L’équipe française de SailGP a annoncé lundi le remplacement de son skipper Billy Besson par Quentin Delapierre, une décision prise à l’issue du dernier Grand Prix de Saint-Tropez que les Bleus ont terminé au dernier rang. Manager de l’équipe, Bruno Dubois s’explique pour Tip & Shaft.
► Quand et pourquoi as-tu pris cette décision ?
Elle a été prise après Saint-Tropez. Billy a toujours dit qu’il voulait être jugé sur ses résultats, on a fini quasiment derniers en 2019 (5e sur 6), en 2020, on n’a fait qu’un événement (à Sydney), on a fini derniers, et là, on est derniers. Même si on a progressé et qu’on a fait deux podiums, on a eu des mauvais résultat à Aarhus, à Taranto, puis à Saint-Tropez, on ne peut pas laisser l’équipe de France comme ça. Billy est un très bon coureur, je ne remets absolument pas ça en cause, mais quand on voit qu’on n’a pas les résultats que l’on veut, c’est très souvent le capitaine qu’on change. Je sais que c’est violent, mais les gens sont prévenusen début de saison que SailGP peut prendre des décisions unilatérales et très rapides.
► On n’est peut-être moins habitué à vivre ça dans la voile…
(Il coupe) J’entends certains parler de sport-business, mais le Vendée Globe, la Route du Rhum, c’est aussi du sport-business, c’est de la voile avec des sponsors et quand ça ne va pas, on change. On a déjà vu des changements dans des grandes équipes en France, ce n’est pas une manière de faire anglo-saxonne.
► Pourquoi cette décision à ce moment et pas en fin de saison ?
Parce que c’est maintenant qu’il faut investir pour la suite. Cette saison est mal embarquée, alors qu’on avait pour objectif de terminer dans le top 3, il faut préparer la suivante. Si on n’avait fait rentrer Quentin (Delapierre) que sur le premier événement de la saison, 3, il aurait eu un wagon de retard, donc c’était nécessaire de le faire venir plus tôt. J’ai expliqué la situation à Russell (Coutts, patron du circuit SailGP) qui m’a dit que s’il fallait changer, il fallait le faire maintenant.
“Quentin est un jeune
qui a la tête bien faite”
► Pourquoi Quentin Delapierre ?
C’est quelqu’un que je suis depuis un an et demi. J’ai l’habitude de me renseigner autour de moi pour voir comment ça se passe, donc j’ai consulté des personnes qui ont travaillé avec lui ou l’ont conseillé ces derniers mois. Nous sommes plusieurs à avoir vu comment il avait géré sa campagne olympique en arrivant très tard en Nacra 17, comment il a réussi à se positionner sur des gros bateaux (avec Sodebo), comment il communique, c’est un jeune qui a la tête bien faite. Il a aussi de très bons contacts avec de très bons sponsors.
► Il va se retrouver d’entrée dans le grand bain, puisque le prochain Grand Prix est la semaine prochaine à Cadix, ce n’est pas trop juste pour se retrouver à la barre d’un F50 ?
Avec François Morvan et Leigh McMillan (régleurs de vol et d’aile), ils ont déjà pris la machine en main en faisant du simulateur en Angleterre. Et comme les Espagnols avaient prévu de naviguer la semaine prochaine, avec les Suisses également (en vue de la saison 2022 pour ces derniers), on eu la chance d’avoir l’autorisation de naviguer toute la semaine, on aura un encadrement pour ça, avec Thierry Douillard, mais aussi Jimmy Spithill (skipper du bateau américain) qui, comme il avait prévu d’entraîner un jeune, a proposé à Quentin de venir sur le bateau avec lui le mercredi.
► Quel va être l’objectif de la seconde partie de saison ?
Il nous reste trois événements, l’objectif est d’aider Quentin à prendre la machine en main du mieux possible. La chance qu’on a, c’est qu’on a une équipe qui tourne très bien, ça va être plus facile pour lui d’arriver dans cette équipe que s’il avait eu à en créer une de toutes pièces, comme Billy a dû le faire au début. Il faut maintenant qu’une connivence se crée, l’objectif sera de montrer de belles choses à San Francisco (dernier événement de la saison 2 en mars 2022).
“Ce que nous proposons depuis 3 ans
n’intéresse pas les sponsors”
► Pour revenir à Saint-Tropez, en plus de l’enjeu sportif, y avait-il un enjeu d’image important, sachant que vous êtes en quête de partenaires ? Comment s’est passé ce week-end pour vous ?
Le travail avec nos prospects a été très bon, mais le résultat n’a pas été à la hauteur de ce qu’on aurait aimé. Et c’est sûr que quand vous vous retrouvez avec des sponsors potentiels que vous voulez convaincre de vous rejoindre, le fait de terminer derniers, surtout en sortant des « boundaries » (limites du plan d’eau) ou en prenant des pénalités à tout-va, positionne l’équipe de France dans une zone qui n’est pas très confortable.
► Parlons de budget justement : où en est l’équipe dans sa quête de partenaires, sachant que Sail GP souhaite désormais que les équipes s’auto-financent ?
Nous avons eu énormément de rendez-vous, mais pour le moment, aucun sponsor ne s’est engagé à nous rejoindre. Aujourd’hui, il y a des pays qui frappent très fort à la porte pour venir et récupérer des bateaux existants ; c’est de notre responsabilité, si on veut être sur l’eau lors de la saison 3, de performer sur l’eau, mais aussi au niveau commercial, et de proposer quelque chose qui va intéresser les sponsors. Malheureusement, il est clair que ce que nous proposons depuis trois ans n’intéresse pas les sponsors.
► Pourquoi ?
En général, les sponsors n’expliquent pas pourquoi ils ne veulent pas signer, c’est à nous d’essayer de le deviner. Je pense qu’il faut qu’on arrive à montrer un autre visage, peut-être celui de la jeunesse.
“Pour le moment,
on est dans l’échec”
► T’attendais-tu à ce que ce soit si difficile ?
Je savais très bien dans quoi je m’engageais et que ça allait être compliqué. Ça l’avait déjà été avec Franck Cammas sur la Coupe de l’America aux Bermudes, on est un peu sur un réseau identique, avec le même style de bateau et un circuit international, je ne suis pas surpris. Maintenant, j’ai été engagé pour obtenir des résultats et si je n’y arrive pas, ce sera un échec. Et pour le moment, on est dans l’échec.
► Y a-t-il une dead-line pour arriver à se financer ?
Larry Ellison a toujours été clair, en disant qu’il était prêt à aider le circuit pendant cinq ans, mais aujourd’hui, il y a des équipes qui commencent à rentrer du financement, soit en sponsoring, soit via des rachats de la franchise, c’est aussi notre objectif. On voit que des nouvelles arrivent aussi [les entrants doivent être obligatoirement financés, NDLR] : après les Suisses, il va y avoir des annonces dans quelques jours. Je sais qu’on a le soutien de Larry Ellison pour continuer à travailler, mais il ne faut pas se mettre les doigts de pieds en éventail en attendant.
► L’équipe de France est-elle assurée de naviguer lors de la saison 3 ?
Non. Et il n’y a pas que la France qui est concernée d’ailleurs, toutes les équipes qui ne sont pas financées sont dans le même cas.
Billy Besson : “Une grosse surprise”
Interrogé par Tip & Shaft, Billy Besson raconte son éviction : “Bruno m’a appelé après le week-end de Saint-Tropez pour m’annoncer que j’étais viré [il le sera officiellement fin d’octobre au terme d’un préavis, NDLR], je lui ai demandé les raisons, je n’ai pas eu beaucoup de réponses. J’ai ensuite demandé à Russell (Coutts) d’avoir un rendez-vous pour clarifier la situation. Je lui ai dit que si j’étais jugé comme ça sur mes performances sportives, il faudrait que ce soit pareil pour tous les autres, que je ne sois pas le seul à en pâtir. Je ne le sentais pas du tout venir, ça a été une grosse surprise… Il y a tout le temps de la pression sur ce circuit, donc avant Saint-Tropez, je n’avais pas de signes avant-coureurs. Pour ce qui est des résultats, on est certes derniers au général, mais on a aussi fait deux podiums, les deux seules autres équipes à l’avoir fait cette saison sont les Espagnols et les Anglais. C’est une déception, mais on va faire avec, j’ai eu d’autres coups durs dans ma carrière, et comme dirait un boxeur, celui qui gagne est celui qui arrive à encaisser le plus.”
Photo : Ricardo Pinto for SailGP