A quand remonte l’intérêt du groupe Dubreuil pour le Vendée Globe ?
J’avais 18 ans lors du premier Vendée Globe, je m’en rappelle de façon assez saillante, parce que j’avais accompagné à l’époque le bateau d’Alain Gautier. Après, en tant que Vendéen, connaissant bien la famille Laurent, j’ai toujours suivi d’assez près l’aventure PRB. Nous avions également eu une légère coopération avec le groupe VM quand il avait sponsorisé Jean Le Cam (sur le Vendée Globe 2008) et depuis, j’avais plusieurs fois été sollicité, mais sur des projets faiblement ambitieux.
Qu’est-ce qui vous a finalement poussé à franchir le pas ?
Il y a d’abord eu la rencontre, complètement par hasard sur un tournoi de tennis en Vendée, avec Sébastien Simon en 2018, juste après sa victoire sur la Solitaire du Figaro. Il m’a tout de suite plu, par ses compétences, bien sûr, mais aussi par sa modestie ; à l’époque, c’était quelqu’un d’assez timide, il a depuis pris de la maturité. Donc, ça a commencé par une sorte de flash avec lui qui m’a poussé à l’accompagner sur son premier Vendée Globe sous les couleurs d’Arkéa Paprec. La course s’est malheureusement mal terminée pour lui (abandon) et a été suivie par sa révocation brutale fin 2021. Je suis ressorti de cette expérience avec une grande frustration, dans la mesure où j’avais mis un peu d’argent en tant que sponsor minoritaire, mais j’avais eu très peu de considération des deux partenaires principaux et très peu de visibilité. Je me suis alors dit que si je devais y retourner, ce serait en maîtrisant complètement le projet.
Et quel a été l’élément déclencheur pour ce Vendée Globe 2024 ?
D’abord, Sébastien a été habile pour me tenir régulièrement au courant de ce qu’il faisait, ça a permis de garder ce projet en veille. Ensuite, en mai 2023, j’ai eu une discussion avec une collègue passionnée de voile qui a réussi à me convaincre d’y aller. Enfin, il y avait la célébration des 100 ans du groupe en 2024. Au début, quand j’en ai parlé à ma famille en assemblée générale, ils étaient assez incrédules et méfiants, mais ils ont fini par adhérer et j’ai envoyé un SMS à Sébastien le 19 mai 2023 en lui demandant s’il était toujours dispo et s’il pouvait nous trouver un bateau. Il m’a répondu oui aux deux questions, on a acheté dans la foulée 11th Hour Racing 2, qui était sur le point de gagner The Ocean Race. C’est finalement un projet simple, qui a démarré très vite, à la vendéenne, et 100% Dubreuil, puisque le groupe est propriétaire du bateau et assume l’intégralité du budget de fonctionnement.
“Le deal est largement rempli”
Le bateau, c’était 5 millions d’euros, et pour ce qui est du budget annuel, vu qu’on est une petite équipe, il est d’environ 1,5 million par an. C’est beaucoup d’argent, mais par rapport aux gros projets comme Charal ou Macif, je pense que c’est environ deux fois moins.
Sébastien semble bien parti pour terminer sur la troisième marche du podium, est-ce une surprise pour vous ?
Mon rêve absolu aurait été de gagner le Vendée Globe et je pense que si Seb avait pu garder ses deux foils [il a perdu son foil tribord dans le Grand Sud, NDLR], il jouerait aujourd’hui avec les deux autres [Charlie Dalin et Yoann Richomme], mais le premier objectif était de finir, le deuxième dans les dix premiers, c’était le deal avec lui. Aujourd’hui, sauf catastrophe, il est largement rempli. Pour moi, ce n’est pas une surprise, je savais que c’était un des meilleurs skippers du plateau, mais jusqu’ici, il n’avait jamais pu exprimer tout son talent à cause de soucis techniques. Il fallait réussir à trouver l’alchimie entre un très bon skipper et un très bon bateau, sur lequel on a beaucoup investi pour le fiabiliser. Après, il a quand même explosé le record de la distance parcourue en 24 heures en solitaire avec 615 milles, alors qu’il a eu un ofni pris dans la quille, ce qui l’a obligé à faire marche arrière ; sans ça, il aurait fait plus de 640 milles.
Donc ce Vendée Globe dépasse toutes vos attentes ?
En termes de résultats, oui, et au-delà de ça, les retours sont extrêmement positifs. On est une holding familiale, des gens plutôt discrets et peu connus – même si certaines de nos marques le sont, comme Air Caraïbes. Pour nos 100 ans, on a voulu mettre un coup d’éclairage sur le groupe, on peut dire que de ce point de vue, l’objectif est largement rempli, avec à date plus de 1 500 retombées presse. On a vraiment franchi une étape en termes de notoriété grâce à cette aventure. L’autre gros point positif, c’est pour l’image du groupe en Vendée. Comme on fait 3,5 milliards de chiffre d’affaires, on était un peu vus comme les capitalistes locaux ; avec cette aventure, j’ai vu le regard des médias complètement changer et être sympa avec moi, ce qui n’était pas toujours le cas jusqu’ici. Le fait d’avoir sorti de la difficulté un skipper qui, malheureusement et malgré son talent, n’avait ni bateau ni budget pour le Vendée Globe, nous a fait passer pour son bienfaiteur. Quoi qu’il arrive par la suite, on a contribué à montrer que Seb faisait partie des plus grands skippers français. Depuis quelques années, tout le monde disait que c’était un surdoué, il manquait juste de réussite, mon pari était que le vent allait tourner en sa faveur.
“On peut jouer en première division
dans une discipline saine”
On avait dit qu’on continuerait jusqu’à la Route du Rhum 2026. On verra si Seb a envie d’y retourner, mais pour l’instant, il ne cache pas que son but est de revenir en 2028 avec un objectif de victoire. On verra si on a les moyens de l’accompagner, sachant que ça veut dire un bateau neuf. Mon intuition aujourd’hui serait de continuer.
Etes-vous intéressé par The Ocean Race Europe et The Ocean Race ?
Non, j’ai dit à Seb que je voulais des épreuves avec des retombées pour nos marques, je trouve aussi que The Ocean Race est une course à casser le bateau. Donc, à son retour, il va déjà se reposer, ensuite, on fera le Fastnet, le Défi Azimut et la Transat Café L’Or, et on mettra le paquet en 2026 sur la Route du Rhum.
Trouvez-vous votre compte d’une façon plus générale dans l’univers de la course au large ?
Tout à fait. C’est un milieu de passionnés qui nous permet, avec des budgets certes significatifs mais relativement raisonnables à l’échelle de notre groupe, de jouer en première division dans une discipline saine, pas pourrie par l’argent ni par le dopage. C’est un sport dans lequel c’est l’homme qui, par ses décisions de routage, ses choix de voile, sa prise de risques, fait la différence, c’est passionnant. Ça ressemble un peu à la vie d’un chef d’entreprise : nous aussi, on prend des risques, des options plus ou moins payantes, je trouve beaucoup de parallèles, je suis franchement enchanté de l’expérience !