’équipe de China SailGP est composée en majorité d’ex-membres de Dongfeng Race Team, puisqu’on y retrouve entre autres Jean-Sébastien Chenier Proteau (opérations), Graham Tourell (shore management), Benjamin Schwarz (électronique et systèmes), Cyrille Douillet (performance), Neil Maclean (préparateur physique), les navigateurs chinois Horace (Chen Jinhao), Black (Xue Liu) et Leo (Liu Ming). A ceux-là, s’ajoutent Phil Robertson (skipper) et James Wierzbowski (contrôleur de vol), qui viennent de l’équipage de China One Ningbo, engagés sur le World Match Racing Tour, Elise Bakhoum (gréement) et Thomas Le Breton, tous deux ex de Groupama Team France, le navigant britannique Ed Powys (ex Land Rover BAR).