Delapierre / Audinet, les sélectionnés olympique en Nacra

L’équipe de France de voile olympique entre Tokyo et Paris 2024

Les nombreuses annulations de régates depuis le début de l’année perturbent le quotidien de l’équipe de France de voile olympique, contrainte d’adapter sans cesse sa préparation des JO de Tokyo. Dans le même temps, la campagne pour Paris 2024 a commencé. Tip & Shaft a enquêté pour savoir comment la FFVoile et les athlètes géraient cette double olympiade.

Depuis un an et le début du premier confinement, les athlètes de l’équipe de France de voile olympique et leur encadrement passent beaucoup de temps à faire et défaire des plannings. Dernier exemple en date : la Sailing Cup d’Enoshima, prévue début juin sur le plan d’eau olympique, a été repoussée d’un mois, son annulation étant, selon nos informations, envisagée. Ce qui va contraindre la délégation française à décaler d’un mois son départ pour le Japon.

“Je n’aurais jamais pensé qu’ils allaient décaler ou annuler cet événement, soupire la championne olympique en titre de RS:X, Charline Picon, qui vient de remporter son cinquième titre européen à Vilamoura. Ça chamboule pas mal les plans et ça veut dire qu’on n’aura pas de compète entre les Mondiaux de Cadix fin avril et le mois de juillet. Pour moi qui suis du genre à aimer prévoir les choses à l’avance, ça m’oblige à développer de nouvelles compétences…”

Les préparations olympiques sont effectivement très cadrées en général, avec un programme établi bien en amont des Jeux. “C’est assez étrange, reconnaît Camille Lecointre, qui vient, avec Aloïse Retornaz, de prendre la quatrième place des championnats d’Europe de 470. Nous qui avons l’habitude de faire des plannings six mois à l’avance, on n’a pas de visibilité à plus d’un mois. On a fini par s’habituer à réserver un billet d’avion deux jours avant de partir, mais c’est vrai que l’annonce du report de l’épreuve au Japon ajoute une grosse inconnue.”

“On ne perd plus d’énergie à imaginer des plans A, B et C”

Ces annulations en série ne sont pas sans conséquence sur les résultats sportifs. Après plus d’un an sans compétition officielle, Camille Lecointre reconnaît que la reprise n’a pas été facile : “On s’est rendues compte qu’on avait perdu l’habitude de naviguer sous pression. On voit aussi que cette année a resserré le niveau et a été bénéfique à certaines de nos concurrentes qui se sont rapprochées, comme les Espagnoles championnes du monde, qui étaient encore un peu jeunes il y a un an.”Formé en 2018, le tandem Quentin Delapierre/Manon Audinet, sélectionné en Nacra 17 pour les JO, en a lui-même profité : “C’est vrai que l’année dernière à la même époque, nous étions plus à l’arrache pour aller au Japon, reconnaissait Manon Audinet dans notre podcast Pos. Report du 9 mars. A l’époque, c’était un sprint, c’est devenu une course d’endurance, on a vu ce report des Jeux comme une opportunité.”

Le maître mot dans ce contexte d’incertitude ? L’adaptation. “La seule chose dont nous sommes certains aujourd’hui, c’est que les Jeux auront lieu. Ce qui va se passer fin mai, on n’en sait rien, donc l’état d’esprit est de regarder devant à l’échelle de quinze jours, le reste du temps, on s’adapte”, confirme le directeur de l’équipe de France Guillaume Chiellino. Message bien reçu de la part de Kévin Peponnet, sélectionné en 470 avec Jérémie Mion : “Ça fait plus d’un an que ça dure, donc on est un peu rodés, on ne perd plus d’énergie à imaginer des plans A, B et C.”

Jonathan Lobert en mission à Porto

Reste que pour certains, cette adaptation est plus complexe, comme l’explique Cédric Leroy, directeur de la haute performance à la FFVoile, qui assure actuellement l’intérim de Jacques Cathelineau à la tête de la direction technique nationale (ce dernier, qui solde ses congés, part à la retraite). “La préparation finale des JO est plus compliquée pour les séries qui vont disparaître après Tokyo, notamment en RS:X par exemple, où on s’est retrouvés du jour au lendemain sans partenaires d’entraînement, parce que l’ensemble des athlètes avaient basculé en iQFoil [la nouvelle planche des Jeux de Paris 2024, NDLR].”Ses concurrents pour la sélection, Louis Giard et Pierre Le Coq, partis s’essayer à ce  nouveau support, Thomas Goyard s’est en effet retrouvé démuni pour préparer les JO – même si les jeunes Clément Bourgeois et Titouan Le Bosq ont rejoint sa cellule d’entraînement. “Cette adversité en interne, qui durait jusqu’au bout et faisait que la France marchait bien, a disparu, Thomas se retrouve tout seul avec plus trop de concurrence, c’est particulier pour lui”, constate Louis Giard.

La situation est un peu différente en Finn, seule discipline dans laquelle la France n’est pas encore qualifiée – le dernier ticket européen sera délivré lors du Mondial de Porto (4-12 mai). “Le Finn est moins délaissé, parce que le gros du niveau est en Europe et que tous ceux qui ne sont pas encore qualifiés sont toujours à fond, il y a une vraie émulation”, explique Jonathan Lobert, joint à Porto où il s’entraîne sur le plan d’eau des Mondiaux.

Comment évalue-t-il ses chances de décrocher son ticket olympique ? “On est quasiment une dizaine à lorgner cette dernière place. Vu le niveau, il faudra aller chercher un podium. La situation est compliquée, j’avais réussi sur les Jeux précédents à me qualifier plus vite, mais d’un autre côté, ça m’a permis de traverser toute cette période avec un objectif précis en tête. D’autres qui sont déjà qualifiés tournent un peu en rond depuis un an.”

Charline Picon réfléchit à d’autres supports pour Paris 2024

Ce qui leur permet peut-être de penser aussi à l’avenir et notamment à Paris 2024. Car si l’olympiade menant à Tokyo n’est pas encore terminée, la suivante a déjà commencé, notamment du côté de la FFVoile qui a lancé la dynamique en juin 2020 avec une réorganisation prenant notamment en compte l’arrivée de nouvelles disciplines au programme olympique.Nous sommes déjà en ordre de marche, confirme Cédric Leroy. On a mis en place une réforme visant à restructurer l’accompagnement et la formation du haut niveau voile olympique, ce qui nous permet d’assurer le suivi et l’accompagnement de 15 séries olympiques au lieu de 10.” Guillaume Chellino concentré sur les Jeux de Tokyo, Loïc Billon, directeur des équipes de France jeunes, a été chargé pendant cette année de transition de coordonner les équipes de kitefoil, iQFoil, 470 mixte et course au large.

“Dans chaque discipline, la dynamique est bien lancéeanalyse ce dernier. On a obtenu de très bons résultats en course au large – Marie Riou et Benjamin Schwartz sont champions d’Europe – et en iQFoil où les Français, qui viennent d’un côté du circuit professionnel PWA, de l’autre de la RS:X, trustent les médailles. En kite mixte, on a fait 5e du seul championnat d’Europe disputé à ce jour, un peu en deçà des potentiels individuels qui sont très élevés.”

Comment les athlètes sélectionnés pour Tokyo gèrent-ils cette double olympiade ? “C’est étrange de voir les équipages mixtes commencer leur préparation olympique, mais je suis tellement focalisée sur Tokyo que je ne regarde pas trop ce qui se passe ailleurs”, explique Camille Lecointre, qui aura 39 ans en 2024. Mais admet : Les Jeux à la maison, ça ne donne pas envie de prendre sa retraite…”

Même envie chez la championne olympique Charline Picon, qui envisage toutes les options : “100% de ma concentration est sur Tokyo, mais c’est évident que Paris 2024, ça fait rêver. Aujourd’hui, on peut se dire que je prends du retard sur la planche à foil, d’autant que je suis débutante et qu’il y du poids à prendre, mais les autres n’ont pas mis longtemps à s’y mettre. Et puis il y a d’autres opportunités sur d’autres supports doubles.”

La course au large retoquée par le CIO ?

Ce risque de retard par rapport à une concurrence qui s’organise en iQFoil, – Louis Giard confie par exemple avoir fait le choix de s’installer à Marseille pour mieux s’habituer au plan d’eau des Jeux -, Thomas Goyard le mesure, mais il se veut rassurant : “On voit les copains qui s’entraînent à fond, mais c’est un support que j’ai pratiqué avant tout le monde, j’avais un petit peu de marge. Aujourd’hui, il faut que je fasse les choses dans l’ordre. Il sera temps après de mettre les bouchées doubles, ce sera un challenge de plus.”Quant à Kevin Peponnet, il reconnaît que cette question de Paris 2024 l’interpelle : “C’est toujours bien d’arriver aux Jeux avec un projet derrière, ça permet d’être plus serein. Comme je n’aime pas la routine, l’idée de changer de support me plaît, mais l’olympiade sera courte, et comme les sélections se font à peu près un an avant, ça ne laisse que deux ans pour être au top. Sinon le 470 mixte, qui apporte de la fraîcheur, est une autre option. Mais tout dépendra aussi des Jeux de Tokyo : si je suis comblé par le résultat, je passerai peut-être à autre chose.”

Quid de la course au large double mixte, qui reste soumise à l’aval du Comité international olympique ? “Pour l’instant, c’est en suspens, les deux World Cup de Palma et d’Hyères ont été annulées, la suite du programme dépendra de la décision du CIO”, répond Benjamin Schwartz. Une décision qui, alors qu’elle était initialement attendue le 31 mai, devrait, selon nos informations, intervenir finalement début avril. La FFVoile mène un lobbying intense pour faire pencher la balance en faveur de la tenue de l’épreuve à Marseille, sollicitant l’Etat au plus haut niveau pour qu’il intervienne auprès du CIO. Mais, d’après nos informations, à ce stade, il semble que cela ne soit pas suffisant, même si la décision n’est pas encore officiellement prise.

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