Le départ de la 12e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe sera donné dimanche à 13h02 à Saint-Malo. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec Hervé Favre, le président d’OC Sport Pen Duick, l’organisateur de la transat en solitaire.
► Que t’inspire la vue des bassins avec 138 bateaux et une foule très nombreuse depuis l’ouverture du village le 25 octobre ?
On est forcément très contents, c’est le résultat de trois ans de travail, c’est hyper agréable de voir que le rendu est à la hauteur des espérances. On a essayé d’améliorer l’expérience des visiteurs en faisant un village plus grand, mais pas forcément plus construit, on est passés de 50 000 à 70 000 m2, mais on n’a construit que 1 500 m2 en plus pour avoir plus d’espace et faire en sorte que la circulation soit plus harmonieuse.
► Peux-tu nous donner des chiffres de fréquentation ?
Aujourd’hui, nous sommes à environ 100 000 personnes par jour, on sera au final assez proches du total de la dernière fois, 1,3 million, à ceci près que notre système de comptage est beaucoup plus précis qu’il ne l’était il y a quatre ans.
► On entend certains visiteurs ou observateurs parler de “Disneyland”, qu’est-ce que ça t’inspire ?
C’est toujours facile de trouver des gens pour critiquer, pour dire que c’était mieux avant, mais on est plutôt fiers de notre village, on assume ce monde et il y a une très bonne ambiance. On essaie de garder la magie du Rhum, on ne met pas des animations payantes partout, le centre du village reste les bateaux et on a rajouté des points de rencontre entre le public et les skippers, en organisant notamment des parades et en scénarisant le passage des écluses. On peut considérer que c’est Disneyland, mais notre Disneyland, c’est de créer ce contact entre les skippers et le public, c’est ce que les gens recherchent en venant à Saint-Malo.
“On constate une dichotomie entre
ce qui se passe ici et certains articles”
► Comment prends-tu les articles du Canard Enchaînéou du Monde, qui évoquent notamment la démesure de la course ?
C’est hyper satisfaisant, on n’avait jamais été dans Le Canard Enchaîné (sourire)… C’était un article extrêmement mal documenté, tout était mélangé, ils parlent d’un chiffre d’affaires de 128 millions alors que ce sont les retombées médias de la dernière édition. On constate une dichotomie entre ce qui se passe ici et certains articles. Ça ne fait pas plaisir de lire ça, mais on n’a pas voulu répondre pour ne pas faire gonfler la polémique.
► L’article du Monde parle de “privatisation de l’espace public”, avec la hausse de la taxe imposée aux bateaux à passagers de 15 à 30 euros par personne et la mise en place d’un pass coupe-file sur le village à 6 euros, qu’en penses-tu ?
Pour ce qui est des prix sur les bateaux, c’est vrai qu’on les a augmentés, mais il faut comprendre que les sociétés qui font commerce de l’événement prétendent ne rien nous verser. S’il n’y avait pas la Route du Rhum, elles ne loueraient pas leurs bateaux à ces prix-là pour aller compter les oiseaux au cap Fréhel. Par rapport à un billet qu’elles vendent en moyenne 250 à 300 euros, on n’est pas à 50% du prix ! Et contrairement à ce qui est écrit dans Le Canard, on ne fait pas 2 millions de chiffre d’affaires là-dessus, on parle de 8 000 personnes à 25 euros HT. Quant au coupe-file, ce n’est pas du tout le concept. On voit dans la course au large qu’il y a des fans qui en demandent plus que le grand public, on a donc voulu leur proposer quelque chose d’autre, de là est née cette idée de fan expérience qui existe dans plein d’autres sports, avec différents produits compris dans ce pass : une course spéciale Virtual Regatta, une entrée avec les accrédités, un accès à la cantine Rhum Sweet Home réservée aux accrédités, un badge et une affiche de l’événement. Mais en aucun cas, ce n’est une entrée payante, ça, on ne veut pas le faire, et ça reste un petit volume. Notre ambition était d’en vendre 30 000-35 000, aujourd’hui, on est loin de ça, plus de l’ordre de 4 000-5 000. Sur plus d’un million de personnes qui viennent sur le village, il faut relativiser…
“On n’a pas à repartir de zéro à chaque fois”
► Quid de l’impact écologique d’une foule pareille, évoquée notamment dans la tribune de La Vague qui évoque les 145 000 tonnes de CO2 émises sur l’édition 2018 ?
On voit qu’il y a une accélération de ces sujets et que les KPI [indicateurs de performance, NDLR] des événements sportifs changent : on a toujours mesuré le succès d’une course par le nombre de spectateurs, de bateaux et de retombées économiques, c’est en train de changer, en intégrant ces considérations environnementales, tant mieux. Peut-être qu’on s’est un peu tiré une balle dans le pied en communiquant sur notre bilan carbone en 2018 alors qu’on n’était pas certains des chiffres. Aujourd’hui, on nous le ressort, je pense qu’on aura des chiffres plus précis cette année. Mais à côté de ça, on a mis en place une stratégie à la fois pour profiter de la caisse de résonance de l’événement pour faire passer des messages, d’où notre partenariat avec Surfirder Foundation Europe, mais également pour réduire l’impact, avec un partenariat avec la SNCF et des plateformes de covoiturage, car aujourd’hui, le plus gros impact est lié au déplacement des personnes. On essaie donc de mettre en place pas mal de choses, après, c’est sûr que le plus simple serait de ne pas faire l’événement, mais on estime que c’est mieux de se servir de son succès populaire pour faire passer des messages.
► Le budget de la course a-t-il augmenté par rapport à 2018 (environ 8 millions d’euros) ? Et la course est-elle rentable pour son organisateur ?
Il est aux alentours de 10 millions et oui, la course va être rentable. Après, les gens pensent qu’on doit gagner plein d’argent, mais on est quand même un nain par rapport à la somme de tous les budgets sur les bateaux ici, qui doit se situer entre 130 et 150 millions juste pour l’année. On n’est pas l’ASO de la voile !
► Tu nous avais dit il y a quatre ans que la Route du Rhum permettait à OC Sport d’être “rentable sur un cycle de quatre ans”, est-ce toujours le cas ?
On me l’a souvent reproché ! Mais je ne regrette pas ce que j’ai dit, c’était la vérité. Aujourd’hui, le modèle a évolué : il y a quatre ans, on avait certains trous entre nos courses, des cycles, depuis, on a changé certaines dates, comme celle de la Transat Paprec, on a ajouté l’Arkea Ultim Challenge Brest. Avec en plus la Transat CIC, nous avons désormais trois grandes courses sur un cycle de quatre ans, plus la Solitaire chaque année. La situation est beaucoup plus équilibrée et nous permet d’avoir une équipe constante à l’année, on n’a pas à repartir de zéro à chaque fois.
► Les conditions météo s’annoncent musclées dimanche et lundi, y a-t-il des incertitudes sur le départ ?
Pour l’instant, on part. Il n’y a pas de souci pour le départ dimanche, les conditions seront sportives mais restent acceptables, il y a ensuite effectivement un front violent qui arrive, on le surveille, mais la meilleure option reste aujourd’hui de lancer la course comme prévu.
Photo : Eloi Stichelbaut – polaRYSE