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Philippe Facque : “Notre plan de charge est saturé encore une bonne année et demie”

Avec deux Ultim actuellement en construction (Macif et Banque Populaire), quatre Imoca neufs(CharalArkéa Paprec et Apivia, déjà sortis, Corum à venir), le chantier CDK Technologies a le vent en poupe en cette année pré-Vendée Globe. L’occasion de s’entretenir avec son directeur général, le discret Philippe Facque.

Apivia est le dernier Imoca sorti de chez CDK, que représente-t-il pour le chantier ?
Comme tous les bateaux, une progression, dans la mesure où chaque nouveau bateau est de plus en plus sophistiqué. Ce qui est intéressant sur les derniers Imoca, c’est qu’il y a des architectes différents, c’est amusant de voir les différences entre un VPLP, Charal, un Verdier, Apivia, deux Kouyoumdjian, Arkea Paprec et Corum, ces derniers ayant les mêmes carènes mais pas les mêmes plans de pont. On voit aujourd’hui des bateaux complètement couverts, comme Apivia dont le cockpit est fermé. Ce qui est également intéressant, c’est que les équipes et souvent les skippers s’investissent aussi beaucoup dans la conception et la construction, chacun y met son expérience.

Justement, les équipes sont-elles de plus en plus présentes dans la phase de construction ?
Ça dépend des teams. Certaines s’investissent beaucoup, comme Banque Populaire ou MerConcept, où c’est très structuré, avec un responsable projet à chaque fois, ils font aussi beaucoup de choses eux-mêmes. C’est une vraie complémentarité et il faut absolument que l’équipe du chantier et l’équipe du bateau s’entendent bien.

Et avec les architectes, la collaboration a-t-elle évolué ces dernières années ?
C’est de plus en plus rigoureux et minutieux, tous les plans sont vus et revus. Ce n’est pas nous qui avons le premier contact avec l’architecte, c’est le client qui commande ses plans à l’architecte, ce dernier nous fournit ensuite les plans avec bon pour exécution. Après, il y a une discussion permanente entre les trois parties.

Avez-vous votre mot à dire ?
Uniquement sur les choix techniques. On peut refuser de construire selon telle ou telle méthode ou avec tel produit si nous ne sommes pas certains du résultat ou si nous n’avons pas l’expérience. Pour toutes les pièces construites avec de nouveaux matériaux, on fait par exemple des tests en labo pour savoir si ça peut tenir, ça fait partie de notre boulot de chantier, parce qu’après, on a une responsabilité si ça ne tient pas.

Les méthodes de construction ont-elles évolué depuis la génération précédente d’Imoca?
Les méthodes pas forcément, mais les tissus, oui, cela nécessite pour nous d’être très vigilants sur les matériaux et leur évolution, mais au niveau de la mise en œuvre, ça ne change pas : c’est du pré-imprégné sous vide, cuit de 90 à 110 degrés selon les tissus.

Les bateaux sont-ils plus longs et plus chers à construire ?
Ils sont un peu plus longs à construire, parce qu’on passe plus de temps sur les renforts dans les zones de foils, c’est fait à la main, minutieusement. Ils sont aussi un peu plus chers, parce que les matériaux sont plus chers, le carbone n’a pas baissé.

Vous avez construit quatre des sept nouveaux Imoca et quatre Ultims en quelques années, qu’est-ce qui, selon toi, vous donne un avantage sur vos concurrents ?
Il faudrait poser la question aux clients ! Nous avons pris un coup sur la tête en 2011  quand Hubert Desjoyeaux est décédé, nous avons mis un peu de temps à reconstruire une belle équipe et une structure solide. Depuis 4-5 ans, on a récupéré une très bonne équipe, rigoureuse et compétente, autour de Stéphane Digard et Yann Dollo, avec de jeunes ingénieurs qui sont bons et des opérateurs qui font du très bon boulot. C’est la rigueur qui compte, il faut tout le temps être très minutieux.

Peut-on parler de période faste pour CDK ?
C’est sûr que nous avons beaucoup de boulot : notre plan de charge est saturé pour encore une bonne année et demie, ce qui nous oblige à refuser certaines demandes. Je touche du bois et j’espère qu’on en aura encore plus dans les années à venir. C’est un des dangers de ce métier : difficile d’avoir de la visibilité à deux ans.

Construisez-vous de plus en plus de foils ?
On commence, oui, pour l’instant, on fait plutôt des grands, comme ceux de Macif l’année dernière, on va sans doute faire ceux de Banque Populaire. C’est passionnant parce que ce sont de grosses pièces très techniques, c’est un vrai challenge de les faire tenir. Pour le moment, avec nos moyens, on est obligé de les construire en deux morceaux, l’idéal serait de le faire en un, ou sinon, on les fait cuire chez d’autres, comme on l’a fait pour Macif, chez Airbus qui a de grands autoclaves. Mais il est risqué de transporter des pièces pas encore cuites par la route.

Avez-vous dû adapter la structure de l’entreprise à la demande croissante et comment a évolué le chiffre d’affaires de CDK ?
Oui. Aujourd’hui entre Port-la-Forêt et Lorient, nous sommes 80, ce qui demande d’être très attentif pour garder ce niveau de qualité avec beaucoup d’adaptations au niveau du contrôle qualité, de la surveillance… Cette année, on sera autour de 8-9 millions d’euros de chiffre d’affaires contre 7 auparavant les très bonnes années, et 6 les moyennes.

Est-ce compliqué de recruter ?
Oui, il y a très peu de gens formés et nous sommes très nombreux à chercher des opérateurs. Et on ne peut pas les embaucher à la pelle, parce qu’il faut les former. Il n’existe pas de formation véritablement spécifique, en tout cas pas dans la région. On a essayé de faire des choses avec l’Afpa, mais entre le nombre de personnes intéressées et le nombre de personnes à l’arrivée, c’était assez déprimant : beaucoup de travail de formation pour peu d’embauches au bout. Donc c’est mieux de former sur le tas. On va souvent chercher des menuisiers qui sont très bons en ajustement et en précision.

Quels sont les bateaux qui sont encore en construction chez CDK ?
Côté Ultims Banque Populaire, qui avance bien, ainsi que les bras et les flotteurs de Macif, mais nous n’avons pas la place de faire l’assemblage des deux bateaux : je pense que Macif sera assemblé dans leur futur hangar de Concarneau. Pour les Imoca, ll nous reste Corum. Nous avons d’autres projets en cours, mais nous n’avons pas le droit d’en parler pour le moment, ils seront annoncés très prochainement.

Des bateaux pour The Ocean Race ?
Ça discute dur, c’est sûr, mais vous êtes sans doute plus au courant ! Et nous sommes liés par des contrats de confidentialité.

Le Vendée Globe booste le marché, comment anticipez-vous les années post-Vendée Globe ?
On ne peut malheureusement pas anticiper. Après, la chose étonnante qu’on note aujourd’hui, c’est qu’on dit que les bateaux coûtent de plus en plus cher, mais, à chaque édition, il y a de plus en plus de commandes et surtout, elles se font dès l’arrivée d’un Vendée Globe – auparavant, il y avait en général un trou d’un an. Et je pense que The Ocean Race devrait permettre de combler ce trou.

Tu parlais de Macif qui sera probablement assemblé à Concarneau : aujourd’hui, de plus en plus d’équipes ont leur propre chantier, on l’a vu avec Arkea Paprec, en partie construit par l’équipe autour de Vincent Riou, de Corum, co-construit avec Mer Agitée, est-ce nouveau et est-ce une concurrence potentielle pour vous ?
Oui, c’est nouveau. Pour Arkea Paprec, c’était leur choix ; pour Corum, ils auraient aimé qu’on en fasse plus, mais notre plan de charge ne nous le permettait pas, et c’est une bonne complémentarité que le bateau soit terminé par Mer Agitée. Ça n’est pas une concurrence pour l’instant, mais ça pourrait le devenir. Maintenant, tout le monde n’a pas les étuves et les autoclaves nécessaires, il faut être sûr de pouvoir les amortir [l’étuve de Keroman, lancée il y a un an, a coûté 800 000 euros, NDLR]

Cherchez-vous à vous diversifier ailleurs que dans la voile de compétition ?
Quand j’ai pris les rênes du chantier, en 1993, j’ai dit que nous allions faire 30% de notre production dans autre chose que le bateau : nous n’avons jamais eu le temps, c’est encore le cas aujourd’hui. On a quand même fait les pales de l’hydrolienne, et on espère que Sabella réussira à en lancer d’autres, encore plus grandes. Sinon, on a des demandes de foils pour des bateaux de transports, de passagers, mais là encore, c’est une question de disponibilité.

Quand tu te retournes sur l’histoire de CDK, qu’est-ce que cela t’inspire ?
Je ne suis pas là depuis la création [il est arrivé en 1993 pour recapitaliser le chantier créé en 1984 par Jean Le Cam, Hubert Desjoyeaux, Gaëtan Gouérou et Marc Van Peteghem, NDLR], je crois en revanche que j’ai été un des premiers clients pour construire un gros bateau avec le catamaran Royaleje trouve que c’est une belle histoire. Il y a eu des périodes compliquées, d’autres plus fastes, ce n’est pas un métier où on fait fortune, mais c’est un métier intéressant, avec toujours de la nouveauté, de la recherche, des évolutions, le besoin de s’améliorer…

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