6e de la Transat Concarneau-Saint-Barthélémy avec Miguel Danet, Eric Péron, 40 ans, disputera cet été sa 10e Solitaire du Figaro. Il a par ailleurs annoncé en mai le rachat de l’ancien Prince de Bretagne, Ocean Fifty avec lequel il compte disputer la Route du Rhum 2022. Tip & Shaft s’est entretenu avec lui.
Quel bilan tires-tu de la Transat Concarneau-Saint-Barthélémy ?
Je suis très satisfait : être dans le match après 18 jours de course et terminer 6e à moins de trois heures du premier, avec un co-skipper qui est un amateur expérimenté, j’aurais signé avant le départ. D’autant qu’on a eu beaucoup de difficultés, parce qu’on a cassé le pilote automatique la deuxième nuit. Les gens peuvent penser que ce n’est pas un problème à deux, sauf qu’il y a une multitude de tâches qui ne peuvent pas se faire sans pilote si l’autre est en train de dormir. Je pense notamment au fait d’enlever les algues : tu ne peux pas lâcher la barre pour aller passer une corde à nœuds dans la quille ou te servir de la canne à algues pour les retirer dans les safrans. Franchement, ça nous a épuisés, parce que ça voulait dire que celui qui se dormait ne se reposait jamais vraiment, ou alors, il fallait s’asseoir sur un certain degré de performance. C’est-à-dire que parfois, je voyais des algues à la caméra, mais je ne les enlevais pas, parce ça faisait cinq minutes que Miguel était parti dormir. C’est pour ça que je suis assez fier de ce résultat. En m’autorisant un peu à rêver, je me dis que les 20 milles qui nous séparent de la première place sont peut-être là.
Que vous est-il arrivé sur le pilote ?
A priori, c’est un défaut d’un composant du calculateur, c’est vraiment une panne hyper rare, la pilote ne fonctionnait que dans un sens, il ne poussait la barre que d’un côté. Comme mon bateau a toujours été fiable et que j’étais confiant sur ce matériel, je n’avais pas embarqué de pilote de secours, je m’en mords un peu les doigts…
Yann Eliès parlait récemment du “désastre écologique” que représentent les sargasses, c’est vraiment un gros problème ?
La course au large est déjà assez dure comme ça, qui plus est sans pilote, quand tu rajoutes les sargasses, c’est la punition ! Tu ne régates plus, tu ne prends plus de plaisir car tu es sans arrêt – et quand je dis sans arrêt, c’est quasiment toutes les cinq minutes – soit à te servir d’une corde à nœuds ou de la canne à algues, soit à faire marche arrière… Par moments, on se retrouvait à naviguer à 70% de la polaire du bateau, parce qu’on était dans un grain à 35 nœuds avec 50 kilos de sargasses dans la quille. Dans ces cas-là, la seule solution était de faire marche arrière, mais ça voulait dire affaler puis renvoyer le spi – sachant ce n’est pas possible de faire une marche arrière sous spi quand tu as plus de 22 nœuds – donc une grosse dépense en énergie et le risque de perdre le contact avec les autres. Personne n’osait vraiment alors que c’était pourtant la seule solution. Et même si tu faisais marche arrière, dix minutes après, tu te retrouvais de nouveau avec 20 kilos de sargasses. Après, il y a sans doute des solutions techniques, notamment de mettre une chaussette, je crois que le vainqueur (TeamWork) en était équipé.
“Le Figaro 3 répond clairement au cahier des charges”
On parlait avant le départ de véritable test au large pour le Figaro Beneteau 3, est-il réussi ?
On n’a pas eu des conditions dantesques, mais le bilan de casse pour nous, hormis le pilote, est une poulie, une écoute et l’usure normale sur les drisses, c’est tout. Donc je pense que la classe Figaro et les figaristes qui ont participé à l’élaboration du bateau peuvent être hyper fiers, car il est fait pour le large et on ne casse plus grand-chose, je pense que nos primes d’assurance vont pouvoir enfin descendre ! Certes, il mouille plus et est plus sollicitant, mais il répond clairement au cahier des charges qui était d’avoir un bateau plus sportif que le Figaro 2, sur lequel, de 0 à 40 nœuds, on avait la même voile. Prendre des ris et changer de spi est le standard normal de tout bateau de course, on se rapproche un peu plus du fonctionnement d’un Imoca.
Quelle est la suite de la saison pour toi en Figaro et quels sont tes objectifs ?
Je ne participe pas au Tour de Bretagne, je ferai la Solo Concarneau pour préparer la Solitaire qui sera ma dernière course de la saison en Figaro et probablement avant un certain temps, parce que j’ai d’autres projets à moyen terme. L’objectif est clairement de faire un résultat sur la Solitaire, j’ai envie de réussir, je me sens mûr, cette sixième place me fait dire que ça peut marcher.
Que te manque-t-il selon toi pour monter sur le podium (son meilleur résultat est une 4e place en 2010 et il a gagné une étape en 2019, NDLR) ?
En 2019, j’avais bien navigué, malheureusement, il y avait eu une étape qui avait fait mal à beaucoup de monde, dont moi, et m’avait empêché d’accéder au podium. Je pense qu’il ne me manque pas grand-chose, peut-être un peu de clairvoyance : j’aime bien jouer et prendre des options, mais parfois, ce n’est pas le bon moment, je prends des risques un peu démesurés par rapport aux bénéfices que ça peut m’apporter. J’espère que je vais devenir plus sage, il ne faut pas que je flingue ma Solitaire en étant trop enthousiaste !
“Un projet à 900 000 euros clés en main”
Parlons maintenant de ton projet Ocean Fifty, pourquoi ce choix ?
Avec mes partenaires du French Touch Oceans Club, on avait envie de faire grandir le projet, on s’est dit que la Route du Rhum était une course d’envergure sur laquelle il fallait être présent. Je n’étais pas intéressé par un projet Class40, l’Imoca m’attirait forcément, mais quand on faisait la somme du niveau d’investissement que j’étais capable de lever, on ne s’y retrouvait pas, ni mes partenaires ni moi : à prix du bateau et budget de fonctionnement équivalents, je préférais partir sur un Ocean Fifty qu’un Imoca. D’autant qu’il y avait un bateau disponible et pas très cher, qu’on a racheté à Gilles Lamiré, avec un bon potentiel de développement. En termes de performances, après un refit, ça reste un bon bateau de solo au large, la jauge Multi50 est d’ailleurs bien faite, dans le sens où elle permet à tous les bateaux de rester dans le coup. En plus, c’est plus fun, tu peux vendre des RP plus facilement et est venu se greffer là-dessus le Pro Sailing Tour : même si, au départ, le projet était vraiment ficelé autour de la Route du Rhum, c’est un peu une cerise sur le gâteau. Maintenant, ce qui est intéressant, c’est aussi de mettre en marche une dynamique avec des partenaires et de continuer à monter en puissance, pour, peut-être ensuite, se rapprocher d’un autre objectif qui est le Vendée Globe 2024.
En quoi consiste le refit prévu ?
On finalise les études en ce moment avec Benoît Cabaret [l’un des deux architectes du bateau avec Nigel Irens] pour que le bateau parte en chantier en fin d’été, probablement chez Mer Agitée. On va poser des foils monotypes, une dérive et un safran de coque centrale, plus tous les aménagements au niveau de l’équilibre des masses que ces travaux nécessitent. Je vais commencer à naviguer la semaine prochaine, histoire de me l’approprier, ensuite, on fera des RP début juillet, jusqu’à ce que je récupère mon Figaro et que j’attaque la préparation de la Solitaire.
A combien as-tu budgété ton année 2022 en Ocean Fifty ?
L’ensemble du projet clés en main va tourner autour de 900 000 euros, ce qui inclut la location du bateau, acheté par un groupe d’investisseurs, et une grosse partie de la communication. Aujourd’hui, on essaie de faire en sorte que de 20 à 30% de ce budget soit supporté par le French Touch Oceans Club, le reste par un partenaire-titre qu’on cherche. Si on est capables de réunir ce budget et de le pérenniser ensuite, ça nous fera un début de projet intéressant après 2022 en vue du Vendée Globe.
Tu seras aussi au départ cette année de la Transat Jacques Vabre sur Serenis Consulting, le nouveau Class40 de Jean Galfione, avec quel objectif ?
Le bateau sort de chantier fin juin [premier Pogo S4 signé Guillaume Verdier et construit par Structures, NDLR], je vais naviguer un peu dessus cet été, Jean va aussi s’appuyer sur d’autres pour le prendre en main. Avec lui, je suis un peu dans la même configuration que sur la Transat avec Miguel, l’inconnu sera de savoir si on arrivera à être au point au départ puis à tenir le rythme par rapport à d’autres équipages qui auront plus navigué que nous.
Photo : Alexis Courcoux / Transat en Double