Plus de 120 bateaux prennent le départ samedi à La Valette de l’édition 2022 de la Middle Sea Race. Dont 5 anciens MOD70, marque d’un regain d’intérêt pour ces trimarans de 70 pieds lancés à partir de 2011. Tip & Shaft s’est penché sur la question.
La série monotype des MOD70 avait pour ambition de “construire un bateau référence pour les dix prochaines années (2010-2020)”. Les débuts avaient été prometteurs, la série avait ensuite périclité, faute de partenaires pour le circuit, puis de combattants. Plus de dix ans après la mise à l’eau du premier exemplaire, Race for Water, cinq des sept bateaux conçus par VPLP Design seront pourtant au départ de la Middle Sea Race.
Deux étaient déjà de la partie il y a un an : Maserati (Giovanni Soldini) – ex Gitana XV – et Mana – ex Spindrift – propriété depuis 2020 de l’Italien Riccardo Pavoncelli… qui va bientôt changer de main, puisque, depuis Malte, Alexia Barrier, qui sera à bord, nous a confirmé son rachat imminent : “Je vais annoncer un premier sponsor à l’occasion du départ de la Route du Rhum et officialiser l’acquisition du bateau qui, pendant deux ans, va nous servir de plateforme d’entraînement avant de passer en Ultim en 2025, voire avant, dans le cadre de mon projet de Trophée Jules Verne (voir notre article).”
Trois autres MOD70 disputeront la Middle Sea Race sous leurs nouvelles couleurs, puisqu’ils ont tous changé de main au cours de l’année écoulée. L’ancien Foncia, devenu par la suite Phaedo 3 puis Beau Geste, a été rapatrié d’Australie, racheté par le Néerlandais Frank Slootman, patron de Snowflake (son nouveau nom), poids lourd de la gestion de données informatiques.
Trois bateaux sous pavillon français !
Les deux autres sont, comme le futur ex Mana, passés sous pavillon français : Erik Maris, déjà présent sur le circuit GC32 (voir notre article), a racheté l’ancien PowerPlay (dernier MOD construit, sous le nom de Paprec Recyclage), rebaptisé Zoulou ; Eric Defert, avec l’appui financier de Thibaut George, fondateur et directeur général de Drekan Groupe, qui l’accompagne depuis 2010, a repris l’ancien Race for Water qui porte désormais le nom d’Acxiss (dont Drekan est une filiale).
“Après avoir fait du Multi50, on ne se retrouvait pas dans le format du Pro Sailing Tour, très marketé. Le MOD nous est apparu un bon compromis, avec un bateau accessible financièrement, qui dure et ne perd pas de valeur, un projet ne nécessitant pas une grosse équipe et un programme nous permettant de rester libres dans nos choix”, explique Thibaut George. Le bateau, qui appartenait à Marco Simeoni, l’homme qui avait lancé le circuit Multi One Design, a été racheté 900 000 euros (HT), Eric Defert vise un budget de fonctionnement “entre 800 000 et 1,2 million d’euros en fonction du programme de courses”, plus de 500 000 étant déjà consolidés à ce jour.
De son côté, Erik Maris a vu dans le MOD70 “l’opportunité de faire un truc différent, en plus du GC32, sur un multicoque rapide, et surtout avec des bateaux très proches les uns des autres.” Le propriétaire-skipper ajoute : “Je savais qu’il y avait un potentiel pour se retrouver à trois ou quatre sur chaque épreuve, mais ça va plus vite que prévu. De ma fenêtre d’hôtel, j’en ai cinq sous les yeux, c’est assez bluffant !”
Pas tous identiques
Sous sa fenêtre en train de préparer son bateau, l’Italien Giovanni Soldini, qui skippe Maserati depuis 2016 (budget annuel de l’ordre de 1,5 million d’euros), ajoute : “C’est super de voir de nouvelles équipes arriver, j’espère qu’on va retrouver tous les MOD aux Caraïbes l’hiver prochain avec Argo et Orion.” Si c’est peu probable de voir Orion (ex Veolia Environnement) aux Antilles, puisqu’il n’a quasiment jamais quitté la Californie depuis son rachat en 2014 par le milliardaire américain Tom Siebel, Argo, avec à ses commandes un autre Américain, Jason Carroll, sera sans doute de la partie.
Ce qui ferait six bateaux sur les sept construits, mais, contrairement au postulat de départ, pas monotypes, certains ayant évolué au fil du temps. C’est le cas de Maserati, dont les foils ont été modifiés et qui dispose de plans porteurs sur les safrans, et de Snowflake, qui a été encore plus loin avec un mât rallongé de deux mètres et l’ajout d’un bout dehors. L’année prochaine, ce sera au tour de Zoulou et d’Argo d’être optimisés, comme le confirme Vincent Lauriot Prévost, cofondateur de VPLP : “On a proposé aux propriétaires de mutualiser certaines optimisations pour rester dans une classe équilibrée et diminuer un peu les coûts. Erik Maris et Jason Carroll ont accepté, je pense que les autres équipes vont observer avant de se décider. On va essayer de donner un peu plus de puissance aux appendices et de stabilité au vol, avec des foils un peu boostés et des safrans en T.”
Le risque n’est-il pas de donner lieu à de trop grandes disparités entre les bateaux qui, d’ailleurs ne courent pas tous sous le même rating au sein de la jauge Mocra ? “Je trouve au contraire que c’est très intéressant que chacun continue à développer des choses de son côté, répond Giovanni Soldini. Et si on regarde les résultats de l’année dernière, toutes les courses ont été très serrées avec à chaque fois un vainqueur différent. Par exemple, on a gagné la transat du Rorc avec seulement 20 minutes d’avance sur PowerPlay qui était un pur MOD.”
Un rapprochement avec l’IMA
La volonté de tous les propriétaires est de se retrouver le plus souvent possible sur les mêmes courses : en 2023, la plupart participeront à la Rorc Transatlantic Race, à la Caribbean 600, au Fastnet, à la Middle Sea Race, certains iront sur la Transpac, Eric Defert et Alexia Barrier s’intéressent à Lorient-Les Bermudes-Lorient, ouverte aux Ultims mais aussi aux MOD7O. Les propriétaires se sont également rapprochés de l’International Maxi Association, pourrait leur ouvrir les portes d’autres courses.
Secrétaire général de l’IMA, Andrew McIrvine confirme : “Les MOD70 appartiennent désormais tous à des propriétaires privés, ce qui correspond à notre modèle, celui du propriétaire/skipper avec des équipages professionnels. Nous voulons leur offrir une certaine cohésion et une association de classe, à eux de décider s’ils veulent payer une cotisation. Les événements accessibles seraient les courses offshore méditerranéennes et des inshores, comme à Saint-Tropez, Porto Cervo, voire Palma.” Giovanni Soldini ajoute : “C’est sûrement très intéressant pour essayer de débloquer les quelques courses qui ne veulent pas de nous, comme la Sydney-Hobart.”
Quand on lui demande s’il aurait imaginé un tel avenir à cette classe de bateau, Vincent Lauriot Prévost conclut : “Elle n’était pas partie pour ça, puisqu’elle avait été créée comme une classe strictement one design avec l’intention de faire un circuit professionnel, mais on sent une envie commune des propriétaires de se retrouver et de naviguer ensemble, c’est en quelque sorte la renaissance d’une classe.”
Photo : Rolex / Kurt Arrigo