Dix semaines après ton arrivée, que te reste-t-il de ton Vendée Globe ?
Ça a été une aventure incroyable, une mission commando pour réparer à Cape Town, pour repartir et pour aller au bout malgré la douleur. J’ai souffert physiquement avec mes deux côtes cassées, mentalement aussi, mais je devais aller au bout. Ni mon équipe technique, ni mes partenaires ne m’ont mis la pression pour repartir, et je les en remercie : ils attendaient que la décision vienne de moi. Or, la seule solution pour pouvoir continuer à naviguer, c’était de me “remettre sur le vélo” le plus vite possible. Avec ma première transatlantique, la Mini Transat – en 2001 -, ce Vendée Globe a été la course la plus dure de ma vie. Bien sûr, il reste une frustration de ne pas avoir pu participer à cette régate jusqu’au bout, mais finir a eu valeur de victoire. Et cela a permis de mobiliser et de bénéficier d’une solidarité incroyable : sur ce Vendée Globe, nous avons sauvé 102 enfants avec Mécénat Chirurgie Cardiaque.
Ton compagnon, Romain Attanasio, réfléchissait dès son arrivée à la suite à donner à son projet, était-ce aussi ton cas ?
Non, c’était tellement dur, tellement loin de ce que j’avais imaginé, que je ne pouvais pas me poser ces questions sur l’avenir. Il fallait finir et ne pas gaspiller de l’énergie à penser à la suite. J’étais assez traumatisée et j’avais besoin, avant tout, de digérer ce qu’il s’était passé.
Deux mois plus tard, où en est ta réflexion ? Et celle de tes partenaires ?
J’ai très envie de repartir ! Je sais qu’il y a tout un travail de remise en confiance à faire, il faut que je navigue à nouveau, pleine balle ! Nous sommes toujours en discussion avec les partenaires, mais ils étaient tous très satisfaits et contents avec ce Vendée Globe. Malgré l’abandon, ils ont beaucoup apprécié cette aventure autour du monde. Les retours sont très positifs et le fait de continuer hors course a été un succès. Je suis donc optimiste pour la suite.
se battre à armes égales”
Nous nous sommes surtout concentrés sur la prévention des risques de collisions. Le bateau était déjà équipé du dispositif Oscar (caméras servant à détecter des objets flottants non-identifiés) et nous avons ajouté Whale Shield (un « pinger » dans la quille qui émet des ultrasons pour éloigner les cétacés) et je continue à travailler avec Madintec sur un module d’évitement.
Tu participeras cette année à la Transat Jacques Vabre. As-tu avancé sur le co-skipper qui t’accompagnera et quelles seront tes ambitions ?
Oui, nous n’allons pas tarder à l’annoncer. Le point essentiel, c’est d’être associé à un skipper d’expérience qui peut contribuer à ma remise en route. Ma première ambition, c‘est de retrouver le mode régate et attaque. Depuis ma collision, ça m’a manqué ! Par ailleurs, je sais que je n’ai pas tout appris sur le bateau, qu’il a encore un potentiel inexploré.
Tu es très élogieuse sur ton bateau, rêves-tu néanmoins d’en avoir un nouveau ?
Mes sentiments sont ambivalents à ce sujet. Je pense qu’on a montré qu’on pouvait être compétitifs avec ce bateau, mais parfois, c’est frustrant de ne pas se battre à armes égales avec les Imoca plus récents. Il y a toujours ce petit plafond de verre : nous étions six femmes au Vendée Globe, trois avec des sponsors présents depuis plusieurs années, mais aucune n’avait un bateau pour la victoire. Et forcément, chez moi, il y a cette envie-là.
La nouvelle jauge prévue par la classe (2021-2025) vise notamment à maîtriser les coûts, cela va-t-il dans le bon sens ?
Oui, il y a cette ambition-là, nous en discutons beaucoup entre nous, mais quand on doit trancher, tout le monde regarde ses pompes ! Avoir un bateau neuf, c’est un rêve, mais c’est très difficile. Je pense qu’on aurait pu aller plus loin dans la limitation des coûts, parce que ce n’est pas évident de réunir autant d’argent. Concrètement, on a parlé de bôme et de safrans monotypes, ce qui aurait été très intéressant pour réduire les coûts, mais on n’a pas acté ces aspects-là. Avec l’équipe et nos partenaires, on cherche un moyen d’upgrader le bateau pour le prochain Vendée Globe et faire partie des favoris, mais c’est une mission compliquée parce que les coûts restent très conséquents.
Sur ces aspects, la jauge est vraiment intéressante : il reste encore beaucoup à apprendre et il ne faut pas gâcher une innovation qu’on ne maîtrise pas encore en voulant aller trop vite. Par ailleurs, j’ai connu un crash à haute vitesse et je ne suis pas sûre qu’on doive aller plus vite à tout prix. Qu’on aille à 30 nœuds ou à 35 nœuds, ça fait autant rêver les gens.
Selon toi, les bateaux de dernière génération alignés au départ du Vendée Globe étaient-ils trop extrêmes ?
Je pense qu’il y avait des bateaux neufs qui étaient très raides, très extrêmes, et d’autres qui étaient plus raisonnables. Clairement, si j’avais la chance d’acheter un bateau d’occasion de cette génération, il y en a certains que j’aurais déjà écartés de ma short-list ! Mais c’est normal et c’est génial : cela démontre que les bateaux peuvent s’adapter à chaque façon de naviguer. Ce qui est intéressant et excitant, c’est d’être dans une classe qui évolue et qu’il y ait beaucoup de designs différents. Aujourd’hui, on n’a pas encore convergé vers le design optimum, mais je pense que dans les prochaines années, on va encore progresser dans la maîtrise et l’apprentissage des bateaux de 2020.
Au-delà de ces aspects, quel regard portes-tu sur la classe Imoca ?
Le succès et la force du Vendée Globe ont eu un impact très positif et c’est vraiment ce qui contribue à la vitalité de la classe. Malgré les difficultés liées aux conditions sanitaires et économiques, les sponsors sont toujours présents, les projets nombreux, c’est très positif. En revanche, nous devons veiller à écouter tout le monde et pas seulement ceux qui crient le plus fort ou qui ont le plus d’argent. La force de la classe, c’est sa mixité, son ouverture à l’international et il faut s’atteler à maintenir ces aspects et encourager d’autres skippers à nous rejoindre.
Romain Attanasio vient d’acquérir l’Imoca de Boris Herrmann, es-tu prête à jouer dans la même catégorie qui lui ?
Oui, je trouve ça génial ! Je pense vraiment qu’il s’agit d’un des meilleurs bateaux de la flotte. Quand je naviguais à côté de Boris, j’avais du mal à aller aussi vite. Je suis très contente pour Romain, il a fait le bon choix. Et puis c’est sympa : on sait désormais qu’on va arriver en même temps !
ouvrait des opportunités“
Je suis toujours fan de la course au large, notamment en équipage réduit. J’aime beaucoup le Figaro, j’apprécie aussi l’évolution des Class40 et la Mini-Transat est toujours aussi excitante. Si je peux avoir des opportunités de naviguer sur ces bateaux, je fonce. Ce sont des classes où il y a de très bons marins, où le niveau est toujours très élevé, ça permet toujours d’apprendre et de progresser.
Un mot sur l’épreuve de course au large aux Jeux olympiques qui semble avoir du plomb dans l’aile. Comment as-tu réagi en apprenant la nouvelle ?
Je suis forcément déçue. J’ai pu constater, en Angleterre comme dans de nombreux pays, que cela avait contribué à relancer la course au large en équipage réduit. Ça ouvrait des opportunités, ça permettait de faire découvrir la discipline aux jeunes, aux femmes partout dans le monde et donc de créer des opportunités pour des marins. C’est dommage que ça ne soit pas le cas. Mais si cela a suscité de l’intérêt voire des vocations chez certains, ce n’est donc pas complètement un échec.
A propos de mixité, tu vas participer à des sessions de formation destinées à ouvrir la course au large à des navigatrices, organisées par le Magenta Project et Leyton, est-ce important de t’impliquer ?
Oui, dès que je peux, j’ai envie de m’investir et d’ouvrir les portes pour les filles. Il y a beaucoup de femmes qui m’ont donné envie d’être navigatrice et j’ai envie de transmettre désormais. J’ai envie de donner aux autres ce que j’ai eu, partager mon expérience parce que c’est essentiel dans le sport en général, et dans la voile en particulier.