Prévu pour 2020 mais contraint de rester à quai pour cause de pandémie, le circuit TF35 a débuté le week-end dernier sur le lac Léman pour son Grand Prix d’Ouverture, à Nyon. Sept monotypes à foils de cette nouvelle classe de propriétaires s’alignent au départ, avec à bord de nombreux professionnels, parmi lesquels une majorité de Français.
Né d’une tempête qui détruisit la flotte de multicoques lémaniques lors du dantesque Bol d’Or 2003, le Décision 35 a tiré sa révérence en octobre 2019 après 16 saisons, pour partir régater sur le lac Balaton (Hongrie) et céder la place à son successeur volant, le TF35. « Tout le monde avait la volonté d’accéder au vol, sans perdre de vue que nous sommes une classe de propriétaires, explique Bertrand Favre, qui dirige la nouvelle classe TF35. Sur SailGP ou en GC32, il n’y a pas véritablement d’amateurs. Pour pouvoir voler en sécurité, il fallait de l’automatisme à bord. »
La conception du TF35 démarre début 2018 : la classe consulte la liste des 20 candidats ayant répondu à l’appel d’offres organisé par Mark Turner, alors directeur de la Volvo Ocean Race, pour la conception d’un cata inshore destiné aux escales de la course autour du monde, et n’en retient que six. Etabli par Ernesto Bertarelli (Alinghi) et Guy de Picciotto (Zen Too), le cahier des charges se résume en quatre points clés : décollage au portant comme au près dans moins de 10 nœuds de vent réel, assistance informatique des foils, stricte monotypie, démontage facile pour le transport.
Finalement, c’est un collectif international, encadré par le Suisse Jean-Marie Fragnière, qui est retenu : l’Espagnol Gonzalo Redondo (ex Artemis et American Magic) a planché sur l’architecture générale avec le Britannique Adam May et le Français Marc Menec ; la structure est signée du Hollando-Américain Dirk Kramers (ex Alinghi, Oracle 2017 et Land Rover BAR). Pour ce qui est de l’intelligence informatique, le suisse Luc du Bois (longtemps associé à Alinghi) a collaboré avec l’entreprise lorientaise Pixel sur mer qui a adapté au TF35 son calculateur Exocet Gold.
LE PARI DU VOL AUTOMATIQUE GAGNÉ
Côté construction, la classe a étudié plusieurs solutions et finalement misé sur une triplette bretonne : Multiplast (plateforme), Heol Composites (appendices) et Lorima (gréement). « Nous nous sommes rapidement rendus à l’évidence que la proximité géographique de ces trois entreprises était capitale pour la réussite du projet, résume Bertrand Favre. Contrairement au Décision 35 qui était un « scale down » de l’ancien Alinghi 40, le TF35 partait vraiment d’une page blanche, d’où la nécessité de retenir les meilleurs dans chaque domaine. »
La centrale inertielle et les batteries intégrées dans la structure centrale ne pèsent pas plus de 10 kilos, auxquels s’ajoutent les moteurs des foils et safrans en T (4 kg + 1,5 kg). Côté informatique, le logiciel de vol reste strictement monotype. Chaque bateau est équipé d’une puce 4G qui permet d’enregistrer les données de navigation avec de possibles mises à jour. « Des plages sont définies où le logiciel ne change pas et les bateaux sont équipés de tracker pour vérifier qu’ils naviguent avec la bonne version », explique Bertrand Favre.
Dès sa mise à l’eau en août 2019, le numéro zéro de la série (*) gagne le pari du vol automatique ; l’annulation des régates en 2020 a permis de débugger ses petits défauts de jeunesse avec plus de 50 journées d’entraînement.
UN FINANCEMENT ORIGINAL
Vendu 900 000 euros HT (**) dans son container de 40 pieds, le TF35 a vocation à sortir des rives du lac Léman : « C’était le point faible du D35. Se déplacer est essentiel si l’on veut développer le circuit », poursuit Bertrand Favre. En plus des épreuves lémaniques du TF35 Trophy, dont les deux classiques Genève-Rolle-Genève et Bol d’Or – leur tenue n’est pas encore confirmée par les autorités suisses -, deux régates en mer ont ainsi déjà été programmées sur cette saison 2021, en septembre à Scarlino (Italie). Et un Grand Prix en France (en Méditerranée) pourrait également être prochainement annoncé pour la fin de l’année, selon Bertrand Favre.
Le financement du projet est original : en parallèle de la classe, qui gère l’aspect sportif, la société commerciale Foiler Lémanique SA a été créée pour financer études, moules et développements des bateaux, à charge pour elle de désormais commercialiser de futurs nouveaux TF35. Ses actionnaires sont les sept propriétaires des exemplaires déjà livrés, auxquels s’ajoutent deux autres membres qui n’ont pas acheté de bateau, dont Bertrand Favre ne souhaite pas divulguer l’identité. Le class manager suisse reste discret également sur le budget global du circuit. Pour ce qui est du budget des teams, il l’estime à 500 000 euros, le foiler se menant à six équipiers, avec généralement un coach et un préparateur en plus.
Si le TF35 n’a pas vocation à devenir un monotype de grande diffusion, la classe espère une dizaine de bateaux en 2022 en attirant de nouveaux propriétaires, à l’image du Français Frédéric Jousset. Chef d’entreprise, mécène et sportif accompli (montagne, sport auto), l’armateur du TF35 Art Explora est le seul à ne pas venir du D35 et va se se frotter d’emblée au très haut niveau : “Sans ce genre de passionné, nous ne serions pas sur l’eau et sans nous, il est probable que lui non plus ! » résume Loïck Peyron, chargé de la tactique « avec un vrai bonheur et une belle brochette de pros” à ses côtés (Yvan Ravussin, Devan Le Bihan, Valentin Sipan…).
BEAUCOUP DE FRANÇAIS À BORD
Le Baulois remplace d’ailleurs Jousset ce week-end à la barre et se montre très enthousiaste sur le support : « Nous avons volé tout l’après-midi avec 8 nœuds de vent au portant sur un miroir. C’est assez magique ! » confiait-il mardi à l’issue des entraînements. Avant d’ajouter, à propos du TF35 : « C’est de la mécanique de précision. Les Suisses ont compris depuis longtemps qu’un vrai monotype suppose un très gros investissement de départ pour éviter ensuite une surenchère de préparation ».
Barreur de Zen Too après huit saisons en D35, Frédéric Le Peutrec a lui aussi été séduit : « Le TF35 transforme très peu d’énergie en vol immédiat. C’est un planeur, pas un Rafale ! ». Il embarque à ses côtés Tanguy Cariou, mais aussi de jeunes Suisses formés sur le Léman et avoue continuer à travailler la communication à bord : « Le vol est certes automatique, mais le TF35 reste un bateau, finalement plus exigeant que le D35 car la coordination entre barre, traveller et écoute doit être encore plus rapide. Si tu fais des bêtises, les angles de volet augmentent pour compenser, tu génères donc de la traînée et ça va moins vite. »
Frédéric Le Peutrec fait partie des nombreux Français présents sur le circuit à des postes stratégiques : Nicolas Charbonnier tactique ainsi sur Alinghi, tout comme Erwan Israel sur Ylliam XII Comptoir Immobilier, et Sébastien Col sur Real Team Sailing. Sur Spindrift, c’est Xavier Revil qui remplace ce week-end Yann Guichard, tandis qu’à leurs côtés, on trouve des marins comme Gurvan Bontemps, Benjamin Amiot, Thierry Briend, Pierre Pennec ou encore François Morvan. Preuve de l’expertise française en matière de vol sur multicoque est encore très prisée.
(*) Disponible à la vente pour 750 000 euros.
(**) Dans l’hypothèse où la classe parvient à regrouper plusieurs commandes et lancer une fabrication de groupe. Pour une commande unique, le prix, plus élevé, n’a pas été communiqué.
Photo : Loris Von Siebenthal