Trois semaines après l’arrivée de The Transat CIC, 28 skippers prennent le départ le 29 mai de la New York Vendée-Les Sables d’Olonne, dernière course qualificative pour le Vendée Globe. Comme avant chaque grande épreuve, Tip & Shaft a sondé un panel d’experts, composé de Charles Caudrelier, Armel Tripon, Alain Gautier et Tom Laperche, pour faire un état des lieux des forces en présence.
Un peu plus de cinq mois avant le coup d’envoi du Vendée Globe, la New York Vendée vient clore le processus de qualification et de sélection pour la course autour du monde en solitaire (voir le tableau). Sur les 42 candidats au départ de cette dernière, 28 prennent celui de cette transat, dont certains qui n’étaient pas de The Transat CIC, comme Thomas Ruyant et Sam Goodchild. Tous les favoris du Vendée Globe sont au rendez-vous et pour nos experts, ils voudront tous marquer le coup, d’autant qu’ils sont débarrassés des problématiques de qualification (les 9 derniers pas encore qualifiés n’ont qu’à franchir la ligne de départ pour décrocher leur sésame).
“Avec cette épée de Damoclès en moins, tu gères forcément différemment, ça change le niveau du curseur que tu vas mettre, je pense que dans la manière de pousser les options et les bateaux, ça va peut-être encore monter d’un cran par rapport à The Transat CIC”, note Armel Tripon, qui attend pour l’été prochain son Imoca Les P’tits Doudous, construit dans les moules de celui de Boris Herrmann. “Il n’y a qu’en course que tu tires vraiment sur les bateaux dans la durée, tu mets plus de toile qu’en entraînement”, ajoute Charles Caudrelier, skipper de l’Ultim Maxi Edmond de Rothschild [il a participé à une étape de la dernière édition The Ocean Race sur Holcim PRB, NDLR]. De son côté, Alain Gautier, team manager de MACSF [sa skippeuse Isabelle Joschke ne participe pas à la NY Vendée, NDLR], voit cette deuxième transat solitaire de suite comme “un super test, avec des bateaux quasiment dans leur configuration du Vendée Globe.”
“Thomas sait faire assez simple”
Dans ce contexte, qui nos experts voient-ils jouer le podium ? S’ils conditionnent forcément leurs pronostics à la météo, ils s’accordent tous pour placer aux avant-postes quatre marins, dans l’ordre Thomas Ruyant (Vulnerable), Yoann Richomme (Paprec Arkéa), Charlie Dalin (Macif Santé Prévoyance) et Jérémie Beyou (Charal). “Ce sont pour moi les quatre qui n’ont qu’un objectif quand ils prennent le départ d’une course, gagner“, confirme Charles Caudrelier. Thomas Ruyant devance d’une courte tête Yoann Richomme, le même Charles Caudrelier estimant que “c’est lui qui a le plus d’expérience et il gagne presque tout depuis trois ans, avec en plus un bateau extrêmement bien né.” Pour Tom Laperche, skipper de l’Ultim SVR Lazartigue et qui a lui aussi navigué à bord de Holcim-PRB sur The Ocean Race, “Thomas et son équipe ont été impressionnants en vitesse en remportant la Transat Jacques Vabre, et on sent qu’en solitaire, il sait faire assez simple et définir les bonnes priorités.”
Quant à Armel Tripon, il estime que le fait d’avoir fait l’impasse sur The Transat CIC peut être un atout : “Même si la course était assez courte, ça demande beaucoup de concentration, tu soumets le bateau à rude épreuve, ça peut laisser quelques traces, je trouve que ce choix de ne faire qu’une transat sur deux n’est pas idiot, il va arriver frais.” Alain Gautier ne partage pas cette analyse : “Sur une transat d’une semaine, il faut se mettre dans le bain tout de suite si tu veux jouer aux avant-postes. Quand tu en as fait une trois semaines avant, tu as tes repères, ce qui sera moins le cas de Thomas qui n’a pas fait le convoyage.”
Tous s’accordent en tout cas à dire que Thomas Ruyant, mais également Yoann Richomme, disposent avec leurs plans Finot Conq-Koch de machines redoutables – “invaincues depuis trois transats”, souligne Alain Gautier -, surtout si les conditions proposent du portant dans du vent fort et de la mer. “Ces bateaux sont très adaptés au solitaire, analyse Charles Caudrelier. J’ai navigué sur celui de Thomas, j’ai été impressionné par le confort, le passage dans la mer, les vitesses moyennes, il ne s’arrête pas, ça change tout ! Un bateau qui a une vitesse constante, c’est facile à régler, un qui s’arrête à 15 nœuds et repart à 30 nœuds, c’est ingérable. Il n’y a qu’à voir la trajectoire de Yoann sur The Transat CIC, elle est très lisse, avec peu de changements de voiles. Sur les fins de course, quand la fatigue commence à se faire sentir, ça fait la différence.”
Charlie Dalin “à 200%”
Sur les talons de Thomas Ruyant nos experts placent Yoann Richomme, qui, selon Alain Gautier, “est dans une période de sans-faute en solitaire, entre ses victoires sur la Solitaire du Figaro [2016 et 2019], la Route du Rhum en Class40 [2018 et 2022] et ses deux dernières transats en solitaire [Retour à La Base et The Transat CIC], cette succession de succès en solitaire sur trois supports différents est remarquable.” Armel Tripon ajoute : “Yoann sait placer le curseur au bon endroit, il n’a pas peur de mettre de l’engagement et il a su s’entourer d’une bonne équipe qui avait l’expérience de l’Imoca, c’est une bonne alchimie.”
Sur la troisième marche du podium, nos experts placent Charlie Dalin, quatrième de The Transat CIC après avoir mené en début de course et connu des problèmes techniques. “Charlie a un petit décalage avec les autres du fait de ne pas avoir couru les deux transats de fin d’année [pour problème médical], mais je ne pense pas qu’il faille remettre en cause la performance du bateau, commente Tom Laperche. Et je suis sûr que maintenant qu’il a validé sa qualification, il va être à 200%.”
Reste que nos experts estiment que le plan Verdier du Havrais accuse un déficit au portant. “C’est un bateau à la carène très tendue, qui joue à fond le décollage plus tôt ; sur mer plate et au reaching, il est redoutable, mais au portant dans de la mer formée, il est très dur, ça joue sur le mental et sur le stress mécanique”, analyse Armel Tripon. “Il a un bateau peut-être un peu plus difficile, mais il a aussi de gros points forts, notamment sur les départs où il peut y avoir du petit temps, tempère Charles Caudrelier. Et là, il est capable de faire de grosses différences.”
Beyou, “le couteau entre les dents”
Quid des autres prétendants au podium ? Quatrième au classement de nos experts, Jérémie Beyou, vite contraint à l’abandon sur The Transat CIC, “va avoir le couteau entre les dents”, selon Armel Tripon. Charles Caudrelier attend beaucoup de cette transat pour mesurer le potentiel de Charal avec ses nouveaux foils : “Ils avaient de gros points forts au près avec la V1, là, ils ont typé cette V2 au portant, on va voir si le gain compense ce qu’ils ont perdu au près.”
Egalement cité, Sam Goodchild (Vulnerable), Tom Laperche estimant que, “s’ils ont des conditions de glisse, avec du médium et une mer assez calme, il aura toutes les cartes en main, d’autant qu’en termes de compétences, il est au niveau des meilleurs.” Reste que, rappelle Alain Gautier, “Sam doit d’abord penser à finir car il n’est pas à l’abri au niveau des milles [36e]“. Boris Herrmann (Malizia Seaexplorer), deuxième de The Transat CIC, a également les moyens de remettre ça selon certains de nos experts, Armel Tripon expliquant que, “avec les nouveaux foils, ils sont en train de gommer leurs défauts tout en gardant leur avantage dans la brise.”
D’autres marins sont cités comme “des demi-favoris”, selon Alain Gautier, comme Yannick Bestaven (Maître CoQ), sixième de The Transat CIC, Nicolas Lunven (Holcim PRB) et la troisième de The Transat CIC, Sam Davies (Initiatives Cœur). “Dans sa tête et sa manière de naviguer, on la sent plus libérée, son bateau est maintenant bien abouti, elle sait qu’elle peut se reposer dessus”, note Armel Tripon. Pour Alain Gautier, “Sam a montré son talent et la capacité de son bateau à aller vite, est-ce qu’elle a pour autant les moyens de suivre le rythme de certains ?“ Question à laquelle Charles Caudrelier répond : “Boris et Sam ont de très bons bateaux pour le solitaire avec de super nouveaux foils, mais je ne les vois pas mettre la même intensité que les quatre favoris qui, pour moi, sont des tueurs.”
Le podium de nos experts : 1. Thomas Ruyant, 2. Yoann Richomme, 3. Charlie Dalin
Photo : Jean-Louis Carli / Alea