Anne Liardet sur son Mini 6.50

Anne Liardet : “Le large en solo, c’est vraiment mon truc”

Sur liste d’attente il y a deux ans, Anne Liardet est assurée de disputer cette année la Mini Transat en série, une deuxième participation après sa première… en 1985. Avant de prendre le départ dimanche du Mini Fastnet aux côtés de Djemila Tassin sur le 903 Cancer@Work, la navigatrice de 62 ans a pris le temps d’échanger avec Tip & Shaft.

Peux-tu nous expliquer pourquoi tu t’es lancée sur ce projet Mini ?
J’ai fait ma première Mini en 1985, j’avais adoré cette expérience et je m’étais dit que je la referais un jour. La vie a ensuite fait que j’ai navigué sur d’autres supports, j’ai aussi eu mes gamins, l’opportunité ne s’est jamais vraiment représentée. Et puis en 2018 [après avoir vaincu un cancer, NDLR], je me suis dit qu’il fallait que je reprenne le large et que ce serait bien de refaire enfin cette Mini Transat avant de prendre ma retraite. J’ai trouvé le bateau en 2020, j’ai fait la saison 2021, mais je suis restée en liste d’attente pour la Mini Transat. Du coup, j’ai repiqué deux ans parce qu’il n’y avait aucune raison de laisser tomber. Là, c’est sûr que je pars, je suis très contente parce que j’en avais vraiment besoin.

Que gardes-tu comme souvenir de l’édition 1985 à laquelle tu as participé (10e place sur 23) ?
C’était l’époque des Surprise coupés, des Muscadet, les protos Lucas commençaient à arriver, j’en avais récupéré un (le n°66) auprès d’un propriétaire qui n’avait plus les sous pour le finir. J’avais réussi à l’équiper grâce à plein de copains qui m’avaient donné des coups de main, mais quinze jours avant le départ, il me manquait encore les voiles et le pilote électrique. Et grâce à Kersauson qui m’avait présenté un mec qui avait une petite agence de com à Paris, j’avais trouvé une queue de budget pour les acheter. J’avais adoré cette traversée, je m’étais rendu compte que le solo au large, c’était vraiment mon truc et c’est aussi pour ça que je repars. Je pense que je suis une vraie solitaire, je me sens très à l’aise en mer, c’est l’endroit au monde où je me sens le plus en confiance, d’autant que j’adore bricoler.

Près de vingt ans après cette Mini Transat, tu as couru et fini ton unique Vendée Globe sur Roxy (11e), tu n’as pas réussi à enchaîner derrière ?
Ça n’a effectivement pas enchaîné, parce que s’ils avaient trouvé ça génial en termes de retombées, au point qu’ils avaient décidé de racheter le bateau double vainqueur du Vendée Globe, PRBils m’avaient virée chez Roxy parce que j’étais trop vieille, ils me l’avaient appris avant même que je ne coupe la ligne d’arrivée, ça m’avait filé un coup au moral. Par la suite, j’ai cherché à remonter un projet, j’avais commencé à trouver du budget en 2012, mais ça n’a pas abouti. Du coup, j’ai bossé à droite à gauche, essentiellement en voilerie, j’ai fait d’autres choses qui n’ont rien à voir avec le bateau, j’ai eu une vie assez agitée, mais à un moment, il faut bien gagner sa croûte !

 

“Je suis sûre que je vais m’éclater”

 

Tu es donc revenue il y a deux ans en Mini, y as-tu retrouvé l’esprit que tu avais connu en 1985 ?
Oui, cet esprit Mini existe encore, parce que ça reste des projets de solitaire sur lesquels tu n’as en général pas les moyens de te payer un préparateur, donc tout le monde se file un coup de main, il y a un esprit d’entraide et de solidarité qui est resté. Après, le profil des coureurs a quand même pas mal changé. A mon époque, c’étaient plus des gens qui connaissaient déjà le bateau et débarquaient sans beaucoup de sous, certains sont ensuite restés dans le milieu, comme Yves Parlier, Lalou Roucayrol, Sylvain Berthomme… Aujourd’hui, il y a un peu plus de pouvoir d’achat parmi les coureurs, il y a beaucoup d’ingénieurs ou de jeunes qui ont fait des études. Certains déboulent sans avoir quasiment jamais navigué, mais il y a des très bons, déterminés, intelligents, qui s’entraînent beaucoup, il y a de la relève ! Je suis parfois impressionnée de voir comment ils chargent la mule, parfois ça passe ou ça casse… Moi, je n’arrive pas à tirer sur mon bateau comme ça, je suis plus calme.

Pourquoi le choix de ton bateau, un Pogo 3 mis à l’eau en 2016 ?
Initialement, je voulais un Maxi. J’avais beaucoup aimé le nez rond de David Raison quand il avait gagné la Mini (2011). Je me souviens qu’on s’était croisés dans le métro en allant au Salon nautique, je lui avais dit qu’un jour, je naviguerais avec un de ses bateaux. J’en avais même réservé un auprès du chantier IDB Marine, mais comme je n’arrivais pas à trouver le financement, il est passé à quelqu’un d’autre. Finalement, quand mon projet a été ficelé avec Cancer@Work, j’ai racheté le Pogo 3 de Michel Sastre. C’est sûr que c’est moins performant qu’un Maxi, tu les envies parfois en les voyant naviguer en tee-shirt alors que toi tu es en ciré, mais c’est un super bateau, qui avait été bien préparé par Michel et son précédent propriétaire (Valentin Gautier), tu sais que quand tu montes dessus, c’est synonyme d’emmerdements minimum.

Comment finances-tu ce projet et de quel budget disposes-tu ?
Je cours pour l’association Cancer@Work, financée par des mécènes qui lui versent leur participation, et moi, je facture à l’association avec ma SASU. J’ai acheté le bateau 90 000 euros, mais j’ai tout revu et rénové, je vais encore devoir changer le mât et la bôme avant la Mini Transat, ça finit par faire beaucoup de sous. En tout, je pense que j’ai mis 120-130 000 euros sur trois ans, sans voiles neuves, et il faut encore que je trouve quelques mécènes pour payer l’assurance, le retour cargo et quelques frais de courses. J’ai dû me payer cinq fois 1 500 euros de salaires en tout, mais j’ai arrêté pour ne pas mettre ma boîte en danger. Mais je ne me plains pas et du coup, je bosse à côté pour Technique Voile, et avec mon frère (Marc Liardet) sur l’Imoca Biotherm, dont il est boat-captain…

Quel objectif te fixes-tu sur la Mini Transat ?
Je n’ai plus autant la niaque niveau compétition, mais ce qui m’intéresse, c’est de naviguer proprement et j’aime bien encore faire des petits coups tactiques, ça titille encore un peu. Je ne vais pas gagner la Mini Transat, mais j’essaierai de ne pas être trop à la ramasse. Ce dont je suis sûre, c’est que je vais m’éclater.

 

Photo : Manon Le Guen

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