Après avoir gravi l’Everest en mai dernier, Maxime Sorel est redevenu complètement marin, focalisé sur son grand objectif de la saison, la Transat Jacques Vabre Normandie-Le Havre, qu’il courra avec Christopher Pratt. Depuis le Maroc, où il profite de quelques jours de repos, le skipper de l’Imoca V and B-Monbana-Mayenne a répondu aux questions de Tip & Shaft.
► On dit souvent qu’il faut six mois, voire plus, pour se remettre du Vendée Globe, en est-il de même d’un Everest ?
D’après ce que disent les professionnels de la montagne, oui, c’est quasiment pareil. Moi, physiquement, je m’en suis remis hyper vite, j’ai repris la navigation quatre jours après être rentré de la tournée des médias à Paris. Après, mentalement, ça a été plus compliqué que ce que j’imaginais. Au début, je naviguais, ça se passait normalement, mais au bout d’un moment, je me suis rendu compte que j’étais complètement bloqué, je ne ressentais aucune sensation, ce n’était ni bien, ni pas bien. Là-bas, tu es dans un tel niveau de contrôle que, une fois, redescendu, tu es un peu aux aguets, tu as toujours l’impression qu’il va t’arriver un truc, alors que c’est fini. Et une fois que tu reprends ton activité normale, tu es dans une gestion hyper neutre de tes émotions, un peu comme après le Vendée d’ailleurs. J’ai dû me faire accompagner par le centre avec lequel j’ai préparé l’ascension pour me reconnecter avec les choses. Je pense aussi que le fait de renouer avec la compétition sur le Fastnet a aidé. Jusqu’ici, on s’entraînait tout seuls, sans aucune confrontation, quand tu refais de la compet’, ça te permet de valider ce que tu as fait et de savoir pourquoi tu le fais, c’est à partir de ce moment que je me suis dit que j’étais sorti de cette zone de no man’s land.
► Tu as donc repris la navigation en juin, un an après la mise à l’eau de V and B-Monbana-Mayenne, avec du recul, as-tu le sentiment d’avoir fait le bon choix avec ce bateau (plan Verdier, sistership de l’ex Apivia devenu L’Occitane) ?
Oui, clairement ! A la base, on voulait prendre un foiler existant car on sortait du Vendée avec un bateau à dérives, une équipe jeune, je ne me sentais pas du tout de partir sur une construction. Mais à un moment donné, comme on a vu qu’il n’y avait pas de bateaux dispos, on s’est dit qu’il fallait faire un bateau polyvalent et bien construit pour ne pas perdre de temps, d’où ce choix dont je suis vraiment satisfait. MerConcept a fait un super boulot pour la construction, à l’arrivée de la Route du Rhum, on n’avait que trois bricoles à réparer et on est repartis direct ! En plus, c’est un bateau simple dans son fonctionnement – on l’a rendu encore plus simple en changeant la partie piano -, avec des foils polyvalents, ce qui fait qu’on trouve assez vite les manettes. Maintenant, voilà quinze mois qu’il est à l’eau et on n’a fait jusqu’ici que deux navigations avec de la vraie perf – c’est-à-dire sur un seul bord avec de tout petits changements de réglages et le traitement de données derrière -, c’est un truc de fou ! On savait, et on le disait à nos partenaires, qu’il nous fallait un an pour développer le bateau, on en est là.
“Le gap est plus dans la difficulté
à accepter la vitesse et les impacts”
► Tu as terminé 5e de la Route du Rhum l’an dernier, 4e cette année du Fastnet avec Christopher Pratt, est-ce désormais le type de résultats que tu vises ?
Oui, ça devient effectivement l’objectif. J’avais dit que je viserais le top 5 quand on a annoncé le lancement du nouveau bateau, je n’avais pas imaginé qu’il y aurait une quinzaine d’Imoca neufs construits ! Mais on est toujours dans cet objectif, ça nous va bien de nous battre avec les bateaux rapides, même si on ne l’est forcément pas autant que ceux de dernière génération [construits dans des nouveaux moules, NDLR].
► Dans quelles conditions êtes-vous moins rapides ?
Sur les bords appuyés au près, ils naviguent à 17-18 nœuds, ça, on ne sait pas faire. On a l’impression quand on force qu’on fait mal au bateau et nous, on se fait vraiment très mal. Au reaching, je pense que ça ne change pas, et au portant VMG, on n’a pas encore assez de recul, il faudra voir s’il y a vraiment une différence, surtout dans de la mer. Par rapport à mon précédent Imoca, le gap est plus dans la difficulté à accepter la vitesse et les impacts du bateau que dans la maîtrise pure. Maintenant, le Défi Azimut a été un bon exemple de la manière dont il faut gérer cela. Quand Corum a démâté, comme on ne voulait pas hypothéquer la Jacques Vabre, on a décidé sur le bord de portant un peu velu dans la mer de mettre une voile de capelage. C’était dur car on se disait toutes les heures qu’on serait mieux avec une voile plus grande, mais au final, on a réussi à revenir un peu dans le match sur le bord suivant et si la course avait été plus longue, on aurait recollé au paquet de devant. Donc quand je me projette sur le Vendée Globe, je me dis que la gestion de mon tour du monde ressemblera à ça, plutôt que d’être pied au plancher tout le temps.
“On construit un deuxième mât”
► Ce démâtage, il t’interroge ?
Oui, forcément, on est d’ailleurs sur le dossier depuis le début de l’année pour essayer de comprendre ce qui ne va pas. Je pense qu’il y a clairement une manière d’utiliser le mât qui fait qu’on atteint plus vite la limite ou pas, il y a par exemple des alarmes que certains mettent à 200 kilos de la rupture, nous, on est plutôt à 700. Je pense qu’on s’est posé les bonnes questions, ce qui ne nous empêche pas de craindre qu’il tombe à tout moment, c’est d’ailleurs pour ça que, suite aux deux démâtages sur la Route du Rhum, nos partenaires ont décidé de construire un deuxième mât, pour être sûrs d’être au départ du Vendée. On est aussi en train de se poser la question de mutualiser la fabrication de lattes de foils qui, si jamais on a un souci avant le Vendée, permettrait de faire un foil bâbord ou tribord.
► Sur la Jacques Vabre, le podium te semble-t-il à votre portée ?
Disons que ce n’est pas impossible, même si je pense que quinze bateaux sont capables de monter sur le podium, au point qu’on se retrouve un peu comme en Formule 1, quand certaines équipes font la fête quand elles rentrent dans les points [les dix premières de chaque Grand Prix, NDLR]. D’ailleurs, on parle du podium, mais il faut parfois ramener ça à l’échelle de notre équipe, qui reste petite, au niveau du nombre de personnes et des moyens financiers. Parfois, nous et nos partenaires, on oublie ça…
► Tu parles de moyens, tu te situes où par rapport aux autres projets Imoca ?
Je pense qu’on est dans les petits budgets des bateaux capables de faire un top 5. Je ne connais pas ceux de Guyot ou Biotherm, mais on se situe à peu près là. Nous, c’est 2 millions d’euros (par an), et là-dedans, tu en enlèves 1 qui va pour l’assurance et l’amortissement du bateau.
► Le fait d’être quasiment débarrassé des histoires de qualification [il lui faut juste prendre le départ d’une des deux courses qualificatives de 2024, Transat CIC et New York-Vendée, qu’il a l’intention de disputer, NDLR] et de sélection (voir tableau), te permet-il d’aborder cette Jacques Vabre plus libéré ?
Sans doute, oui, d’autant qu’on ne fera pas la course retour en solo (Retour à La Base), on a donc moins cette pression par rapport à d’autres. Ça ne veut pas dire qu’on va faire n’importe quoi, mais on a envie de voir les capacités du bateau, on va donc se permettre de tirer un peu plus dessus par rapport à ce que j’ai pu faire sur la Route du Rhum.
Photo : Gauthier Lebec