Troisième de la première étape en bateaux de série, après avoir mené une partie de la course, Clarisse Crémer a confirmé son statut de candidate à la victoire dans la Mini-Transat La Boulangère. A dix jours du départ de la seconde étape, la skipper de TBS revient sur son parcours et évoque son avenir.
Comment as-tu découvert la voile, par ta famille ?
Je ne suis pas vraiment d’une famille de voileux, plus d’une famille de Parisiens qui passaient leurs vacances en Bretagne. J’ai commencé par des stages d’Optimist et de dériveur, j’ai vraiment découvert la voile en participant au Trophée des Lycées, puis en école de commerce [Elle est diplômée d’HEC, NDLR].
A quel moment as-tu commencé à mûrir ce projet de Mini Transat ?
C’est vraiment de la “faute” de mon copain, Tanguy Le Turquais ! En 2012, nous avons acheté un Pogo 2 ensemble, avec l’objectif que lui fasse la Mini en 2013, et moi en 2015. Mais, en 2015, je ne me sentais pas du tout prête et j’étais prise par d’autres projets. J’ai donc vécu les deux dernières Mini par procuration : ça m’a bien titillée et je me suis lancée pour l’édition 2017.
Tes parents t’ont-ils soutenue dans cette vocation maritime ?
C’est quelque chose que j’appréhendais pas mal, parce qu’ils étaient plus du style à penser à mes études et à ma carrière. Mais, oui, comme je n’avais pas 100 000 euros dans la poche, ils m’ont aidée à acheter mon Pogo 3.
Il y a ensuite eu la fameuse vidéo adressée à Michel et Augustin qui a fait le buzz…
Je me suis lancée à la recherche de sponsors avec un démarchage assez classique, sans trop y croire. Comme les campagnes de Michel et Augustin nous faisaient rigoler, avec Anne-Laure Guilbaud, nous avons imaginé cette vidéo en octobre 2015 qui a effectivement très bien marché. Derrière, il y a eu un effet boule de neige : d’autres sponsors sont venus vers moi, certains me proposaient même 500 euros et trois fringues en échange d’une vidéo ! J’ai rapidement rencontré les gens de TBS, qui m’avait lancé un défi en échange de leur sponsoring : ils m’ont permis de quasiment boucler mon budget, dès janvier 2016.
A combien se monte-t-il sur cette Mini ?
Sur les deux ans, c’est à peu près 100 000 euros, en dehors du bateau.
Comment ce buzz a-t-il été accueilli dans le “milieu” ? As-tu senti un peu de jalousie sur les pontons ?
Au tout début, il y a forcément des gens qui se sont dit : « C’est qui celle-là ? Elle a trouvé un budget alors qu’elle ne sait pas faire du bateau ». J’ai essayé d’en faire abstraction, je n’allais pas refuser ce qu’on me proposait et j’ai essayé de mener mon projet le plus sérieusement possible.
Dès le début, tu avais l’idée de monter un projet aussi ambitieux sportivement ?
Pas du tout. Avant, je bossais à Paris dans une start-up que j’ai créée avec mon frère. J’ai ensuite déménagé en Bretagne et je pensais continuer à bosser dans le marketing en freelance tout en m’entraînant le week-end. Mais mon premier entraînement, en janvier 2016, a été horrible : il y avait 30 nœuds, je n’arrivais pas à faire un virement de bord, j’étais au bout de ma vie… Quand j’ai appris que les autres allaient s’entraîner en semaine, je me suis dit qu’il fallait que j’y aille aussi. J’ai arrêté les missions en mars dernier.
Avais-tu un peu de pression au départ de la Mini ? Maintenant que tu avais « buzzé », il te fallait faire ses preuves sur l’eau ?
C’est plus sur ma première course en solo, la Sélect 2016 [Elle se classe 6e, NDLR], que j’ai ressenti ça, j’avais peur de finir sur un caillou et que tout le monde dise « et bien voilà… ». Derrière, j’ai terminé toutes les courses, dans le top 10. Du coup, au départ de La Rochelle, j’avais presque l’impression de ne plus rien avoir à prouver. Et, en mer, les lives Facebook, les messages sur les réseaux sociaux et tout ça, tu oublies ! Tu es seule dans ta merde, tout le temps humide, à ne pas manger ni dormir…
Comment abordes-tu cette seconde étape ?
Si on regarde les écarts au classement, on repart presque de zéro : nous sommes nombreux à être capables de monter sur le podium. Je vais essayer de me mettre dans les mêmes dispositions que sur la première étape, en me disant que je sais que je suis capable de faire de bonnes choses, mais que je vais quand même à la découverte de l’inconnu. Après, ce qui est pris n’est plus à prendre et je pourrai toujours dire que j’ai fait un podium sur la première étape !
Parlons maintenant de ton avenir : sais-tu déjà ce que tu feras en 2018 ?
Je fais complètement l’autruche ! Je ne veux pas me lancer dans autre chose tant que je n’ai pas fait la Mini-Transat. Beaucoup me disent que c’est une grosse connerie et que je vais me retrouver sans savoir quoi faire à déprimer en janvier, mais j’assume. J’attends l’inspiration, peut-être que je vais avoir une idée glorieuse pendant la deuxième étape ! Certains de mes partenaires me demandent déjà ce qu’on fait l’année prochaine mais je ne sais pas du tout. Ce qui est sûr, c’est que ça va être compliqué de retourner derrière un bureau !
Tu as accompagné Tanguy Le Turquais sur La Solitaire URGO Le Figaro, cela te tenterait-il ? Ou te verrais-tu plus au large sur un Class40, par exemple ?
Une Solitaire, je pense que je me ferais démolir ! Ouah ! Ils sont complètement tarés, les mecs ! J’adore le large en solitaire, mais je suis encore très nulle en bricolage. J’ai l’impression que derrière le Mini, la marche est trop haute. Mais, bon, il faut se lancer, et c’est aussi ça qui est chouette : partir de zéro, être nulle puis de moins en moins nulle ! Tanguy voudrait qu’on fasse la Transat AG2R ensemble, ça serait un chouette projet, mais le problème pour l’instant, c’est qu’on s’engueule en mer !
Et le Vendée Globe ?
J’ai vraiment beaucoup de mal à y penser, je me sens une petite fourmi face à un énorme éléphant. Beaucoup de gens me disent que c’est la prochaine étape pour moi, mais il faut être réaliste : il y a deux ans, je n’avais encore jamais fait de solitaire. Par contre, j’adorerais réussir à mettre l’énergie positive qu’il y a autour de moi pour que Tanguy fasse le Vendée Globe !