Dernier arrivé du Vendée Globe 2016, Sébastien Destremau, 56 ans, s’élancera le 8 novembre pour un deuxième tour du monde à la barre de Merci, le bateau avec lequel Conrad Colman avait couru il y a quatre ans. L’ancien spécialiste de la Coupe de l’America, également ex-journaliste, s’est confié à Tip & Shaft à deux semaines du départ.
Peux-tu d’abord nous raconter la frayeur que tu t’es faite la semaine dernière avec ton moteur ?
On devait passer le test de 5 heures à 5 nœuds imposé par la classe pour avoir le certificat de jauge, nous l’avons raté à cause d’un problème de batterie, ce qui nous a mis dans une situation délicate, puisque nous étions à 24 heures de la date limite du certificat de jauge. Laura (Le Goff, directrice générale du Vendée Globe) et Jaco (Jacques Caraës, directeur de course) sont venus me voir en me disant que si je ne l’avais pas, je ne pouvais pas prendre le départ, mais ils ont plaidé ma cause devant les hautes autorités (qui ça ?) qui m’ont accordé un délai de quelques heures. Là, coup de chance, on est tombés sur un amateur éclairé à Nantes qui avait tout l’outillage et surtout les compétences pour solutionner le problème, ce qu’il a fait en trois heures. Du coup, nous avons quitté le quai à 18h, et à 23h42, avant l’heure limite de minuit, le test était passé, c’était chaud !
Ce projet de deuxième Vendée Globe a-t-il été compliqué à monter ?
Oui et non. D’un côté, ça a été beaucoup plus simple, parce qu’on savait faire, alors que la dernière fois, on partait d’une feuille blanche ; de l’autre, ça a été plus compliqué, parce que j’ai fait énormément de choses à côté qui m’ont pris plein de temps, mais que j’avais envie de faire parce que c’était le prolongement de mon Vendée Globe : un bouquin, des BD, des livres audio, une pièce de théâtre, des conférences, une ligne de bijoux avec ma clé des océans… Je ne me suis absolument pas polarisé sur la préparation du bateau et sur le fait de réunir les sponsors, je n’ai pas été 100% focus comme la dernière fois. Du coup, je me suis retrouvé dans des situations compliquées, comme celle de la semaine dernière. Je devrait être bien plus prêt, mais c’est de ma faute : il y a trois semaines, je me suis pris neuf jours off pour aller jouer ma pièce. A un mois du départ du Vendée Globe, ça ne se fait pas, mais moi, je l’ai fait… Ce n’est pas de la négligence, c’est juste comme ça que j’ai envie de vivre le Vendée Globe.
Combien de milles as-tu faits avant le départ du Vendée Globe ?
Que dalle ! Je n’ai fait que 3 000 milles… C’est clair que le bateau, je ne le connais pas assez, je suis de très loin celui qui a navigué le moins. Mais je vais avoir trois semaines avant de rentrer dans le dur du Vendée Globe, j’espère ça me suffira pour mieux le connaître. De ce que j’ai vu, il est facile, très sain, je ne suis pas inquiet, mais vu mon peu de préparation, je suis content d’avoir ces trois semaines de mer avant de rentrer dans le vif du sujet. Heureusement que le Vendée Globe ne part pas de Cape Town…
Le bateau a-t-il évolué depuis le Vendée Globe de Conrad Colman ?
Conrad était arrivé sans mât, donc on en a mis un nouveau qui a dû être adapté et tronçonné, mais c’est un super mât, construit chez Southern Spars pour Dominique Wavre ; comme il est beaucoup plus haut que celui de Conrad, plus de 2 mètres, on a ajouté 104 kilos dans la quille. Pour ce qui est des voiles, je n’ai conservé que deux gennaks et un spi de Conrad, la grand-voile n’a fait que la Route du Rhum avec mon ancien bateau, on l’a ajustée, seules les voiles de près sont neuves. Je vais d’ailleurs te raconter une anecdote dont je n’ai pas parlé : je devais faire ma qualif le 15 août, on avait mis le bateau à l’eau le 13 à Saint-Malo et le matin du 14, mes trois voiles d’avant avaient été volées ! Un J1 neuf, un super J2 et un J3 que je devais de toute façon changer ! Du coup, on a tout remplacé par des voiles neuves qu’on a essayées ce matin, ça a fait un petit trou dans la poche… Il y a aussi un truc qui me tenait beaucoup à cœur : on va installer à partir de lundi une casquette de protection en carton, avec de la résine dessus pour la rendre étanche. On verra si elle tient, mais la philosophie est intéressante, parce que je pense qu’on pourrait aujourd’hui faire en sorte que les Imoca développent beaucoup plus les matériaux bio-sourcés, au moins pour tout ce qui n’est pas structurel. A ce sujet, on a fait calculer par un partenaire, EcoAct, la totalité des émissions carbone du projet entre la Route du Rhum et la fin du Vendée Globe – soit 89 tonnes – pour que cette empreinte soit compensée à 100%.
Quel est le budget de ton Vendée Globe ?
J’ai dépensé, achat du bateau compris, 400 000 euros.
L’envie de repartir sur ce deuxième Vendée Globe est-elle revenue vite après le premier et que vas-tu raconter de différent ?
En coupant la ligne, j’avais déjà envie de repartir. Initialement, l’objectif était de raconter une histoire de famille avec mes trois frères ; ce projet ne s’est pas fait, mais ça ne m’a pas coupé dans mon envie et si j’y retourne, c’est pour répondre à une question que je m’étais déjà posée sur le premier : est-ce que je suis capable d’être au départ et à l’arrivée du Vendée Globe ? La dernière fois, c’était dans l’inconnue totale, cette fois, c’est la même question sauf que je sais ce qui m’attend. Pour ce qui est de l’histoire, je n’ai aucun plan ni ligne éditoriale, je raconterai ce que je ressentirai au fur et à mesure du parcours, les gens écouteront ou pas.
C’est uniquement une aventure personnelle pour toi, pas du tout une course ? Tu ne cherches même pas à faire mieux que la dernière fois ?
Ce n’est pas du tout une course, non. Je n’ai qu’un seul concurrent, c’est moi. Que je fasse 80, 100 ou 120 jours, 10e, 15e ou dernier, je m’en fous complet, ce n’est pas mon sujet. Tout ce qui compte, c’est de faire moins de 164 jours pour être classé. Je le fais pour moi et pour ceux qui regardent.
Tu n’aimerais pas un jour faire un projet plus ambitieux ? Quand tu vois les bateaux autour de toi, ça ne te donne pas envie ?
Je serais passionné de faire une Route du Rhum sur Hugo Boss ou Apivia, ce sont de véritables machines de guerre, mais un Vendée Globe, non. Parce que la Route du Rhum, c’est vraiment une course sur laquelle tu essaies de battre le voisin, de gagner. Le Vendée Globe, tu le gagnes ou tu le termines, et je sais que je n’ai absolument pas les moyens humains de le gagner, je suis trop vieux. Faire le Vendée Globe pour terminer dans la première moitié, ça ne m’intéresse pas, mais je ne dénigre absolument pas ceux dont c’est l’objectif. Je sais très bien que certains peuvent avoir du mal à comprendre pourquoi quelqu’un qui a régaté pendant vingt ans le couteau entre les dents fait autant volte-face, mais c’est le Vendée Globe qui a fait ça: quand je vois ce qui s’est passé pour depuis quatre ans, je me dis que jamais, je ne voudrais faire le Vendée Globe pour autre chose que mon moteur perso et pour ce que ça apporte aux gens. Pour eux, c’est quelque chose de beaucoup plus colossal que juste trois mois de mer, ça les touche profondément pendant des années, ça les marque, les imprègne, ils en sont tatoués.
Quand tu vois les autres skippers de ce Vendée Globe, te sens-tu du même monde ?
On va faire le même parcours, donc on est du même monde, mais la comparaison s’arrête là. Eux partent pour faire 70 jours, ils racontent une performance technologique et humaine, moi une aventure. C’est toute la beauté du Vendée Globe. Après, malheureusement, toutes ces grosses écuries, et c’est quelque part normal, tirent le truc vers le haut, j’ai un peu peur qu’on oublie les difficultés que ça engendre pour les petites écuries qui essaient de participer au Vendée Globe. Et pour revenir à ta question précédente, j’ai l’impression que c’est beaucoup plus compliqué cette fois qu’il y a quatre ans au niveau des règlements. Les barrières s’élèvent, le jeu se resserre, il n’y a plus beaucoup de place pour les gens comme nous. Cette année, il n’y a que Didac Costa et moi qui ont peu navigué.
Tu le disais au début de cet entretien, tu as fait beaucoup de choses depuis quatre ans, de la course au large, mais aussi des livres, du théâtre… c’est quoi finalement, ton métier ?
Bonne question ! Je n’en ai pas, je crois… partageur peut-être, si ça existe !
Photo : Christophe Favreau