25 solitaires prennent dimanche le départ de la Vendée Arctique-Les Sables d’Olonne, première des cinq courses qualificatives pour le Vendée Globe 2024 et l’occasion pour eux d’engranger de précieux milles (3 500 pour ceux qui finissent). Car, à deux ans et demi du départ de la course autour du monde, les candidats sont plus nombreux que les 40 places disponibles, d’où l’importance d’être bien placé dans la course aux milles. Tip & Shaft a enquêté.
A peine plus d’un an après l’arrivée du Vendée Globe 2020, l’édition 2024 est déjà dans le viseur de plus d’une quarantaine de skippers, récidivistes ou bizuths. Pour être sur la ligne de départ le 10 novembre 2024, ils devront se qualifier et être sélectionnés, deux principes bien distincts.
Pour être qualifié, l’avis de course, publié en octobre dernier (voir notre article), impose que chaque binôme skipper-bateau (identique à celui destiné au Vendée Globe 2024) prenne “le départ au minimum de deux courses” et “termine l’une de ces deux courses dans un temps de course inférieur ou égal au temps de course du premier de l’épreuve augmenté de 50%”, parmi cinq épreuves : la Vendée Arctique-Les Sables d’Olonne, la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, la course retour de la Transat Jacques Vabre (en 2023), The Transat CIC et New York-Vendée-Les Sables (2024).
Mais pour prendre le départ du Vendée Globe, la qualification ne fait pas tout : un système de sélection a été mis en place si le nombre de candidats devait excéder les 40, le maximum fixé dans l’avis de course par la Saem Vendée, organisatrice de l’épreuve (contre 34 en 2020, avec finalement 33 partants). C’est là que la course aux milles prendra toute son importance : s’ils sont plus de 40 marins à postuler, les concurrents seront sélectionnés sur le nombre de milles engrangés sur 12 courses des Imoca Globe Series. Des milles assortis d’un système de coefficients : 1 pour le solitaire, 0,5 pour le double, 0,25 pour The Ocean Race (dans la limite de 5 000 milles), la New-York-Vendée bénéficiant d’un coefficient de 1,5, car la Saem souhaite inciter les coureurs à disputer cette dernière répétition avant le Vendée Globe, qu’elle organise également.
Bateaux neufs : l’embouteillage
Tous les marins ne sont pas concernés. Comme en 2020, une prime a été mise en place pour ceux qui s’alignent avec un bateau neuf, mais avec une limite : selon l’avis de course, les 13 premiers bateaux neufs à “avoir pris le départ” d’une des 5 courses qualificatives citées plus haut seront assurés d’être sur la ligne de départ et donc dispensés de la course aux milles.
Au total près d’une quinzaine de projets sont concernés : 11th Hour Racing Team a été mis à l’eau en 2021, 7 Imoca ont été ou seront lancés cette année – pour Kevin Escoffier, Maxime Sorel, Jérémie Beyou, Yannick Bestaven, Sam Davies, Boris Herrmann et Paul Meilhat – au moins 6 devraient l’être l’an prochain – pour Charlie Dalin, Thomas Ruyant, Yoann Richomme, Eric Bellion (les moules sont en construction), Jörg Riechers et un troisième plan Manuard construit chez Black Pepper. D’autres projets existent pour Armel Tripon, et, dans le cadre de celui d’Eric Bellion, pour Jean le Cam (voir ci-dessous) et Martin Le Pape, qui nous a confirmé que c’était toujours d’actualité.
La présence sur le Vendée Globe pour les bateaux neuf mais mis tardivement à l’eau n’est donc pas garantie. Armel Tripon, forcément attentif à cette problématique, se veut néanmoins confiant : “Si on amorce la construction du bateau en septembre, on peut mettre à l’eau en juin 2023 et participer dans la foulée à la Transat Jacques Vabre et à la transat retour.”
Jörg Riechers, qui compte lancer dans le mois qui vient la construction de son plan Farr chez Persico (au lieu de Trimarine), et donc le mettre à l’eau en juillet 2023, est plus mesuré : “Je comprends les règles, mais c’est un peu stressant et ça peut dénaturer certaines courses dans la mesure où pour les projets comme le mien, qui arrivent un peu tard, on sera obligé de courir la Jacques Vabre et la transat retour vers Lorient en mode convoyage parce qu’il faudra absolument terminer en course pour se qualifier et accumuler des milles. C’est dommage sachant que l’objectif devrait être de prendre la mesure du potentiel du bateau.”
“Valoriser au maximum
l’assiduité”
Pour les bateaux d’occasion, qui ne peuvent bénéficier de cette règle, la course aux milles a débuté dès la Transat Jacques Vabre 2021, elle durera jusqu’à la New York Vendée 2024, l’objectif étant, selon Antoine Mermod, président de la classe Imoca, de “valoriser au maximum l’assiduité”. Nouveau venu sur le circuit, Benjamin Ferré, fait par exemple figure de bon élève, comme il le confiait mardi dernier dans notre podcast Pos. Report : “J’ai essayé de m’y prendre le plus tôt possible. Je vais faire toutes les courses Imoca jusqu’au Vendée Globe et je sais qu’en y parvenant, ça passera.”
Point important : la règle ne précise pas que ces milles doivent être obtenus avec le même bateau que celui du Vendée Globe. “Le fait de pouvoir engranger des milles en double et en équipage induit forcément que cela peut se faire sur des bateaux différents”, souligne Nicolas Lunven, remplaçant actuellement de Clarisse Crémer à bord de Banque Populaire. Le double vainqueur de la Solitaire du Figaro a ainsi couru la Guyader Bermudes 1000 Race et s’apprête à prendre le départ de la Vendée Arctique, ce qui lui permet d’accumuler des milles et de devenir plus attractif pour d’éventuels partenaires qu’un marin partant de zéro.
12 coureurs
à avoir fait le plein
Avant le départ de la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne, ils sont, selon le décompte de l’Imoca, 12 à disposer du maximum de milles possibles jusque-là (4 173), dont 3 qui n’ont pas participé au dernier Vendée Globe, Sébastien Marsset, Denis Van Weynbergh et Antoine Cornic. 25 auront l’occasion d’augmenter leur pécule sur les 3 500 milles de cette “VALS”, les absents, comme Sébastien Rouger, Tanguy Le Turquais, le Suisse Ollie Heer ou le Britannique James Harayda, prenant forcément du retard. “J’ai effectivement pris un peu de retard mais je ne me mets pas la pression, il y a le même type de qualification dans le circuit Mini”, commente Nicolas Rouger, qui a récupéré l’ex Campagne de France.
De son côté, Arnaud Dorange, impliqué dans le projet Vendée Globe de sa fille Violette, confie : “Cette course aux milles était très stressante quand tous les projets ont été annoncés, parce qu’il ne fallait pas être les derniers à partir, mais quand on voit qu’il n’y a aujourd’hui qu’une grosse vingtaine de bateaux qui courent, on est un peu moins inquiets. Après, ce que je comprends aussi dans cette histoire de courses aux milles, c’est que l’organisation du Vendée Globe veut des projets vraiment aboutis, avec des bateaux et des skippers affûtés.”
Tanguy Le Turquais, qui loue actuellement son bateau à Banque Populaire, faute de partenaire, se veut lui aussi confiant : “J’ai participé à la Transat Jacques Vabre et je sais qu’il faut absolument que je fasse la Route du Rhum pour être dans les temps. Je pense qu’on aura une vision plus claire après le Rhum : ceux qui, par exemple, auront abandonné ne seront pas dans une situation confortable.” Actuellement sur liste d’attente pour le Rhum, le Belge Denis Van Weynbergh (Laboratoires de Biarritz) confie quant à lui : “C’est un peu paradoxal que les courses qui comptent pour être au départ du Vendée Globe soient soumises à un nombre de places limitées. Maintenant, si je termine la VALS, j’aurai de l’avance.” Si les marins interrogés par Tip & Shaftfont part d’un certain optimisme, un skipper confie en off : “Un projet Imoca est tellement grisant qu’on en finit par tout relativiser une fois à terre. Pourtant, certains ne se rendent pas compte à quel point ça va être tendu.”
Pour qui la wild card ?
Si la barre des 40 projets au départ est franchie, une dernière place, la wild card ne sera “pas soumise à la règle de la sélection” et “laissée à la discrétion” de l’organisateur, selon l’avis de course. Certains regards se tournent notamment vers Clarisse Crémer (Banque Populaire), qui, en attente d’un heureux événement, n’a pas pu débuter sa course aux milles. “Avec l’actuel débat sur la place des femmes, on voit mal comment la Saem Vendée peut la lui refuser”, avance un skipper. Jointe sur le sujet, cette dernière n’a pas souhaité entrer dans le débat.
Un autre observateur ajoute : “Elle n’est pas la seule. Jean Le Cam, s’il met à l’eau trop tard, en aurait besoin aussi. Imagine-t-on un Vendée Globe sans lui ?” Interrogé par Tip & Shaft, le Roi Jean assure qu’il “ne mise pas sur une éventuelle wild card”, confiant dans ses chances de prendre part aux courses à partir de la mise à l’eau d’un bateau neuf, qu’il espère “au printemps 2023.” Et le quatrième du dernier Vendée Globe de préciser : “Je n’ai jamais été adepte des règlements figés qui ne correspondent pas à la réalité. S’il y avait eu ce type de sélection avant, je n’aurais pu participer à aucun Vendée Globe depuis le début.”
Photo : Jean-Louis Carli