Alors que les arrivées continuent à s’enchaîner à Pointe-à-Pitre, Tip & Shaft fait le point sur la troisième semaine de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe dont les vainqueurs des six classes sont connus.
MEILHAT À LA RÉGULIÈRE
Vendredi dernier, Tip & Shaft est sorti entre l’arrivée d’Alex Thomson et celle de Paul Meilhat ; du coup, échaudés par les rebondissements de dernière minute, on n’avait à peine osé évoquer la victoire annoncée du skipper de SMA. C’est pourtant bien lui qui remporte en Imoca cette mémorable édition de la Route du Rhum, et ça fait plaisir à tout le monde – ou presque. “Si l’on ne devait regarder que les performances, ce bateau là ne mériterait que la 7e ou 8e place, nous avait confié Paul Meilhat avant le départ. Mais le Rhum est une transatlantique en solitaire et c’est là que je peux faire la différence, même sans foils.” On ne saurait être plus visionnaire !
Un mantra que Christian Le Pape, directeur du Pôle Finistère Course au large résume à sa façon : “La fiabilité et la justesse de navigation font aussi la performance. C’est une réussite du facteur humain, c’est un retour à une forme d’humilité et c’est très bien.” Et le patron de Portlaf’ de souligner la vitesse d’Alex Thomson, dont il juge que “sur le papier, c’est aussi celui qui avait le plus fort potentiel homme-machine“ : “Il s’est montré d’une incroyable facilité au vent arrière !”. Avant de rappeler qu’il n’y a pas que la vitesse qui compte : “A priori quand on va plus vite, on reste au contact : c’est notre logique de gagne-petit que nous ne changerons pas. Avec sa vitesse, quand Paul et Alex se croisent dans leur série d’empannages, ce n’est pas 10 milles d’avance qu’Alex devrait avoir mais 50. C’est donc que la trajectoire de Paul est bonne.”
Le facteur humain, c’est aussi ce qui explique la brillante sixième place de Damien Seguin pour sa première Route du Rhum en Imoca. Le triple médaillé paralympique, né sans main gauche, se classe deuxième bateau à dérives droites après Paul Meilhat, qui est allé chaleureusement le féliciter. “Je ne le voyais pas forcément à ce niveau-là, se réjouit Christian Le Pape. C’est un bateau [l’ancien DCNS, plan Finot-Conq de 2008, NDLR] qu’il a très peu modifié. Preuve s’il en est que le facteur humain est déterminant. On se demande toujours quelle est la part du bonhomme, quelle est la part du bateau ? Quand je vois la suprématie de Yoann Richomme en Class40, quand je sais qu’il a gagné la Solitaire du Figaro en 2016, il n’y a pas ambiguïté. Comme Alex et Paul. C’est une harmonie.”
RICHOMME ET SON LIFT, IMPÉRIAUX
Pour sa première participation, Yoann Richomme, skipper de Veedol-AIC, aura marqué cette édition 2018 de la Route du Rhum par l’ampleur de sa victoire en 16 jours 03 heures 22 minutes et 44 secondes (nouveau record). Soit près de 8 heures d’avance sur Aymeric Chappellier et presque 10 heures sur Phil Sharp, deux très gros clients. “Yoann fait clairement la différence au début, il appuie tout en réussissant à préserver son bateau”, admire ainsi son préparateur Donatien Carme. Il fait une trace parfaite, c’est un cas d’école.” “Il y a eu du très, très haut niveau et malgré tout, un niveau assez homogène, car il y a eu de la bagarre, souligne Halvard Mabire, président de la Class40 et compétiteur malheureux lors de cette édition. Même si Yoann Richomme a franchement dominé, derrière ça ne dormait pas”.
Les performances du plan Lombard de Yoann Richomme (et de Louis Duc) ont marqué les esprits, quand la référence était jusqu’ici le Mach 40 de Sam Manuard. D’autant qu’il connaissait peu sa machine, ne l’ayant prise en mains qu’en juin, avant de gagner dans la foulée la Drheam Cup, fin juillet, avant de… démâter. “Le bateau, nous savions qu’il marchait bien sans l’avoir éprouvé dans toutes les conditions. Là, elles étaient assez exceptionnelles !” admet Donatien Carme. “La grosse inquiétude était de savoir s’il passerait le train de dépressions du départ. Pour moi, le couple bateau-skipper était nettement supérieur.”
LE ONE-MAN SHOW D’ANTOINE
Il n’aura mis que 15 jours 01 heure 15 minutes et 5 secondes pour l’emporter dans la classe RhumMulti. A 57 ans, Pierre Antoine (Olmix) a attendu plus de 2 jours ses partenaires de podium Jean-François Lilti (Ecole diagonale pour citoyens du monde) et Etienne Hochedé (PIR2). Géologue de formation et skipper chevronné, Pierre Antoine, qui avait clairement affiché l’ambition de briller, inscrit son nom au palmarès de la Route du Rhum à sa troisième tentative. “Je m’attendais à plus de match avec d’autres skippers, assure son routeur, Dominic Vittet (qui avait également conseillé une dizaine de Class40 et trois Imoca).
Une bonne partie de la course s’est jouée dès les premiers jours. “Il fallait être prêt au départ à faire du bâbord dans 45 nœuds de vent ; Pierre l’était là où d’autres se sont arrêtés, confie-t-il. Ce discours préparatoire psychologique est très important ! Il y avait une sorte de psychose au départ. Ce n’était pas insurmontable et ce discours trouvait écho chez des gens qui avaient une expérience de mer. Le début de course a été dur mais ce n’était pas les conditions de l’édition de 2002 ou celles de 1986. Pierre avait ce métier-là.” Mais là où le skipper d’Olmix a construit sa victoire, c’est “sur une petite dorsale qui s’est présentée entre les Açores et Madère. Il devait faire un peu plus d’ouest au près quand Pierre pensait déjà à gagner le soleil en tribord amure !”
L’ancien Crêpe Whaou, qui a remporté par deux fois la Route du Rhum aux mains de Franck-Yves Escoffier, est un bateau en bois, datant de 1991. C’est un bateau de près, assez lourd. “Il lui fallait au moins 20 nœuds au portant pour qu’il s’exprime. Je l’ai fait descendre assez sud pour qu’il gagne en vent, comme Yoann Richomme, en fait.” A mi-parcours, les autres concurrents pointaient à quelque 300 milles, dans un autre système météo. “Il fallait qu’il bonifie sa victoire : il pointait alors en douzième position sur 123 bateaux au départ ! Je lui ai donc proposé comme dernier challenge de battre tous les Class40…” Mission accomplie, Pierre Antoine arrivant quelque six heures avant Yoann Richomme.
GAVIGNET, L’ADIEU AUX ARMES
Chez les RhumMono, le match n’a pas eu lieu, plié en quelques jours par un Sidney Gavignet dominateur sur Café Joyeux, l’ancien monotype de 52 pieds sur plan Finot-Conq destiné à un tour du monde promu par Yvan Griboval, sur lequel l’organisateur du Trophée Clairefontaine a effectué un tour du monde en solitaire en 2017. Pour autant, l’arrivée de l’ancien skipper d’Oman Sail n’a pas été exempte d’émotions, car, après trois décennies passées à arpenter les océans, depuis la préparation olympique jusqu’à de nombreuses Volvo Ocean Race, Gavignet raccroche. Et ses mots, recueillis à l’arrivée par notre consoeur du Télégramme Aline Merret, disent bien la chose : “Je pensais que j’allais chialer comme une madeleine et je ne l’ai pas fait parce que j’étais occupé par le tour de la Guadeloupe. C’est un long parcours qui s’arrête (silence)… qui coûte. C’est une vie. Je n’ai fait que ça : être coureur professionnel. Donc on change de vie. Ce n’est pas anodin, c’est émouvant. Il faut le faire. Je suis fier de moi, de le faire. Je suis très enthousiaste pour la suite. Je suis content de finir sur une belle note. Inattendue parce qu’il y a quelques mois, ce n’était pas couru d’avance.”