Les images sublimes de foilers fonçant au reaching dans l’écume nous le rappellent : la voile vit une nouvelle ère sportive et technologique. Mais derrière la révolution du vol se cache un autre changement de paradigme, celui de l’explosion des datas.
“C’est l’arrivée des Ultims et des capteurs haute fréquence qui a tout changé, explique Olivier Douillard, en charge de la performance au sein du Gitana Team. Un bateau “simple” génère une trentaine de données ; un Ultim, qui embarque environ 120 points de mesure grâce à la fibre optique, produit 750 datas différentes.” Sur un tour du monde, cela représente 37 milliards de données contre 8 millions pour une étape de la Solitaire du Figaro !
Après un quart de siècle passé au plus haut niveau – deux préparations olympiques, deux Coupes de l’America, de nombreuses années chez North Sails et Adrena… – Olivier Douillard, 52 ans, a fondé AIM45 pour développer M2, une plateforme collaborative d’analyse des données. “Notre objectif, c’est de transformer un flux de datas en informations objectives accessibles à tous, afin d’optimiser la performance“, résume-t-il.
En plus des capteurs classiques – anémo, girouette, compas, speedo, GPS -, les bateaux modernes mesurent la gîte, l’assiette, les charges dans le gréement, les déformations de la coque et des appendices, les positions des appendices, etc. Mais que faire de tout ça ? “Il y a un tel volume que le risque de passer à côté des infos pertinentes est élevé, rappelle Olivier Douillard. C’est une richesse perdue incroyable.”
Si les plus gros teams Imoca et Ultims sont dotés de ressources dédiées, c’est loin d’être le cas de toutes les structures, et encore moins des coureurs en Mini, Figaro, Class40 ou Multi50. D’où l’idée de concevoir un outil qui automatise le traitement très chronophage des données récoltées pendant la navigation – y compris les notes et les photos qui circulent sur la boucle Whatsapp ou Telegram de l’équipe.
M2 propose ainsi, dès la fin de la navigation, des infos utilisables, jusqu’ici réservées aux ingénieurs. “Les données sont centralisées, accessibles en ligne dès le retour à terre pour l’ensemble des intervenants du projet : coureur, coach, bureau d’études, architectes, calculateurs, prestataires, etc. précise Olivier Douillard. Cette couche collaborative est cruciale, ça permet de faire progresser la connaissance collective.”
Des exemples ? “Pour les concurrents du Vendée Globe, savoir précisément l’historique des charges sur leurs foils, et régler les alarmes en fonction de celles-ci, leur permettra de ne pas céder aux phases de stress qui les attendent dans le Sud : tant qu’elles ne sonnent pas, c’est que le bateau a connu pire ! explique Olivier Douillard. Les données enregistrées par l’outil permettent d’objectiver des sensations sans plonger dans les fichiers à la main.”
Les données peuvent aussi aussi jouer leur rôle dans un cadre moins technique : un figariste qui souhaite faire le tri entre ses sensations et ses performances réelles après une longue journée d’entraînement ; un Ministe qui cherche à obtenir une polaire propre. Voire un équipage en IRC, qui veut comprendre sa vitesse sur un bord de près : “Tous les équipiers peuvent avoir accès à la trace et aux données associées à ce moment-là, assure Olivier Douillard. Le barreur donne ses sensations, les régleurs de GV et de génois transmettent leurs réglages et le numéro 1 rajoute la photo du réglage de mât !” Accessible sur abonnement, M2 est dimensionné en fonction des besoins du projet.
Plongé jusqu’au cou dans les données – il travaille à la diversification d’AIM45 vers d’autres objets connectés comme les éoliennes, les cargos, les machines numériques… -, Olivier Douillard – qui collabore avec l’équipe DMG Mori – attend le Vendée Globe avec impatience : “Jusqu’ici, on ne savait pas analyser les datas d’un tour du monde complet, mais nous ne sommes pas limités par le volume, alors on va pouvoir le rejouer dès l’arrivée !”