La Rochelle course au large

Comment La Rochelle veut redevenir un pôle majeur de la course au large

Les organisateurs de The Race Around ont annoncé mardi que le départ et l’arrivée du nouveau tour du monde en Class40 auraient lieu à La Rochelle. Un signe de plus du regain d’intérêt de la ville pour la course au large. Tip & Shaft a mené l’enquête.

Dans les années 1980-1990, La Rochelle a été un épicentre de la course au large, accueillant nombre de courses – Grand Prix de multicoques, La Rochelle-La Nouvelle Orléans, étapes de la Solitaire du Figaro et de la Volvo Ocean Race, Mini-Transat (jusqu’à récemment pour cette dernière). Dans le même temps, plusieurs bateaux aux couleurs de la Charente-Maritime ont été menés par les marins du cru, Pierre Follenfant et Jean-François Fountaine, aujourd’hui maire de… La Rochelle, en tête.

“Il y a 40 ans, c’était la Mecque de la voile, avec un vivier de marins et d’architectes incroyable, je pense aux Philippe Harlé, Philippe Briand, Bernard Nivelt, Michel Joubert et j’en passe. C’était le rêve, tout le monde voulait naviguer à La Rochelle”, raconte ainsi Christian Karcher, triple vainqueur de la Coupe de l’America, installé à l’île de Ré depuis la fin des années 1990 et qui a accompagné Antoine Cornic sur son projet Imoca jusqu’à l’été dernier. Cet âge d’or a vécu, le même expliquant : “Je me demande si l’industrie de plaisance n’a pas, à un moment, étouffé tout le reste ; Neel, Dufour, Fountaine-Pajot représentent 95% de l’activité rochelaise en voile, ça prend de la place.”

La concurrence grandissante d’autres ports, notamment en Bretagne (Port-la-Forêt, Lorient…), a également joué, mais des indicateurs montrent depuis plusieurs mois que l’ambition hauturière de La Rochelle est de retour. A commencer par les annonces récentes de l’accueil de plusieurs courses. Cela a été le cas en 2021 avec l’épisode 2 du nouveau Pro Sailing Tour, qui pourrait revenir en 2023, la ville s’est également tournée vers la Class40, puisqu’elle recevra dans les deux années à venir trois événements majeurs inscrits à son calendrier.

“Une vraie dynamique
autour de la course au large”

D’abord le Championnat du monde de Class40(13-18 juin), sur lequel au moins 20 équipages sont attendus par son organisateur, Grand Pavois Organisation. Ce dernier prépare également le deuxième Défi Atlantique, transat retour de la Route du Rhum (avril 2023). Par ailleurs, les organisateurs de The Race Around, course autour du monde en Class40 (en double et en solitaire), ont annoncé mardi que La Rochelle accueillerait le départ (le 10 septembre 2023) et l’arrivée de la première édition.

“D’autres villes étaient candidates [notamment Bordeaux, NDLR], mais La Rochelle a été notre premier choix depuis le début, explique Emmanuel Versace, représentant français de The Race Around. C’est une ville avec un patrimoine et un passé maritime forts, la première en France à avoir accueilli la Volvo Ocean Race [lors de l’édition 1997-1998, NDLR]. Elle est facilement accessible depuis Paris, ce qui est essentiel pour une course internationale comme la nôtre, et le bassin des Chalutiers se situe en plein centre. La ville est aussi engagée au niveau du développement durable et cela nous parle car nous sommes ambitieux sur ce sujet. On sent enfin qu’il y a une vraie dynamique autour de la course au large, nous voulons accompagner ce mouvement.”

Cette dynamique a notamment abouti à la création future d’un nouveau pôle de course au large, piloté par l’Atlantic Cluster, association qui rassemble les acteurs de la filière nautique et navale en Nouvelle-Aquitaine. “Le projet est en bonne voie, assure Gaëlle Pallu de la Barrière, directrice de l’Atlantic Cluster. Il a été présenté à l’agglomération de La Rochelle à l’automne dernier. Sur le principe, il est validé. Ce pôle verra bien le jour sur le site identifié, en accord avec les acteurs du monde de la pêche.” Le site en question est effectivement celui du port de pêche, en eaux profondes, donc accessible à toute heure du jour et de la nuit, là où, pour le moment, les voiliers à fort tirant d’eau (Imoca, Class40) doivent s’amarrer au bassin des Chalutiers, accessible via une écluse, ce qui est contraignant en termes d’horaires.

Bestaven a accéléré
le mouvement

Ce projet se concrétisera en deux temps, avec d’abord la réalisation d’un ponton provisoirepermettant d’accueillir les Imoca des deux skippers basés à La Rochelle, Yannick Bestaven et Antoine Cornic. Montant de l’opération, financée par la communauté d’agglomération de La Rochelle et le département de la Charente-Maritime ? 250 000 euros, selon le cabinet de Jean-François Fountaine. Ce ponton sera opérationnel fin juin. “L’idée est de se caler sur l’arrivée du nouveau bateau de Yannick Bestaven[plan Verdier dont la mise à l’eau est prévue début juillet, NDLR], nous souhaitons l’accueillir dans de bonnes conditions”, souligne Gaëlle Pallu de la Barrière.

Si les études avaient débuté avant sa victoire, le Vendée Globe du skipper de Maître CoQ a donné un gros coup de boost au projet. Très engagé sur la question, mais ne souhaitant pas se mettre en avant – il n’a pas répondu à nos sollicitations -, il a ainsi rejoint le conseil d’administration de l’Atlantic Cluster. “Sa performance a fait office de déclic, il faut bien le dire. L’idée est de proposer une offre plus construite et complète sur le plan sportif pour les coureurs au large”, confirme à Tip & ShaftJean-François Fountaine, maire et président de la Communauté d’agglomération de La RochelleLa victoire de Yannick a été un plus, mais ça ne date pas de là. Depuis plus de dix ans, il est très clairement moteur auprès de toutes les instances dans sa volonté de monter un pôle de course au large”, ajoute Christian Karcher.

À quoi ressemblera le projet final ? “Nous prévoyons l’installation d’un ponton de 200 ou 250 mètres le long de la digue Sud du port de pêche, permettant d’accueillir une dizaine d’Imoca ou d’autres types de bateaux à fort tirant d’eau ou de grande largeur, comme les Class40 ou les Ocean Fifty. Il faudra aussi rallonger le musoir pour bien les protéger de la houle”, répond Gaëlle Pallu de la Barrière. L’Atlantic Cluster préconise à terre l’implantation de dix bâtiments de 650 m2 chacun, ce qui nécessite de rendre constructibles des terrains à proximité, et demande donc du temps. Le futur pôle ne devrait ainsi pas être pleinement opérationnel avant fin 2024 ou début 2025. La communauté d’agglomération et le département prendront en charge toutes les infrastructures, pour un montant total qui n’est pas encore déterminé.

Un nouveau
centre d’entraînement

En attendant que ce pôle voie le jour, de plus en plus de marins font de La Rochelle leur base d’entraînement, d’autant qu’a été créée en septembre dernier une nouvelle structure de formation à la course au large, le Centre d’Excellence Voile. “Nous reprenons les activités du pôle Mini 6.50 [créé en 2010, NDLR], qui était bien structuré mais nécessitait des ajustements. Nous avons déchargé le coach Julien Pulvé d’un certain nombre de tâches qui lui prenaient du temps, pour qu’il se consacre davantage à la formation, explique ainsi Laurent Haÿ, président du Centre d’Excellence Voile. Aujourd’hui, 25 ministess’entraînent à La Rochelle et nous pouvons envisager d’élargir le groupe à 30 coureurs, mais pas plus. On veut que les marins soient bien engagés, avec des projets sérieux, pour leur donner les moyens de progresser.”

La structure dispose d’un budget annuel qui tourne “autour de 300 000 euros“, selon son président, assuré par une dizaine de partenaires privés, des collectivités – le département, prochainement la ville – et les cotisations. Il accompagne aussi une dizaine de figaristes, comme Alexis Thomas ou Robin Marais, entraînés par Etienne Saïz, ancien coach du Team Vendée Formation. “D’autres coureurs frappent à la porte. Certains centres sont saturés et il y a une vraie demande de formation”, ajoute Laurent Haÿ. Qui estime que le Centre d’Excellence Voile a vocation à terme à recevoir toutes les classes : Nous comblons un trou dans la raquette. À La Rochelle, les jeunes étaient très bien formés en voile légère puis en olympisme. Mais quand ils souhaitaient progresser en course au large, ils n’avaient pas de structure adaptée sur place donc ils partaient, notamment en Bretagne. À terme, avec le Centre d’Excellence Voile puis le pôle au port de pêche, ils pourront effectuer toute leur progression sur le territoire rochelais, de la voile légère au plus haut niveau en course au large.”

La Rochelle peut-elle, à terme, concurrencer la Bretagne Sailing Valley autour de Lorient ? “Vu que Lorient est saturé, je parlerais plus de complémentarité, analyse Christian Karcher. Mais il y a tout ce qu’il faut ici pour que ça marche : une gare, un aéroport, une directrice du cluster qui tient la route, le port du Vendée Globe à trois heures de voile, des entreprises de pointe très réputées, comme Hydroem, C3 Technologies… Tu ouvres ici un ponton en eaux profondes de dix places, dans les trois mois qui viennent, les équipes sont là !”

Photo : Olivier Blanchet

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