C’est un classement non-officiel de la Solitaire Urgo Le Figaro, mais très regardé sur les planchers et par les coureurs : celui des voileries qui équipent les figaristes. Et cette année, une marque a dominé sans conteste la 50e édition de la classique estivale qui nous a tenus en haleine tout au long de ce mois de juin : Incidence. La voilerie bresto-rochelaise n’a pas fait de détail, avec l’intégralité du podium – Yoann Richomme, Gildas Mahé, Anthony Marchand – entièrement voilé par ses soins, mais aussi les deux premiers bizuths – Benjamin Schwartz et Tom Laperche– ainsi que trois des quatre vainqueurs d’étape. Un score historique pour Incidence, dont les dernières victoires remontaient à 2016 et 2014.
Pour toutes les voileries impliquées sur le circuit Figaro, l’enjeu de cette édition anniversaire était d’importance : “On savait que l’arrivée du Figaro 3 allait rebattre les cartes et donner la possibilité à de nouveaux arrivants d’émerger, explique Julien Gresset, en charge de la série chez Incidence. Pour nous, le challenge c’était de répondre présent dès cette première année.” Car c’est là que se gagnent les premières parts de marché…
Problème : le nouveau monotype arrive très tard, avec un planning de courses extrêmement serré avant une Solitaire qui démarre fin mai ! “Nous avons eu droit à deux créneaux de navigation sur le Figaro n°1 à l’automne : une après-midi puis une journée avec notre premier jeu de voiles proto“, raconte Julien Gresset. Ensuite ? Ensuite, il faut attendre le tirage au sort des bateaux au Nautic en décembre à Paris… et “recruter” un coureur parmi les premiers à être livré en janvier pour pouvoir accumuler les jours de navigation rapidement. La collaboration commence donc avec Fabien Delahaye qui accepte de naviguer immédiatement sans mettre son bateau en chantier. Car chaque jour compte : la Sardinha Cup, première épreuve de la saison, débute fin mars.
Chez Incidence, le dessin des voiles du nouveau Figaro est confié à un duo : Ronan Floc’h, basé à Brest, et Maxime Paul, installé à La Rochelle. Les deux hommes ont en commun de longues années d’olympisme en 470 et une grosse expérience du Figaro 2. Au premier le design des voiles plates(GV, J2, J3), au second celui des voiles de portant (spis, gennaker), lesquelles seront produites sur place, au plus près des dessinateurs. “C’est lourd en logistique, reconnaît Julien Gresset, mais cela permet aussi d’impliquer l’ensemble de la voilerie.” En cas de désaccord, “c’est celui qui a le plus de feeling sur le sujet qui tranche“, précise Ronan Floc’h.
Le jeu de voile proto a été conçu à partir des plans des architectes et d’une approche numérique du Figaro 3 menée par Jean-Baptiste Boullet. “Avec ces éléments, on sait que le bateau est moins raide à la toile que son prédécesseur, qu’il faudra prendre des ris, que le mât, lui, est très raide, qu’il faudra faire des voiles pas trop creuses, etc. résume Ronan Floc’h. Mais la grande inconnue, pour nous, c’est les foils. On va se rendre compte qu’à 5 degrés près, ils font accélérer le bateau et on peut le charger en toile.”
Les premières navigations confirment beaucoup de choses – le premier jet des voiles plates constitue une bonne base -, mais elles amènent aussi des doutes puisqu’il y aura 7 dessins différents pour le gennaker… D’autres coureurs entrent alors dans la danse : l’équipe Macif, qui va en particulier travailler sur le réglage des mâts, puis le duo Arthur Le Vaillant-Pascal Bidegorry, dont la vitesse est remarquée à la Sardinha Cup. “C’est la première fois que je travaillais avec Bidé, il est impressionnant !” constate Ronan Floc’h. Yoann Richomme, Gildas Mahé, Michel Desjoyeaux, Eric Péron et Anthony Marchand apportent aussi leurs regards. Pour tous, la même règle : les idées de développement de la voilerie sont partagées ; celles des coureurs leur appartiennent.
Chaque semaine, des voiles reviennent sur le plancher après des navigations et des tests. Julien Gresset accumule les kilomètres : “Dès le début de la saison, il faut répondre présent au retour sur le ponton, pour tout le monde. Ce sont les petits détails qui font la différence“. A l’issue du debriefing de la Solo Maître Coq, le design de série est figé et part en production. Le temps est plus que compté : il y a… 107 voiles à livrer pour la Solitaire, moins de 3 semaines plus tard ! Y compris des commandes de dernière minute, comme les J2 de Jérémie Beyou et Yann Eliès, équipés par une autre voilerie – signe que les réputations sont en train de se faire…
Au total, entre janvier et juin, Incidence aura produit 210 voiles de Figaro 3 dont celles des vainqueurs. “C’était vraiment intense et parfois limite en terme de planning, mais j’ai appris beaucoup de choses cette année, juge Ronan Floc’h. Bosser sur cette série est unique, le Figaro 3 tire tout le monde vers le haut.”
Photo : Yvan Zedda