Paul Meilhat

Paul Meilhat : “Quelque part, je suis dans le rythme”

A quelques jours près, Paul Meilhat aurait pu participer au Défi Azimut Lorient Agglomération qui se déroule du 10 au 15 septembre. Son Imoca Biotherm sera en effet remis à l’eau le 13 à Lorient, en attendant, une semaine plus tard, sa nouvelle paire de foils, lancée suite à la casse de son appendice bâbord sur The Transat CIC. Pour Tip & Shaft, le marin de 42 ans, qui s’apprête à disputer son deuxième Vendée Globe, revient sur ces derniers mois mouvementés.

▶ Peux-tu nous rappeler ce qui s’était passé sur The Transat CIC ?
Après une première semaine géniale, j’ai eu un choc au milieu de la course, pas très violent, puisque le bateau n’a pas vraiment ralenti alors que j’avançais à 22 nœuds, mais je me suis aperçu que le foil était abîmé. Comme j’avais eu le même truc sur The Ocean Race avant d’arriver à Itajai, j’ai réussi à mieux remettre le foil dans ses cales, il y avait aussi une voie d’eau, mais gérable. Même si j’étais très déçu parce que j’étais parti pour faire un bon résultat, je n’étais pas trop inquiet, mais quand on a sorti le foil le lendemain matin de mon arrivée, on s’est rendu que ce n’était pas le même truc qu’au Brésil. Les barreaux étaient beaucoup plus atteints, certains étaient non seulement décollés, mais aussi cassés à 90 degrés, donc ce n’était pas réparable sur place. On s’est alors posé la question de l’opportunité de réparer, mais c’était très cher et on n’était pas sûr du résultat avec ce foil qui avait déjà eu une faiblesse.

▶ Quelles autres options se sont présentées à vous ?
On a d’abord cherché à racheter des foils d’occasion, mais tu imagines bien qu’à six mois du Vendée Globe et avant la transat retour (New York Vendée), aucune équipe n’allait nous donner ses foils de spare. Donc très vite, on a travaillé sur l’hypothèse de lancer de nouveaux foils. Et on s’est dit que quitte à dépenser beaucoup d’argent, autant essayer de faire quelque chose de différent. D’autant que le design de nos foils était quand même très ancien et qu’ils étaient assez longs à produire. On a finalement trouvé la solution avec des foils Manuard, rapides à produire et qui avaient une géométrie qui rentrait dans nos puits. En plus, comme Initiatives CœursMalizia et le bateau de Phil Sharp étaient aussi équipés de ces foils, si on avait un gros problème au niveau de la production, on pouvait peut-être espérer en récupérer un. Le dernier avantage, c’est qu’on avait vu que Malizia, qui avait eu le même problème que nous lors du retour du Rhum 2022, avait réussi une implantation express à Alicante avant The Ocean Race, les foils s’étaient avérés très tolérants à l’angle d’implantation, donc on savait que ça marchait. La chance qu’on a eue alors, c’est d’abord qu’on a décidé super vite, ensuite que Sam Manuard a accepté, enfin qu’Avel Robotics n’avait pas de commande à ce moment-là. Donc moins d’une semaine après l’arrivée à New York, on avait commandé nos foils et Avel commençait à draper !

▶ Où en êtes-vous aujourd’hui des travaux ?
La partie structurelle dans le bateau est finie, il nous reste à conclure ce week-end la partie étanchéité de la boîte, on doit peser le bateau mardi avec le jaugeur de l’Imoca et on a programmé la mise à l’eau vendredi. On reçoit le premier foil le 16 septembre, le second une semaine plus tard.

“On serait très contents
de trouver 500 000 euros”

 

▶ Tu dis que ça coûte beaucoup d’argent, tu peux nous dire combien ? Et comment as-tu réussi à financer ces nouveaux foils ?
Je ne peux pas te donner le chiffre exact, mais une paire de foils, ça coûte environ 500 000 euros, et derrière, il y a tout le système de cale, les heures de modification du puits et de composite, un peu d’études, tu peux facilement rajouter 30%. On a réussi à faire un emprunt bancaire, c’est une prise de risques que j’ai voulue, pour moi, mais aussi vis-à-vis de mon partenaire, je me dois d’aborder le prochain Vendée Globe dans les meilleures conditions possibles. Ce qui est bien, c’est qu’aujourd’hui, les banques ont un niveau de confiance dans nos projets assez élevé, parce que le marché est assez dynamique et qu’elles ont compris que le bateau, avec ces nouveaux foils, prendrait de la valeur. Maintenant, on le dit depuis le début du projet, on cherche à compléter notre budget. Quand on a lancé le partenariat avec Biotherm, on a expliqué qu’on cherchait encore 25% du budget, ça fait trois ans que, malheureusement, on n’a pas trouvé un ou plusieurs partenaires pour prendre cette part. Mais on y croit encore et selon moi, tu as plus de chances d’y arriver en mettant de nouveaux foils et en faisant un beau Vendée Globe qu’en diminuant l’aspect performance. Je crois beaucoup en l’effet opportunité juste avant le départ, notamment pendant les trois semaines du village, tout est prêt, il n’y a rien de plus simple que de mettre un autocollant, même la veille du départ !

▶ Idéalement, il te faudrait combien ?
Si on trouve un million d’euros, ce serait super, mais on sait bien que là, ça implique plus d’anticipation et de déco sur les voiles. Mais on serait très contents de trouver 500 000 euros.

▶ Vu d’extérieur, on peut avoir du mal à comprendre que vous ayez des difficultés à boucler ce budget alors que votre partenaire, Biotherm, est propriété du mastodonte qu’est L’Oréal, qu’en dis-tu ?
Déjà, je trouve super que Biotherm ait décidé de revenir dans la voile. Ensuite, quand ils ont décidé de nous accompagner il y a trois ans, l’enveloppe était connue. C’est moi, en toute connaissance de cause, qui ai décidé de lancer un bateau neuf et de les embarquer sur The Ocean Race, donc on ne peut absolument pas leur reprocher quoi que ce soit et ils respectent le contrat. Et Biotherm, ça fait certes partie du groupe L’Oréal, mais ce n’est pas une énorme boîte.

“Relever de tels défis,
ça soude !”

 

▶ On a l’impression que depuis le début du projet, tu es lancé dans une espèce de course contre-la-montre, n’est-ce pas usant à la longue ?
Je m’attendais un peu à ce rythme, et je dirais qu’inconsciemment, je l’ai choisi, parce qu’en se lançant dans un projet si ambitieux avec le budget qu’on avait, on savait que ça allait à peu près se passer comme ça. Mais ça me plaît, c’est sûr qu’on touche souvent les limites, que j’ai pas mal de cheveux blancs, ce sont des années qui comptent double et je ne ferai sans doute pas dix autres projets comme ça. Il n’empêche qu’on a tous énormément progressé, que l’ambiance est extraordinaire dans l’équipe qui est très soudée et passionnée, parce que relever de tels défis, je peux te dire que ça soude ! Mais finalement, je pense que se préparer de cette façon pour le Vendée Globe, c’est génial, parce que le Vendée Globe, ce n’est que ça, tu n’as que des problèmes que tu règles les uns après les autres, tu es tout le temps fatigué, quelque part, je suis dans le rythme !

▶ Dans ces conditions, quelles sont tes attentes pour ton deuxième Vendée Globe ? Estimes-tu que tu as tous les moyens pour jouer la gagne ?
Tous les moyens, je ne peux pas dire ça. Quand tu mets dans un tableau tous les déterminants de la performance, je ne vais pas cocher toutes les cases. Entre cette histoire de foils et le budget qu’on n’a pas complété, on n’a pas pu faire tout ce qu’on voulait au niveau de la préparation et on ne va avoir que quatre semaines de navigation avec nos nouveaux foils, ce n’est pas idéal. Malgré ça, ces foils me paraissent être le bon choix, le bateau va avoir un comportement complètement différent, il sera beaucoup plus aérien. Je ne serai sans doute pas plus rapide en vitesse de pointe, mais ces foils rendent le bateau plus « quatre-quatre ». Et personnellement, je pense être le marin qui a le plus de milles depuis trois ans, j’ai donc l’impression d’être prêt et c’est selon moi la case la plus importante.

▶ Que t’inspire la concurrence ?
Quand je regarde le plateau, je vois qu’on est une vingtaine de bateaux équipés de foils de dernière génération, dont un bon paquet peut viser un podium. Quant aux nouveaux bateaux (nouvelles carènes par rapport au Vendée Globe précédent), j’ai l’impression qu’ils sont encore jeunes, je ne suis pas sûr qu’ils aient réglé tous leurs problèmes de fiabilité. Donc si les conditions dans la descente de l’Atlantique nous permettent de se retrouver tous assez proches en entrée de Grand Sud, tout sera ouvert.

▶ Te projettes-tu au-delà de ce Vendée Globe ?
Oui, bien sûr, déjà parce qu’on a un contrat avec Biotherm jusqu’à la fin de l’année 2025. On a vraiment une forte volonté d’aller faire The Ocean Race Europe, mais ça sera conditionné à notre recherche de budget complémentaire. Ensuite, si je ne me projette pour l’instant pas jusqu’au Vendée Globe 2028, sur The Ocean Race 2027, carrément ! On est en construction d’un projet pour la prochaine édition, c’est une course que j’ai adorée.

Photo : Anne Beaugé

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