Avec la pandémie de Covid-19 qui touche la planète s’ouvre une grande période d’incertitude pour le sport, à laquelle la voile de compétition n’échappe pas. Quels seront les impacts sur la discipline à court et à moyen terme ? Quels changements de modèles économiques s’annoncent ? Comment les courses doivent-elles se transformer ? Quels vont être les comportements des sponsors ?
Pour essayer de mieux comprendre ces nouveaux enjeux, Tip & Shaft a lancé une série de grands entretiens autour du futur des courses à la voile. Notre sixième invité, Paul Meilhat, vainqueur de la Route du Rhum en 2018, à la recherche de partenaires pour un ambitieux programme en Imoca, s’est beaucoup impliqué cette année au sein de la classe. Il est également engagé de longues dates dans les enjeux environnementaux.
Comment vis-tu cette période Covid, toi qui n’as pas de partenaires actuellement ?
Globalement, ce n’est pas de bol, parce que j’avais quand même des aspirations et que cette crise arrive à un moment où, effectivement, je n’ai pas de partenaires. Après, ne pas avoir de sponsors, c’est arrivé à tout le monde dans la course au large, donc je ne me plains pas. Je suis très content de ce que j’ai fait jusque-là et je sais qu’il faut se battre, ça a toujours été mon discours. Le projet reste donc aujourd’hui de continuer en Imoca, en participant à The Ocean Race puis en repartant sur un cycle Route du Rhum 2022 et Vendée Globe 2024.
Où en es-tu concrètement ?
Je n’avais pas de contrats signés, mais j’avais des pistes très avancées. Les discussions ne sont pas rompues, mais j’avoue que la situation actuelle remet quand même des choses en question : c’est aujourd’hui très difficile d’aller vendre des projets à plusieurs millions d’euros, ce n’est pas une période propice aux décisions. Il faut s’attendre à ce que la part du gâteau soit beaucoup plus restreinte dans les années à venir, mais on a vu que Romain Attanasio avait trouvé un partenaire dans ce contexte ; c’est hyper intéressant, c’est la preuve qu’il faut continuer à avancer et ne pas tout abandonner.
Tu parles de projets à plusieurs millions, la crise que l’on traverse n’est-elle pas l’occasion de réfléchir davantage aux moyens de limiter les coûts ?
C’est sûr que cette crise va forcément modifier des choses. On est peut-être allés trop loin dans les budgets des bateaux et je pense qu’aujourd’hui, il y a un vrai écho sur ce sujet. Tout le monde est conscient qu’il faut que ça coûte moins cher et qu’il faut faire les choses de manière plus intelligente et plus solidaire entre nous, au sein des classes mais aussi entre les classes.
Cette solidarité entre compétiteurs est-elle possible ?
Dans la course au large, on est une petite communauté, donc je pense qu’on a une meilleure capacité à s’adapter aux événements que les gros mastodontes du sport, on n’est pas les Jeux Olympiques. On s’en est rendu compte cette année à l’Imoca : la façon dont on a essayé de sauver la saison montre que notre modèle, qui repose sur une association de skippers, est efficace. L’intelligence collective, qui s’est dégagée des réunions que nous avons faites ces dernières semaines, a permis de prendre les bonnes décisions. Je trouve qu’il y a eu beaucoup de solidarité, alors qu’au début, ce n’était pas si évident, on s’est dit que ça allait partir en vrille. Et finalement, c’est hyper positif de voir tous ces Imoca qui se mettent à l’eau avec bientôt une course au mois de juillet qui sera peut-être alors le seul événement sportif en France. Transformer New York-Vendée en Vendée-Arctique nous a demandé beaucoup de travail, mais finalement, on voit que c’est possible. Et, derrière, le Vendée Globe sera sans doute l’un des seuls grands événements sportifs qui aura lieu cette année, donc si on est intelligents, on peut avoir les projecteurs braqués sur la course au large et ainsi montrer aux entreprises que l’investissement est bon.
Le Vendée Globe doit-il avoir lieu coûte que coûte ?
Je ne dis pas qu’il faille absolument qu’il ait lieu, tout dépend évidemment de la crise sanitaire. Mais s’il peut avoir lieu, ce sera une super victoire pour tout le monde : pour le public, mais aussi pour tout le secteur économique qui gravite autour de la course au large. Il faut un symbole, c’est important. Finalement, ça tombe presque bien pour la course au large que ce soit une année Vendée Globe, parce que ça permettrait de montrer que notre modèle économique peut s’adapter.
Depuis le début de nos entretiens, on entend beaucoup parler des engagements sociétaux et environnementaux que cette crise rend encore plus nécessaires dans les projets de course au large, quel est ton avis sur la question ?
Je n’ai pas envie de parler de monde d’avant et de monde d’après, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, il se passe quelque chose. Beaucoup de gens en parlent – et ça me fait plaisir, d’autant que je suis personnellement engagé sur ces sujets depuis pas mal d’années – donc j’ai l’impression que c’est un bon moment pour faire passer des messages. Maintenant, si ça ne reste que des messages et qu’ils ne se transforment pas en actes, ça ne sert à rien et on repartira comme avant. C’est pour ça qu’il faut profiter de cette période pour marquer ces engagements par des actions, c’est important.
Quelles actions concrètes mettre en oeuvre ? Notamment dans la classe Imoca, au sein de laquelle les objectifs sportifs ne sont pas les mêmes selon les projets ?
On a déjà avancé depuis deux ans avec le programme développement durable, dont je me suis pas mal occupé. Des travaux ont été menés pour augmenter la collaboration scientifique, beaucoup de skippers s’engagent et équipent leur bateau de capteurs pour accroître la connaissance des océans et montrer l’importance de la pollution. Maintenant, il faut qu’on soit encore plus exemplaires et qu’on aille plus loin : nous n’avons pas encore fait la démarche de travailler sur des bateaux moins impactants pour l’environnement. Il faut qu’on fasse travailler nos ingénieurs, qui sont super bons, là-dessus. Je pense qu’à travers de nouvelles règles, on pourrait les challenger pour qu’ils inventent des choses, à la fois pour aller vite mais aussi pour moins consommer. Il y a une capacité de réflexion énorme au sein de la course au large qui reste aujourd’hui essentiellement tournée vers la performance. Les évolutions technologiques font certes partie de l’ADN de l’Imoca, mais je pense qu’il faut les maîtriser et les rendre intelligentes, qu’elles ne servent pas qu’à aller plus vite. Il y a de nombreuses inventions dans la course au large, ce serait bienvenu qu’elles servent encore plus la société, via des transferts de technologie.
Ça passe donc pas des règles plus contraignantes à imposer au sein des classes de coureurs et chez les organisateurs de courses ?
C’est là que ce n’est pas facile. Il y a encore un an, tu aurais encore eu du mal à faire passer en AG des règles de « sustainability » ; aujourd’hui, les choses ont un peu changé, mais ce n’est pas encore la priorité globale de tout le monde. D’une façon générale, la solution est aussi dans la réduction globale des coûts : ça veut dire se déplacer un peu moins, avoir moins de logistique, ne pas envoyer des équipes et des containers partout, ne pas faire X paires de foils et X voiles, etc. C’est là-dessus qu’il faut travailler. Un mec comme Francis Joyon, avec son annexe sanglée sur son trampoline, montre quand même qu’on peut y arriver. Lui, quand il va aux quatre coins du monde, il a très très peu de logistique. Peut-être faut-il revenir au modèle de courses telles qu’elles existaient au début. Quand je vois le super film Mor Bihan de Nicolas Raynaud sur la Whitbread des Glandos, je suis un peu nostalgique de cette époque. Les mecs partaient autour du monde sans logistique, juste avec leur bateau, chacun se débrouillait et il y avait beaucoup d’entraide. Je trouve qu’on a beaucoup perdu cet esprit de solidarité, qui existe en Mini. Aujourd’hui, on fonctionne en silos, chaque équipe est un peu refermée sur elle-même, parce que la pression et les enjeux sont montés, on a perdu un peu ce côté communauté, contacts avec les amateurs. Petit, je me rappelle que tous les skippers pros se retrouvaient sur des courses comme le Spi Ouest-France, alors que maintenant, on ne se croise plus beaucoup.
On te sent très impliqué au sein de la classe Imoca sur tous ces sujets, c’était prévu ?
Comme je n’ai pas de partenaire, je suis disponible et ça me permet de garder un pied dans la classe. Et comme je ne fais pas le Vendée Globe, ça permet aussi à la classe d’avoir quelqu’un qui a un avis assez neutre et essaie de défendre au maximum les intérêts de l’Imoca. L’objectif, d’ici le Vendée Globe, c’est vraiment de faire naviguer les bateaux au maximum dans des conditions dures. C’est pour ça qu’on a autant travaillé sur la Vendée-Arctique ; on essaie aussi de relancer une petite campagne de records de 24 heures. L’idée, c’est d’occuper le terrain, de faire parler de la classe, mais aussi de donner un petit cadre pour inciter les gens à aller naviguer un peu loin des côtes et à pousser leur bateau dans les limites d’ici le Vendée Globe.
Quel est ton programme de navigation cette année ?
J’accompagne un peu l’équipe d’Initiatives Cœur pour préparer le Vendée Globe de Sam [Davies, avec laquelle il a couru la dernière Transat Jacques Vabre, NDLR], ça veut dire quelques navigations et un travail de routage avant le départ. J’avais des pistes en début d’année pour du Figaro, mais, finalement, je n’irai pas. Je voulais faire une Solitaire minimaliste, parce que je trouve qu’une saison coûte quand même extrêmement cher. Quand tu vois le prix d’un jeu de voiles, c’est assez dingue. Ma première Solitaire, je l’ai faite avec 12 000 euros, je ne dis pas que je veux la refaire comme ça, mais en dix ans, les budgets ont énormément augmenté. Là encore, il faut vraiment travailler ensemble pour diminuer les coûts. De toute façon, avec la crise, nous allons y être obligés.
Photo : Yvan Zedda #RDR2018