Black Pepper a annoncé cette semaine que Phil Sharp serait le skipper du troisième Imoca construit par le chantier nantais sur plans Sam Manuard – après L’Occitane (devenu Bureau Vallée pour Louis Burton) et Initiatives Cœur (Sam Davies). Un bateau, baptisé OceansLab, sur lequel il prévoit d’installer le système de pile à hydrogène qu’il a co-inventé et qu’il commercialise actuellement pour les secteurs de la plaisance et de la navigation commerciale. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec l’Anglais basé à La Rochelle.
► Peux-tu nous expliquer comment tu as structuré ton projet d’un point de vue financier ?
Pour la construction du bateau [coût, 5 millions d’euros, NDLR], l’objectif était de trouver un tiers du capital contre deux tiers de dette. Nous avons commencé le tour de financement avec un premier investisseur qui avait précédemment soutenu notre projet Class40 et a mis une somme qui nous a permis de lancer le projet, ce qui nous a vraiment aidés à le vendre auprès d’autres investisseurs. Le chantier Black Pepper est aussi un investisseur parce qu’il croit vraiment au projet et à la technologie de la pile à combustible à hydrogène que nous avons développée. Ils souhaitent l’adopter pour d’autres bateaux de série et des prototypes qu’ils produiront. Il s’agit donc d’une collaboration avec Black Pepper. Les deux autres tiers sont donc financés par une banque, ce qui est une façon classique de faire les choses, nous avons dû prouver que nous avions un soutien de base de la part de sponsors, nous annoncerons certains partenaires dans les prochaines semaines. La plupart de ces partenaires ont un lien avec le projet, que ce soit dans le domaine de l’hydroélectricité ou du transfert de technologie. Nous souhaitons vraiment partager notre vision de la décarbonation du secteur maritime.
► Quel sera le budget global de ce projet ?
Nous avons un budget cible minimum de 2,5 millions d’euros par an. Nous allons chercher à le développer tout au long du programme des Imoca Globe Series afin de pouvoir participer à The Ocean Race en 2027, pour laquelle nous viserons 3,5 millions d’euros par an, OceansLab est un projet de quatre ans.
► Quel serait le coût pour un sponsor titre ?
Nous envisageons 2 millions d’euros.
► Qu’est-ce qui vous a permis d’appuyer sur le bouton “go” début décembre ?
C’est à ce moment-là que nous avons trouvé le dernier investisseur et obtenu le feu vert de la banque. Cela nous a permis de signer le contrat de construction et donc de vraiment lancer le projet. En Imoca, tant que vous n’avez pas de bateau, ce n’est que du vent !
“J’aime l’approche pragmatique de Sam Manuard”
► Pourquoi le choix de ce bateau ?
Déjà parce qu’il était disponible, ensuite parce que j’aime bien le concept, j’ai beaucoup navigué sur des bateaux signés Sam Manuard auparavant, que ce soit en Mini ou en Class40, j’aime l’approche pragmatique de Sam que je connais depuis 2005. Je pense que ses bateaux sont un excellent concept pour le Vendée Globe avec une plateforme qui a une grande stabilité de forme et est plus facile à mener que d’autres designs, c’est un ensemble très polyvalent qui peut permettre de bien marcher sur le Vendée Globe.
► À quoi ressembleront les foils ?
C’est une évolution de ceux de L’Occitane (devenu Bureau Vallée), ils seront très proches de ceux de Malizia et d‘Initiatives Coeur. Nous n’avons pas vraiment eu le temps de concevoir nos propres foils, le temps est notre plus grand ennemi, nous allons donc travailler avec un package sur lequel Sam a beaucoup oeuvré.
► Quelles sont les différences entre OceansLab et Bureau Vallée et Initiatives Cœur ?
Comparé à L’Occitane, Initiatives Coeur est déjà différent, avec un mât plus incliné, la quille est plus en arrière et les foils ont une entrée plus basse, avec une nouvelle forme. OceansLab, qui est une V3, aura une entrée des foils plus lisse pour réduire la traînée dans les vagues et augmenter la portance. Il y a aussi un concept différent de répartition des ballasts et de système de barre. Et, bien sûr, OceansLab se distingue par notre système d’énergie à pile à hydrogène.
► En termes de poids, quelle est la différence par rapport à un moteur classique ?
Les piles à combustible sont plus légères qu’un générateur diesel, environ la moitié du poids, avec une efficacité presque double. Cependant, le stockage de l’hydrogène est plus lourd que le diesel – environ 2,5 à 3 fois de masse en plus – parce que les réservoirs contiennent de l’hydrogène sous haute pression (350 bars). Nous nous retrouvons donc avec un système global qui est peut-être 50% plus lourd qu’un système diesel classique.
“Avec Yannick, nous avons
des philosophies assez similaires”
► Quel va être ton programme ?
La mise à l’eau est prévue fin juillet ou début août, je vais ensuite participer au Défi Azimut, à la Transat Jacques Vabre [avec un co-skipper dont le nom n’a pas encore été dévoilé], puis à Retour à La Base en solitaire vers la France, avant d’enchaîner en 2024 les courses des Imoca Globe Series. C’est un programme assez complet, très intense, avec quatre transats en l’espace de neuf mois. Mais cela a toujours fait partie de ma philosophie de faire le plus possible de courses difficiles, ça permet de s’habituer à un état d’esprit de compétition au moment d’aborder les grands événements.
► Tu habites La Rochelle, Ton bateau sera-t-il basé là-bas et vas-tu t’y entraîner ?
Oui, le Centre Excellence Voile se développe très bien en ce moment à La Rochelle. Il y a de belles flottes en Figaro et de Mini, Il y a eu de bonnes sessions d’entraînement l’année dernière pour les Class40 avant la Route du Rhum et en Imoca, je pense que nous aurons quelques bateaux, deux ou trois anciens, celui de Yannick Bestaven et le mien, nous avons maintenant un ponton pour nous accueillir. Nous inviterons aussi d’autres personnes à venir nous rejoindre pour des séances d’entraînement.
► Connais-tu bien Yannick ?
Oui, nous nous croisons à La Rochelle. C’est intéressant car nous avons des philosophies similaires, des histoires parallèles proches aussi bien au niveau de la technologie que sur l’eau, en course. Il a réussi à développer une solution propre et à la commercialiser [les hydrogénérateurs, NDLR], tout en obtenant des résultats sur l’eau impressionnants. De notre côté, nous n’en sommes qu’au début de notre aventure avec les piles à combustible.
► Ton projet est donc rochelais ?
Il est international, nous ne sommes pas vraiment liés à un port spécifique. La Rochelle sera notre base d’entraînement. Mais nous avons aussi des liens forts avec Jersey et la région des Pays de la Loire, qui nous a aidés à démarrer l’activité. Et nous avons des partenaires internationaux.
Photo : Phil Sharp – OceansLab