Deuxième de la Transat Jacques Vabre et vainqueur de Retour à La Base en fin d’année dernière, Yoann Richomme a de nouveau frappé fort en remportant le 7 mai The Transat CIC. A quelques jours du départ, le 29 mai, de la transat retour en solitaire, la New York Vendée, le skipper de Paprec Arkéa (40 ans) a répondu aux questions de Tip & Shaft.
► Pour ta première participation, tu as inscrit ton nom au palmarès de The Transat CIC, course historique lancée en 1960, quelle valeur a cette victoire pour toi ?
Je t’avoue que dans un premier temps, j’ai eu un peu de mal à réaliser que j’avais gagné la Transat anglaise. Je ne suis pas d’une génération qui a beaucoup connu cette course, d’autant que ça faisait quelques années qu’elle n’avait pas eu lieu. Je savais que l’époque où les Tabarly, Poupon et autres allaient défier les Anglais sur leurs terres avait déclenché la culture de la course au large en France et que c’était une épreuve historique, mais en arrivant, je n’avais pas tout ça en tête. C’est finalement un super beau message de félicitation de Philippe Poupon, quand j’étais encore sur l’eau, qui m’a rappelé ce côté mythique. Il m’a raconté comment il en avait ch… pour gagner cette course et la valeur hyper importante qu’elle avait eue dans sa vie, c’était très touchant de sa part et ça m’a permis de me raccrocher à ce côté historique. Donc c’est une belle victoire, à la hauteur d’un Rhum. Ça n’a certes pas les mêmes retombées, mais c’est une épreuve dure, intense, et il y avait une belle flotte en Imoca, j’en suis d’autant plus fier.
► Te voilà double lauréat de la Solitaire du Figaro et de la Route du Rhum, vainqueur de Retour à La Base et de The Transat CIC, ça commence à poser son marin, non ?
Là encore, j’ai du mal à réaliser, j’ai l’impression que tu me lis le palmarès de quelqu’un d’autre ! En fait, je m’éclate dans tous ces projets, je n’ai pas l’impression de forcer, ça se fait d’une manière naturelle, même si, bien sûr, j’y mets beaucoup d’énergie. C’est vrai que ça fait beaucoup de victoires qui s’enchaînent, mais ce n’est pas facile pour moi de mettre tout ça en perspective, ça me paraît un peu surréaliste.
► Tu dégages une impression de facilité, de fluidité, qu’en penses-tu ?
Oui, c’est fluide, je ne suis pas dans le dur. Je pense qu’on a un bateau qui est du domaine de l’exceptionnel, facile à mener, à bord duquel on a réussi à développer une part de confort assez importante. Là-dessus, j’ai vraiment l’impression qu’il y a une différence avec certains concurrents. Son point fort est clairement la brise au portant, tout est orienté – forme de coque, design de l’étrave – pour qu’il freine le moins possible en arrivant dans une vague et en ressorte au plus vite en ayant chargé le moins d’eau possible sur le pont. Il est aussi performant au près, dès que ça vole à 20-25 nœuds de vent ou plus, le passage dans la mer est optimisé. Et il dispose de foils très tolérants, ce qui induit une facilité à le faire marcher assez bluffante, il ne s’arrête jamais, ne colle pas à l’eau.
“Ça va être une course sans retenue”
► Paprec Arkéa a été mis à l’eau en février 2023, as-tu été surpris par ta rapidité d’adaptation à ce support ?
Au-delà de l’adaptation, c’est plus les résultats qui peuvent surprendre, je m’attendais plus à faire des places entre cinq et huit, le temps de monter en puissance. Maintenant, j’ai encore des questionnements, notamment sur les réglages de voiles, j’ai pas mal galéré l’année dernière et en début d’année, je commence enfin à comprendre comment ça se passe, j’ai l’impression de gagner en efficacité, en rapidité de réglages. Ce qui est génial aussi, c’est d’avoir eu le temps et les moyens de développer le bateau, c’est une denrée hyper rare dans nos projets, et d’avoir des gens en phase avec moi, notamment Gautier Lévisse au bureau d’études. On est très alignés sur nos objectifs et on a une autocritique permanente qui permet de faire évoluer le bateau en permanence, il n’y a pas une seconde où on ne cherche pas des améliorations.
► Quels sont les prochaines ?
Une grande partie du travail est orientée vers le choix du design des voiles pour le Vendée Globe. Nous allons aussi recevoir la V2 de nos foils en rentrant à Lorient, normalement, ça devrait être un atout supplémentaire. Aujourd’hui, on a quelques trous dans notre jeu : dans le médium, entre 10 et 20 nœuds, on peut avoir un peu de difficulté à faire décoller le bateau, à trouver un peu de nervosité, parce que le design est moins puissant par rapport à quelques-uns de nos concurrents. On a vu ce que certains avaient gagné avec leur V2 de foils, notamment Initiatives Cœur et Malizia, on espère que ça va aller dans le même sens.
► Comment appréhendes-tu la New York Vendée, au départ de laquelle s’alignent tous les favoris du Vendée Globe ? Faut-il marquer la concurrence ?
Ça va être une belle répétition pour le Vendée, il y a forcément un côté guerre psychologique, tous les gros concurrents sont là et ils auront à cœur de mettre la poignée dans le coin. Moi, je juge que c’est notre dernière opportunité de le faire, ça serait vraiment dommage de mettre la pédale sur le frein, car c’est le moment où il faut casser ! S’il y a des problèmes à découvrir, c’est maintenant, avant de remettre le bateau en chantier pour l’été. Je n’ai pas d’autre philosophie que d’être à fond, même si ça ne sert à rien, bien sûr, d’aller faire la bêtise de trop qui coûterait trop de temps de réparation. On a vu sur les départs des dernières transats que le paquet de 10-15 devant, quand ça part en survitesse, ça envoie du gros direct, il n’y a pas grand monde sur le frein, d’autant que quasiment tout le monde est qualifié. Ça va être une course sans retenue.
“Je me verrais bien enchaîner
un deuxième Vendée Globe”
► Avec tes deux victoires en solitaire, te voilà avec une grosse étiquette dans le dos de favori de la course, mais aussi du Vendée Globe, ça te convient ?
Ça me convient à moitié, mais cette étiquette, on l’a cherchée et on l’a trouvée. Maintenant, je n’y accorde pas plus de valeur que ça, je pense qu’on est aujourd’hui 7-8 aux avant-postes en permanence, bien malin sera celui qui pourra dire lequel sera le vainqueur du Vendée Globe, ça se joue tellement sur des détails techniques que tu peux vite passer de la première à la cinquième place. Et ce n’est pas parce que tu as gagné deux courses que ça justifie quoi que ce soit. Pour nous, c’est plutôt rassurant, ça nous met en confiance, mais il ne faut pas que cette confiance nous détourne du travail qu’on doit faire d’ici le départ.
► Tu as beaucoup suivi le dernier Vendée Globe, notamment pour Tip & Shaft, aurais-tu imaginé, à l’époque, te retrouver aujourd’hui dans cette position de prétendant à la victoire de l’édition 2024 ?
C’est clair que c’était un peu difficile pour moi de me projeter. On était en période Covid, j’avais un projet Ocean Race qui avait capoté avec la Mirpuri Foundation, j’étais un peu perdu… La rencontre avec Paprec et Arkéa a été juste magique parce qu’on a réussi à mettre en place le projet dont je rêvais. Quand je me retourne et que je vois qu’en deux ans et demi, on a réussi à faire tout ça, je me dis que c’est assez exceptionnel. J’en suis le premier ravi, mais tout va tellement vite que je n’ai pas vraiment le temps d’analyser tout ce qui s’est passé. On est déjà dans le Vendée Globe, dans l’année 2025 et même au-delà, c’est génial !
► Justement, quelles sont tes envies pour la suite ? Un deuxième Vendée ?
Le projet est engagé jusqu’à fin 2025, donc on a déjà un beau programme l’année prochaine, le Fastnet, The Ocean Race Europe et la Jacques Vabre. Maintenant, on se projette, bien sûr, beaucoup de personnes dans l’équipe et chez nos partenaires ont envie de continuer, on est très actifs sur le sujet ! On n’a aujourd’hui aucune certitude, mais si tu me demandes mon avis, oui, je me verrais bien continuer en Imoca et enchaîner un deuxième Vendée Globe, surtout si c’est avec la même équipe, un bateau de la même qualité et la même envie. Après, je me réserve le droit de te répondre après le premier, car c’est une décision de vie importante et un projet lourd à porter.
Photo : Julien Champolion / Polaryse