Le départ de la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne est donné samedi à 15h30. Comme avant chaque grande épreuve, Tip & Shaft s’est entouré d’un panel de spécialistes pour évaluer les forces en présence. Ont accepté de jouer le jeu Antoine Mermod, président de l’Imoca, Tanguy Leglatin, entraîneur à Lorient, Christian Le Pape, patron du pôle Finistère Course au large de Port-la-Forêt, les marins Yann Eliès et Charlie Enright, ainsi que Gaël Robic, journaliste à France Télévisions. Tip & Shaft a également sondé les skippers toute la semaine lors des « Arctique Cafés », visio-conférences mises sur pied par l’organisation.
Après l’annulation de The Transat CIC et de la Transat New York-Vendée, la saison Imoca démarre samedi par cette nouvelle Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne qui emmènera les 20 marins (Alan Roura s’est retiré pour ne pas manquer la naissance de son premier enfant) sous l’Islande, puis aux Açores avant de revenir aux Sables d’Olonne. 20 marins dont 6 des 8 disposant d’un Imoca de dernière génération. Les deux absents dans cette catégorie sont Nicolas Troussel, encore au stade de la découverte de Corum L’Epargne, et Alex Thomson qui, pour expliquer sa non-participation, a notamment estimé que c’était “un risque non nécessaire, si près du Vendée Globe, d’emmener les bateaux plus au nord que le cap Horn n’est au sud”. Ce que comprend Yann Eliès : “C’est sûr que pour qualifier les gars, il faut les exposer, mais je ne vois pas trop l’intérêt de les envoyer en Islande, c’est trop loin, s’il y a de gros problèmes techniques, c’est une zone compliquée.”
Un Yann Eliès qui, comme la quasi-totalité de nos six spécialistes, voit trois solitaires au-dessus du lot : Jérémie Beyou, Charlie Dalin et Thomas Ruyant, le premier l’emportant, au cumul des podiums de chacun, d’une très courte tête sur le skipper d’Apivia. “Ce sont les bateaux neufs qui ont le plus navigué, ils sont éprouvés, avec des skippers qui les connaissent bien”, confirme le vainqueur de la dernière Jacques Vabre avec Charlie Dalin.
Pour Tanguy Leglatin, “la plupart des skippers ont besoin de terminer la course pour avoir des heures de navigation, peu sont en posture d’attaquer vraiment, sauf ceux qui, comme Charlie et Jérémie, ont la marge technique, la structure et la préparation pour vraiment être libérés psychologiquement”. Et l’entraîneur lorientais d’ajouter, à propos du skipper de Charal, placé trois fois sur six sur la plus haute marche du podium par notre panel : “C’est lui qui a le plus navigué sur son bateau et même s’il a une nouvelle version de foils qu’il doit encore apprendre à mettre au point, plein de choses sont aujourd’hui bien intégrées dans l’utilisation du bateau, Jérémie a encore un petit cran d’avance.”
ASSEZ LOIN DEVANT QUELLES QUE SOIENT LES CONDITIONS”
Reste que l’avance de Jérémie Beyou sur Charlie Dalin qui, mardi, disait viser “a minima le podium”, semble de plus en plus ténue, ce dernier bénéficiant pour combler son retard de l’expertise de Yann Eliès et de Pascal Bidégorry, Le Briochin confirme : “Le plus gros gain de Charlie, c’est qu’il a enfin eu le temps de faire un peu de perf. Il y a beaucoup de choses à comprendre et des petits plus à aller chercher lors de ces navigations qui te permettent, une fois en course, de savoir précisément sur quelles bases de réglages tu pars.” Gaël Robic, qui a navigué sur Apivia lors du dernier stage à Port-la-Forêt, a lui aussi noté les progrès du Havrais : “Ce n’est peut-être pas le bateau le plus rapide, mais c’est le plus homogène et le plus abouti dans le couple fiabilité/performance. Et Charlie commence à vraiment bien le connaître, les manœuvres sont fluides, propres, c’est beau à voir.”Mais celui qui a le plus tapé dans l’œil du journaliste de France Télévisions, c’est Thomas Ruyant : “Il était vraiment facile, assez loin devant quelles que soient les conditions. En plus, le type, physiquement, est sévèrement affûté. Et dans son discours, il a une approche qui dénote : c’est quasiment le seul qui dit qu’il vient pour gagner la Vendée-Arctique.” Ce que confirmait d’ailleurs le Dunkerquois cette semaine : “Tout est coché, j’ai envie d’en profiter en mettant de l’énergie et de l’envie. Je suis bien dans mes bottes.”
Derrière le trio Charal–Apivia–LinkedOut, aucun des trois autres bateaux de dernière génération au départ de la « VASO » (Arkéa-Paprec, L’Occitane et DMG Mori Global One) ne recueille les suffrages de nos experts, l’unique objectif de leurs skippers respectifs étant de finir pour valider leur qualification pour le Vendée Globe. “Il va falloir que j’arrive à mettre mon cœur de compétiteur de côté, confirmait jeudi Sébastien Simon. C’est frustrant, mais je n’ai pas d’objectif sportif sur cette course. Casser risquerait vraiment de compromettre le programme.” Même son de cloche chez Armel Tripon dont le plan Manuard est repassé juste avant la course par la case chantier suite à un choc avec un OFNI ayant endommagé le bordé tribord : “Il y a toujours le risque de se laisser emporter par la confrontation, mais c’est assez clair pour moi : mon seul objectif est de finir, je serai prudent.”Reste que leurs performances dans certaines conditions seront guettées de près. Tanguy Leglatin, qui a navigué sur L’Occitane, le juge ainsi très prometteur : “C’est un nouveau concept adapté de bateaux qu’on connaît dans d’autres séries [les scows développés en Mini 6.50 et en Class40, NDLR], il a sans doute une vitesse de pointe un peu moindre que d’autres, mais il est capable de tenir des moyennes élevées grâce à une facilité à la mer assez déconcertante, un peu comme le Maximum de David Raison, le père de tous ces bateaux.”
Pour ce qui est d’Arkéa Paprec, qui naviguera pour la première fois avec ses nouveaux foils en C taillés pour le portant et proches de ceux de Hugo Boss (ce qui le handicapera certainement pour le début de course au près), Yann Eliès note : “Je trouve qu’il a fait le bon choix, c’est exactement ce que j’aurais fait, j’aurais joué la carte du portant et des allures débridées à fond, parce que j’avais été impressionné par les performances d’Alex Thomson sur le début de la Transat Jacques Vabre.”
Les foilers de générations précédentes, dont certains sont désormais équipés de nouveaux foils (PRB de Kevin Escoffier, Initiatives Cœur de Sam Davies et MACSF d’Isabelle Joschke l’an dernier, Seaexplorer-Yacht Club de Monaco de Boris Herrmann cette année), pourront-il quant à eux encore rivaliser avec leurs successeurs ? “En cas de casse, ils peuvent viser le podium, mais sinon, il n’y a pas photo“, tranche Christian Le Pape, rejoint par Gaël Robic : “Si l’on ne tient compte que des bateaux, ils ne peuvent pas gagner. J’ai navigué avec Kevin Escoffier, tu as beau faire tout propre, être à 100% du potentiel du bateau, tu vois les nouveaux foilers partir, on est vraiment passé dans une autre dimension.” Le skipper de PRB ne disait pas autre chose cette semaine : “En 2019, on arrivait encore à suivre, là, ça devient plus compliqué, alors qu’on a pourtant gagné quelques pourcents avec les modifications faites sur le bateau.”
UNE VRAIE MATURITÉ AVEC SON BATEAU”
Antoine Mermod estime cependant que les conditions de course peuvent jouer en faveur des bateaux plus anciens : “Comme c’est une course qui va être assez ouverte avec des conditions météo très variées et un départ au près, je pense que ça va pas mal équilibrer les chances, il faudra suivre Boris, Kevin et Sam“. Dans ce match à trois, les avis divergent : “On a fait un bord de près sur PRB, on ne s’est pas quittés pendant deux heures et demie avec Sam et Boris, donc c’est plus la capacité du bonhomme qui va jouer et pour le coup, Kevin est assez impressionnant, il n’a pas navigué beaucoup mais il manœuvre bien, c’est carré”, commente Gaël Robic. Tanguy Leglatin ajoute: “Kevin a moins d’expérience en solitaire, mais il a beaucoup navigué pour préparer des gens à faire du solitaire, il a l’expérience du vent fort, des gros bateaux, de la technique, il coche beaucoup de cases.”
L’entraîneur lorientais pense cependant que Sam Davies “est un petit cran au-dessus de par son niveau d’expérience avec ses grandes ailes et de par sa propre expérience de l’Imoca en solo”. Antoine Mermod ajoute à propos de cette dernière : “Sam commence à avoir une vraie maturité avec son bateau, les grands choix ont été faits l’année dernière, on peut imaginer qu’elle va conserver cette avance par rapport par exemple à Boris qui a moins navigué.” Reste que les nouveaux foils de Malizia semblent booster le plan VPLP-Verdier de l’Allemand, ce qui faisait dire mercredi à Thomas Ruyant : “Je connais bien le bateau pour avoir fait la Transat Jacques Vabre 2017 avec, il a énormément progressé, il a vraiment franchi un nouveau cap.”
Pour Antoine Mermod, un autre skipper sur un foiler de génération 2015 (qui a gardé ses foils d’origine) peut jouer les trouble-fêtes sur cette Vendée-Arctique : Yannick Bestaven. “Yannick est un super marin, il a beaucoup navigué sur un bateau qui a été peu modifié, on peut imaginer qu’il va pouvoir l’exploiter à un haut pourcentage par rapport à d’autres qui ont des bateaux plus performants, mais sont encore dans une phase de préparation.”
Le tempo que les marins seront capables d’imprimer en fonction des objectifs qu’ils se fixent sur cette première course de la saison est finalement la grande inconnue, ce que reconnaît Antoine Mermod : “Les performances affichées sont assez stratosphériques, la question est de savoir si les skippers vont être capables de tenir et quelles priorités ils vont se mettre, cette confrontation va nous donner les premières grandes tendances.” Elle permettra sans doute aussi d’en savoir beaucoup plus sur les chances des un-e-s et des autres de briller sur le Vendée Globe. “Il y a quatre ans, Armel (Le Cléac’h) gagne The Transat, Jérémie (Beyou) la New York-Vendée devant Alex (Thomson), et à l’arrivée, ce sont les trois qu’on retrouve sur le podium du Vendée Globe“, conclut le président de la classe Imoca.
Le podium de nos experts : 1. Jérémie Beyou, 2. Charlie Dalin, 3. Thomas Ruyant