Sorti de chantier le 21 août dernier, Charal, premier Imoca nouvelle génération conçu pour Jérémie Beyou, a marqué les esprits avec ses formes de carène et ses longs foils. Vincent Lauriot-Prévost, dont le cabinet VPLP a dessiné le bateau, décrypte ce premier 60 pieds post Vendée Globe pour Tip & Shaft.
Vincent, comment avez-vous abordé ce projet Charal chez VPLP ?
L’esprit général, c’était de réfléchir à un foiler dès le départ, et non, comme il y a quatre ans, en rajoutant des foils sur une carène avant de les tester pour savoir si ça allait apporter un réel plus ou pas. En 2014, notre credo c’était puissance et légèreté, alors que, cette fois, nous transférons la puissance aux foils. Si bien que ce n’est plus la puissance de la carène que l’on recherche, mais la réduction de la traînée et la légèreté. Pour schématiser, on a remplacé la puissance par la traînée.
Quel était le cahier des charges de Jérémie Beyou et de son équipe ?
C’était de faire un foiler quand même très polyvalent, ce qui veut dire que nous n’avons pas fait des choix 100% guidés par les routages d’un Vendée Globe. En général, sur un tel parcours, on a pratiquement 70% de vent au-dessus de 13 nœuds, entre 70 et 150° du vent réel avec, à côté, des phases où il y a moins de vent et des phases où on est plus au près. Jérémie n’avait pas envie de se retrouver avec un bateau fortement pénalisé dans certaines zones de transition, notamment pendant les trois-quatre jours de la remontée de l’Atlantique le long du Brésil – soit environ 5% du temps – le risque étant de lui faire perdre l’avance qu’il est censé avoir accumulée au Cap Horn.
Etes-vous parti d’une feuille blanche ou d’un bateau existant, comme Hugo Boss, le plus typé de la précédente génération ?
Nous travaillons toujours à partir d’un référent, en l’occurrence c’était effectivement plutôt Hugo Bossque Banque Populaire [devenu Bureau Vallée, NDLR], car il nous paraissait être plus dans l’approche que nous souhaitions développer pour Charal. Banque Populaire avait été conçu avant même que la jauge ne soit complètement écrite et avant même la certitude qu’il serait assisté de foils : il était très large avec une coque très puissante, alors que pour Hugo Boss, lancé plus tard, nous avions déjà bénéficié des retours des premiers Imoca munis de foils.
Les lignes de Charal sont très tendues, avec une étrave frégatée et une carène resserrée vers l’arrière, peux-tu nous expliquer ?
L’objectif est de réduire la traînée, donc d’avoir une carène qui évolue à des angles de gîte sans doute moins faibles que ceux que nous avions auparavant. Nous avons été chercher une largeur à la flottaison plus extrême qu’avant et on accepte de perdre de la stabilité de forme grâce aux foils. Effectivement les sections arrières sont assez tendues lorsque le bateau est à plat et plutôt rockées lorsque le bateau est gîté.
Le bateau est-il plus léger que ceux de la génération précédente ?
Nous ne sommes pas forcément beaucoup plus légers, parce qu’on a un forfait de masse foils, puits de foils et renforts de coque dans l’environnement des puits de foils nettement plus important. Ce qui nous a poussés à chercher à gratter absolument partout pour compenser cette augmentation de la masse.
A quel moment arrête-t-on de gratter dans la carène ?
La limite est le temps et l’argent. A un moment donné, au bout d’une quinzaine d’itérations de coque, il a fallu s’arrêter, faire un bilan et choisir. Si on avait eu deux mois de plus et un budget correspondant, on aurait pu continuer deux mois.
Parlons des foils, dont la taille et la forme impressionnent, quel en était le cahier des charges ?
L’idée, c’est de déjauger à partir de 12-13 nœuds de vent. Mais ce sont des foils qui, clairement, ne seront pas forcément au max de leur envergure tout le temps, ils seront rétractés au-delà d’une certaine vitesse, c’est tout ce que nous sommes en train de définir avec Jérémie. Aujourd’hui, si on met ballasts pleins, quille max et foils déployés en entier, au-delà de 25 nœuds, les efforts dans le mât sont largement supérieurs à ce pourquoi il a été conçu, donc c’est un bateau qui demande un mode d’emploi. Nous avons en théorie des charts de tuning de ces éléments de performance ; désormais, il faut vérifier quelles sont les combinaisons les plus appropriées aux différentes allures et aux différentes vitesses du bateau.
Par rapport à la génération précédente d’imoca, quels sont les gains attendus pour Charal ?
Ce n’est pour l’instant que de la théorie, mais nous avons des cas de figure où nous arrivons à avoir un gain de traînée de coque – à certaines allures – de pratiquement plus de 10% ! C’est quand même beaucoup, et dans les phases de transition, dans lesquelles les anciens bateaux ne foilaient pas et où on va foiler, il y aura plusieurs nœuds d’écart.
C’est-à-dire ?
Ça dépend, mais je pense que nous pourrons avoir des coups de pied aux fesses de 2-3 nœuds.
Vous avez fait tourner des routages sur un tour du monde, en combien de jours Charal pourrait-il boucler le Vendée Globe ?
On espère 70 jours, là, où, pour Banque Populaire, on estimait à 75 jours [pour un temps final légèrement supérieur à 74 jours, NDLR]
Sur le dernier Vendée Globe, les marins naviguant sur les Imoca à foils s’étaient beaucoup plaints de inconfort, qu’en sera-t-il sur un bateau comme Charal ?
L’inconfort provient beaucoup de la vitesse, donc comme Charal est fait pour aller plus vite, il sera plus inconfortable, les effets d’accélérateur/coup de frein seront assez forts. En revanche, il y aura un jeu d’amortissement, dans le sens où quand le bateau retombera sur un foil, le foil amortira plus la retombée.
Charal pourrait-il être compétitif sur la Volvo Ocean Race ?
Les réponses dépendront de la jauge Imoca/Volvo qui n’est pas encore sortie. Aujourd’hui, je peux dire que ce bateau pourra faire la Volvo Ocean Race, on peut se mettre à cinq dedans, même si ça ne sera pas très confortable et que le plan de pont n’est pas vraiment conçu pour ça. Maintenant, je ne suis pas sûr que ce soit le bateau de la gagne. Parce que si on veut gagner la Volvo, il faut faire un bateau spécifique, plus polyvalent : sur le Vendée, on a 70% de reaching et de portant, alors que sur la Volvo, les parcours sont plus variés. A un moment, on risque de ne pas être très content d’avoir pris des options débridées à outrance…
VPLP travaille aussi sur le prochain bateau d’Alex Thomson, sera-t-il très différent ?
Sans trahir de secret, on est dans la même lignée, dans le sens où on conçoit un foiler et non pas un bateau assisté de foils. Donc on accepte clairement que si un foil casse, on ne court plus la gagne, ce qui n’était pas le cas précédemment, comme on l’a vu avec Alex qui arrive deuxième avec plus d’un demi-tour du monde sur un foil cassé. Après, Jérémie et Alex sont des gens assez différents, donc les bateaux le seront aussi.
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