La Mini-Transat La Boulangère a livré son verdict avec la victoire de Francois Jambou (Team BFR Marée Haute Jaune) en proto devant Axel Tréhin (Projet Rescue Ocean) et celle Ambrogio Beccaria (Geomag) en série. Tip & Shaft dresse un bilan de cette édition 2019 avec son directeur de course, Denis Hugues, l’entraîneur lorientais Tanguy Leglatin, le vice-président de la classe, Sylvain Michelet, l’architecte David Raison, les routeurs Christian Dumard et Dominic Vittet.
Proto : Jambou, c’est propre, le 865 reste la référence
Cette édition 2019 aura été sportivement marquée en proto par la nette domination de François Jambou, deuxième de la première étape (6’22 de retard sur Axel Tréhin) et net vainqueur de la deuxième (12h51 d’avance sur ce dernier). “100 milles d’avance, il n’y a pas photo, François a prouvé qu’un bon marin sur un très bon bateau, ça reste devant quoi qu’il arrive, commente Denis Hugues. Quand je faisais tourner des routages sur la deuxième étape, il était toujours un peu en avance, prenait les bonnes bascules, sans options extrêmes.”
Ses trajectoires ont impressionné Tanguy Leglatin – “Quand il a fallu contourner la zone orageuse au bout de quatre-cinq jours, il a su faire des recalages dans le sud à chaque fois très pertinents“. Mais aussi les spécialistes de la météo, comme Christian Dumard : “Sur cette deuxième étape, il y avait cette bulle orageuse, certains sont montés trop nord et sont allés s’enfermer dedans, d’autres trop sud et ont fait plus de route. Les premiers, dont François, ont su gérer la bonne distance et jouer la carte du bord rapprochant.“ Dominic Vittet confirme : “L’alizé n’est pas un vent facile, toujours en train de basculer dans tous les sens, on a vu que les bons exploitaient toutes ces bascules en gardant une ligne stratégique générale correcte.”
Si François Jambou a su tirer les bonnes trajectoires, son succès s’explique également par la suprématie confirmée du 865, le Maximum dessiné par David Raison, qui signe sa deuxième victoire consécutive en proto. “C’est un bateau taillé pour cette course, on a vu aussi sur la Transat Jacques Vabre avec Crédit Mutuel que ces dessins étaient non seulement rapides mais en plus faciles à mener. Sur la durée, ça apporte vraiment”, poursuit Christian Dumard. Tanguy Leglatin ajoute : “Le 865 reste une sacrée référence, il n’y a pas encore de match avec les autres bateaux.” Ce dont ne doutait pas vraiment son concepteur, interviewé la semaine dernière par Tip & Shaft : “On voyait déjà sur la première étape qu’il était plus rapide au portant VMG, je savais qu’il n’allait pas fatiguer son skipper, qu’il ne ferait pas de départ au lof ou à l’abattée sous pilote, j’étais vraiment en confiance.”
Derrière le 865, Axel Tréhin, cité comme un candidat à la victoire avant le départ, a tenu son rang sur son plan Lombard. “Il est à sa place, il a déchiré son spi medium dans l’alizé, c’est là où il s’est fait distancer, mais il était déjà derrière, et François a toujours su se mettre entre la ligne d’arrivée et lui”, commente Denis Hugues. Qui, comme la plupart des observateurs, souligne la très bonne deuxième étape de l’Allemand Morten Bogacki, troisième au Marin sur le 934, le plan Etienne Bertrand mené à la deuxième place il y a deux ans par Jörg Riechers : “Déjà sur la première étape, il avait pris une option à l’ouest du DST plutôt très bonne. Là, il confirme sur un bateau pas facile à faire marcher.” Christian Dumard, qui le conseillait, abonde : “Il est issu du dériveur sans grosse expérience du large, je trouve qu’il fait preuve d’un très bon sens tactique, avec une bonne vision du plan d’eau, il arrive à extrapoler au large et dans un espace temps différent, ce qu’il faisait bien en dériveur.”
Quid d’Erwan Le Méné et Tanguy Bouroullec, cités à La Rochelle comme des potentiels vainqueurs sur deux bateaux très différents, l’un, le 800, très éprouvé, l’autre, plan Verdier à foils, mis à l’eau en juin ? “Erwan a sans doute été un peu en-deçà, mais je pense qu’il avait vraiment à cœur de finir. Il était sur un projet de quatre ans, il avait démâté il y a deux ans, il voulait aller au bout“, analyse Tanguy Leglatin à propos du premier. Denis Hugues est sur la même longueur d’ondes : “Sa priorité était d’arriver. En plus, il va être papa, il avait peut-être d’autres choses en tête, ça compte aussi. Sa première étape, pendant laquelle il est parti dans l’est, où il ne fallait pas être, a sans doute aussi joué. Au final, il est dans le Top 5, il finit bien son parcours en Mini en allant au bout de cette transat qui ne s’était pas offerte à lui il y a deux ans.”
Quant à Tanguy Bouroullec, troisième de la première étape, cinquième de la seconde, tous estiment que si Cerfrance était trop jeune pour cette Mini, ses performances sont prometteuses : “Il a montré qu’il avait du potentiel par rapport à son développement récent. Ce sont des bateaux dont la mise au point est très compliquée par rapport à un bateau classique, tu rajoutes beaucoup de boutons à tourner, il faut pratiquement deux ans pour savoir utiliser un tel bateau. Je pense que ça va finir par gagner, en 2021 ou 2023“, résume David Raison.
Série : Beccaria au-dessus, le Maxi encore un peu jeune
Si François Jambou a remporté assez largement la Mini en proto, le succès d’Ambrogio Beccaria, arrivé vendredi à 17h31 au Marin, est encore plus net. L’Italien, vainqueur de la première étape avec 1h43 d’avance sur le deuxième, Félix de Navacelle, est en passe de réaliser le doublé avec une douzaine d’heures d’avance sur ses poursuivants, et surtout… une troisième place au scratch ! Ce qui a fait dire à François Jambou : “C’est le meilleur marin que j’aie jamais vu. Se tirer la bourre avec des bateaux de série comme si c’était les meilleurs protos, cela a été un fait marquant de la course. J’ai complètement halluciné.”
Pour Dominic Vittet, le skipper italien allait trop vite pour les autres : “Il a forcément une très bonne sensibilité pour avancer aussi vite, parce que faire la différence en série, ce n’est pas si facile, et là, son avance est énorme, il domine largement ses concurrents.” Denis Hugues ajoute : “Ambrogio va terminer troisième au scratch, ce qui est un peu « désolant » pour la Mini, une course créée pour des prototypes. Mais aujourd’hui, en série, tu as des projets quasi professionnels avec des marins qui passent énormément de temps à s’entraîner.”
La domination de l’Italien s’explique aussi, selon Tanguy Leglatin – qui coache les deux vainqueurs en proto et en série -, par les déconvenues de certains de ses concurrents : “Je pense que les seuls qui pouvaient contrer sa suprématie étaient Félix de Navacelle, Amélie Grassi et Mathieu Vincent. Amélie a eu des problèmes techniques en début de deuxième étape, Mathieu s’est un peu raté dans sa stratégie globale en allant se mettre dans la bulle sur la deuxième étape. Par rapport à eux, Ambrogio avait l’avantage de l’expérience de la transat. On le voit aussi avec Nicolas d’Estais qui fait une super transat (deuxième actuellement de la deuxième étape) parce qu’il l’a déjà courue. C’était le cas aussi en 2017 de Benoît Sineau qui n’avait pas pu s’entraîner autant que les autres mais avait cette expérience du large.”
La bonne surprise de la deuxième étape vient de Benjamin Ferré, troisième. Y compris pour son entraîneur, Tanguy Leglatin : “Il s’est beaucoup investi depuis un an dans son projet, mais je ne pensais pas qu’il serait à ce niveau de performance. Après, il y a toujours sur une Mini des gars qui sont bien au large et trouvent le bon rythme.” Pour Sylvain Michelet, le profil du Rennais peut jouer dans cette performance : “Benjamin est un gars qui a vécu pas mal d’aventures qui sortent de l’ordinaire (voir son profil), je pense qu’il a dû gérer assez facilement la solitude, c’est un atout par rapport à ses concurrents.”
Cette édition 2019 aura encore été celle de la mainmise des Pogo 3, les Maxi de David Raison, attendus avec intérêt, n’ayant pas encore pu rivaliser. “Sur les Maxi, personne n’avait tout juste avant le départ, ceux qui avaient beaucoup navigué n’avaient pas eu l’argent pour développer le bateau, ceux qui avaient l’argent n’avaient pas assez navigué”, estime Tanguy Leglatin. Le coach lorientais est rejoint par David Raison : “Les coureurs en Pogo 3 ont passé beaucoup de temps à se préparer, ce qui est moins le cas de nos clients en Maxi qui ont tous un métier.” Sylvain Michelet rappelle de son côté : “Quand ils sont arrivés en 2015, les Pogo 3 n’avaient pas tout cassé et au final, c’est un bateau exceptionnel.” Denis Hugues conclut : “C’est un peu tôt pour faire un bilan définitif, il faudra attendre la prochaine édition, là, on aura des concurrents qui arriveront avec deux ans d’entraînement sur les Maxi, la suprématie du Pogo 3 sera davantage menacée.”
Photo : Christophe Breschi