Sixième des deux Grands Prix qu’elle a disputés jusqu’ici, à Sydney et Los Angeles la semaine dernière (victoire du Canada), et au classement général de SailGP, l’équipe de France est de nouveau sur le pont ce week-end pour l’Oracle San Francisco Sail Grand Prix. L’occasion d’échanger avec son manager, Bruno Dubois, par ailleurs codirecteur avec Stephan Kandler de K-Challenge et d’Orient Express Racing Team.
Quel est ton regard sur les résultats de l’équipe de Quentin Delapierre, on n’imagine que ce ne sont pas ceux que vous visez ?
Non, ce n’est pas ce qu’on vise, mais il faut qu’on puisse avoir un bateau en ordre de marche. Pour l’instant, tout a été un peu à l’arrache, particulièrement à Sydney où on n’a même pas pu s’entraîner, on a fait le commissioning du bateau [dernier F50 construit, NDLR] pendant les régates. C’est comme si tu construisais un bateau pour le Vendée Globe et que tu le mettais à l’eau le jour du départ, tu sais que quelque chose ne va pas marcher, surtout que sur ces F50, il y a énormément d’électronique et d’hydraulique. Le premier jour, ça a été, mais le dimanche, on a commencé à avoir des problèmes techniques qui nous ont fait perdre des places, donc cette sixième place nous allait. A Los Angeles, on a aussi eu des problèmes techniques, cette fois avec les foils, on avait encore une quinzaine de personnes sur le bateau dix minutes avant le départ. On arrive quand même à faire une première journée pas trop mal, on gagne la dernière manche, et le lendemain, on se retrouve dans des conditions jamais vues, à savoir le vent qui tombe alors qu’on avait des petits foils, on n’a pas réussi à faire décoller le bateau. La seule équipe qui avait fait tous les tests avec ces foils dans ces conditions, c’est le Canada, ils avaient navigué trois semaines l’an dernier, ce qui explique en partie leur victoire. Finalement, avec cette sixième place au général, on n’est pas trop mal – on est d’ailleurs dans une meilleure position que les deux années précédentes à la même époque -, il y a quand même du beau monde devant nous, des vainqueurs de la Coupe de l’America et des médailles d’or aux Jeux, mais ce n’est pas suffisant. On a gagné beaucoup de départs, on a le truc dans la brise, il va falloir trouver des solutions dans le petit temps.
Dans le même temps, vous venez d’annoncer l’arrivée d’investisseurs et de partenaires importants, Kylian Mbappé puis L’Oréal, l’équipe est-elle aujourd’hui complètement vendue et financée ? Et combien est-elle valorisée ?
Kylian Mbappé a effectivement rejoint un groupe d’investisseurs, dont font partie K-Challenge et d’autres partenaires sponsors, ce qui fait qu’aujourd’hui, 75% de l’équipe a été vendue. Il en reste 25%, sur le point de l’être à un groupe d’investissement dans le sport, ce qui veut dire que la propriété sera très bientôt à 100% indépendante de SailGP. Pour ce qui est de la valorisation, elle était de 60 millions de dollars avant la vente, maintenant qu’on a Kylian Mbappé et d’autres investisseurs, ça va forcément monter. Au niveau budget, K-Challenge a la licence d’opération et fait tourner l’équipe avec environ 8 millions d’euros par an, un budget assuré aujourd’hui par nos partenaires, Accor, L’Oréal, K-Way et Leyton. Donc c’est clair qu’on est plus relax côté finances, on n’a plus cette épée de Damoclès au-dessus de la tête qui nous dit que si on ne trouve pas de sponsoring, on va être remplacé par une autre équipe. Au début de SailGP, ce n’était pas trop un problème, mais au fur et à mesure, avec les franchises qui étaient à vendre et des gens qui arrivaient avec des moyens énormes pour acheter une équipe, on sentait une pression de plus en plus forte. Donc on est plus relâchés, c’est en tout cas la preuve que Russell (Coutts, le patron du circuit) a réussi son pari de faire rentrer SailGP dans une autre dimension. J’ai des gens qui viennent de l’America’s Cup et sont aujourd’hui sur le circuit qui me disent qu’ils n’imaginaient absolument pas la machine sportive qu’est devenu SailGP. Quand on est sur place, on sent la force de frappe du truc, ce qui explique que de plus en plus de gens veulent investir. D’ailleurs, certains voulaient acheter l’équipe de France, nous, on souhaitait garder une forme d’indépendance avec des investisseurs qu’on connaissait, c’est génial d’avoir réussi à le faire.
Le circuit peut-il encore grossir ?
Oui, je pense que Russell va faire encore entrer quelques équipes, jusqu’à quinze. Pour ce qui est du nombre d’événements, on n’ira sans doute pas beaucoup plus que 12-15 événements, c’est une très grosse logistique.
“On nous regarde
d’une manière différente”
C’est le groupe Accor, avec lequel il a un partenariat, qui a fait le lien. De notre côté, après avoir travaillé avec Energy Observer, on cherchait une nouvelle fondation partenaire de l’Impact League, plutôt sur un volet sociétal. Ce qui était le cas de celle de Kylian (Inspired by KM) qui vise à accompagner 98 jeunes dans leurs projets, qu’ils soient universitaires, sportifs, professionnels ou autres. Donc on a trouvé un accord là-dessus, dans le sens où il a acheté une partie de l’équipe et nous, on a pris sa fondation comme association partenaire pour l’Impact League. Sa maman et son équipe sont venues en fin d’année dernière à Dubaï, ils ont bien aimé l’équipe et Quentin et let’s go ! On espère bien avoir Kylian sur un Grand Prix, on sait qu’avec des stars comme ça, que ce n’est pas facile à organiser, mais c’est prévu, on essaiera de le faire naviguer.On ne vous regarde plus de la même façon, désormais ?
La relation avec SailGP a forcément changé quand on a annoncé qu’on rachetait 75% de l’équipe. Quand en plus derrière, tu as Mbappé qui vient, puis, deux jours plus tard, L’Oréal, c’est sûr qu’on nous regarde d’une manière différente. Russell et ses équipes nous disent aussi merci, tout le monde y gagne et pour l’ensemble de la voile, c’est un truc assez énorme. On a eu des retombées médias très importantes, particulièrement à l’international, on a par exemple eu une page dans le Time. Pour faire parler de l’équipe, c’est super, c’est vraiment ce que les sponsors recherchent.
Et comment avez-vous conclu avec L’Oréal ?
Après la Coupe, on leur a demandé s’ils étaient intéressés à l’idée de continuer avec nous. Quand ils ont vu que les choses bougeaient, ils nous ont dit qu’ils souhaitaient repartir, avec SailGP dans un premier temps. Ils remettent le pied à l’étrier avec un partenariat sur trois ans, on verra ensuite comment on peut faire fructifier tout ça, sachant qu’on veut s’inscrire dans du long terme avec eux.
“Cette fois-ci, on ne pourra pas nous dire
qu’on est partis en retard”
On a gardé le noyau de l’équipe, on a fait rentrer Philippe Mourniac comme coach principal, Camille Lecointre nous a aussi rejoints, on va annoncer des trucs dans les semaines à venir sur les projets jeunes et filles, on regarde un peu tous les circuits. L’idée est de créer une équipe complète, qu’elle ne se cantonne pas aux 6-7 marins qu’on a aujourd’hui.Passons maintenant à la Coupe de l’America, quel bilan avez-vous fait de la campagne d’Orient Express Racing Team sur la 37e édition ?
Il y a du bon et du pas bon, s’il n’y avait que du bon, on aurait été en finale ! Le jour où on a décidé de prendre le design package de Team New Zealand, on savait qu’on aurait un bateau qui allait arriver tard et très peu de navigations. On espérait s’en sortir, on a eu des petits signes qui nous disaient que ça pouvait le faire, mais ce qui est important dans l’America’s Cup, ce n’est pas nécessairement le bateau comme tel au moment de la mise à l’eau, mais la capacité de le développer. Et là, on n’avait ni les ressources ni le temps pour le faire correctement. Maintenant, on a monté ce projet dès le début avec l’objectif de faire au moins deux éditions, on est aujourd’hui dans la préparation de la 38e, on a le désir d’y aller, même si ce n’est pas encore défini parce qu’il faut les moyens de le faire. Le fait d’investir dans SailGP, donc de pouvoir conserver toute notre équipe, de s’installer à Lorient, de développer des projets en parallèle, va dans ce sens, certaines équipes de la Coupe n’arrivent pas à le faire. Cette fois-ci, on ne pourra pas nous dire qu’on est partis en retard. Côté sportif et technique, on est prêts à démarrer dès que le Protocole sera annoncé, on saura tout ce printemps.
Et au niveau des partenaires, ceux de la précédente campagne, notamment ceux qui vous accompagnent sur SailGP, vont-ils suivre ?
Absolument rien n’est décidé actuellement. La seule chose qu’on sait, c’est qu’on a un bateau, l’équipe, les outils pour le faire. On est propriétaires de tout, on repart donc dans de meilleures conditions pour boucler un budget, avec une Coupe qui va venir très vite, puisqu’il y aura sans doute des événements en 2026.
Photo : SailGP