Un peu moins de deux mois après avoir pris la quatrième place de son cinquième Vendée Globe, en 74 jours et demi, Jérémie Beyou remet actuellement en route son projet Imoca, avec dans le viseur la Transat Café L’Or en fin d’année et la Route du Rhum-Destination Guadeloupe 2026. Tip & Shaft a échangé avec le skipper de Charal.
A l’arrivée du Vendée Globe, tu disais que ta quatrième place sonnait comme une victoire, peux-tu nous expliquer en quoi ?
C’est clair que sur cette édition, je venais chercher la victoire tout court, pas celle des 37 autres, derrière les trois premiers. Bruno Jourdren dit souvent qu’on ne peut pas être partout sur le plan d’eau, à un moment, il faut choisir, et si tu te retrouves collé du mauvais côté, il faut passer à autre chose, optimiser et sortir en tête du groupe dans lequel tu es. C’est ce qui s’est passé sur ce Vendée : avec d’autres, on s’est rapidement retrouvés séparés des trois leaders dans le Grand Sud, sans opportunité pour revenir. L’objectif est alors devenu de terminer premier de ce groupe. C’est ce que j’ai réussi à faire avec cette quatrième place, ce qui n’était pas évident, avec les Thomas Ruyant, Sam Goodchild, Nico Lunven, Boris Herrmann… C’est en cela que j’ai parlé de victoire.
Est-ce que ça a été difficile mentalement de faire le deuil de la victoire ?
Il y a eu plusieurs phases. Quand il a fallu négocier la fameuse dépression dans l’Indien, je savais que Charlie allait ressortir devant, mais j’étais vraiment dans l’action. Ce qui a été plus difficile, c’est que derrière, on a pris la dorsale plein fer, on ne pensait pas être ralentis aussi longtemps, ce deuxième effet kiss cool a été plus dur à avaler. Ensuite, je me disais qu’après le cap Horn, il y aurait peut-être des possibilités de resserrement, d’autant que lorsque je suis entré dans le Pacifique, je voyais les premiers buter au Horn. Mais rapidement, ce scénario est devenu obsolète, on a vu que ça allait s’ouvrir pour eux, et là, ça a été plus dur à vivre, je savais que c’était terminé.
En refaisant le match, as-tu des regrets de ne pas avoir pu rester au contact dans l’Indien ?
Ça ne se joue vraiment pas à grand-chose. Concernant Charlie, il a réussi à trouver une bonne cadence dès la sortie du Pot-au-noir, là, clairement, je n’ai pas réussi à l’accrocher en vitesse, les qualités de son bateau et la connaissance qu’il en avait ont parlé, il a été impérial. Je pourrais dire que c’est la faute à pas de chance, que le scénario a été injuste, avec ces 80 milles de retard qui se sont transformés en centaines, mais il était un poil plus rapide que moi et il n’a fait que faire fructifier son avance ; donc quelque part, on peut dire que je n’avais qu’à être devant. Maintenant, je ne suis pas le seul à avoir payé ce petit décalage, Thomas Ruyant a vécu la même chose alors qu’il était dans le coup, et honnêtement, l’enchaînement des phénomènes n’a vraiment pas été à notre avantage.
“En termes de potentiel,
on n’avait pas à rougir”
C’est le plus intense que j’aie vécu, parce que le niveau global et le nombre de bateaux et de skippers de top niveau ont clairement augmenté, avec en plus moins de pépins techniques. Et comme le scénario a fait que ceux de derrière sont toujours revenus sur nous, il a sans cesse fallu se remettre à l’ouvrage pour maintenir nos positions jusqu’au cap Finisterre, ça a été très long et usant ! D’autant qu’on a eu une grande instabilité au niveau de la météo, on n’a jamais eu de grands tronçons avec du vent stable.Vous aviez été les premiers il y a quatre ans à lancer la construction d’un nouveau bateau, signé Sam Manuard. A l’arrivée, ce sont trois Imoca de designs différents (Verdier et Koch-Finot-Conq) qui terminent sur le podium, vos choix ont-ils été les bons ?
C’est difficile à dire. Je pense que si je suis à la lutte au cap Horn, j’ai toutes mes chances derrière au près. Je ne l’ai pas été, donc on ne saura jamais, mais je suis content des choix qu’on a faits, de la fiabilité du bateau, des réglages qui nous ont permis d’avoir de bonnes stabilités de route. Après, notre bateau n’a pas gagné, on peut toujours faire mieux et il y a sans doute des choses que je ferais différemment, mais en termes de potentiel, on n’avait pas à rougir.
Que ferais-tu différemment ?
On avait une carène puissante qui avait un gros potentiel à partir d’une certaine gîte. Et au final, comme le dispositif des safrans fonctionnait très bien, on s’est retrouvés à naviguer plus à plat que ce qu’on avait imaginé, c’est d’ailleurs dans ce sens qu’on avait fait la V2 des foils, mais du coup, la carène était peut-être moins adaptée. Aujourd’hui, peut-être qu’on ferait une carène plus adaptée à une faible gîte pour mieux faire fonctionner l’ensemble.
Sur l’ensemble de la campagne, tu as signé beaucoup de places d’honneur, pas de victoires sur les courses majeures, qu’a-t-il manqué pour gagner ?
Comme je te le disais, on est dans du très haut niveau, avec un niveau moyen qui a largement augmenté ; sur la campagne d’avant, avec Charlie et Thomas, on trustait un peu tous les podiums, là, c’est devenu plus difficile déjà d’être sur le podium, donc encore plus de gagner. Ça se joue donc sur des détails, parfois à très peu, un brin de réussite par moments, des petits manques de fiabilité à d’autres. Sur la New York Vendée, ça se joue à 5 milles près dans un passage de front, sur la Jacques Vabre, sur une casse d’un câble, sur le Vendée, sur un retard de 80 milles qui te met hors-jeu pour la victoire. Mais je retiens surtout qu’il y a eu des podiums et un seul abandon, sur la Transat CIC pour une casse d’émerillon, on n’a jamais été en dehors du coup. La victoire va finir par venir, je n’en doute pas un instant.
“La Route du Rhum est dans
un gros coin de ma tête”
On est d’ores et déjà dans la préparation de la saison double et équipage qui va être une grosse bouffée d’oxygène après une année en solo. On attend la réponse définitive sur la tenue de la Bermudes 1000 Race début mai, on fera ensuite la Course des Caps, le Fastnet, l’Azimut et la Jacques Vabre [Transat Café L’Or], on ne fera pas The Ocean Race Europe, parce que le partenaire veut rester sur un programme plutôt français, The Ocean Race n’est pas non plus prévu. Et en 2026, il y a la Route du Rhum, qui est dans un gros coin de ma tête, on y travaille déjà. On n’a pas lancé de nouveau bateau, on ne va pas faire d’optimisations cette année, mais on y réfléchit pour l’hiver prochain dans l’optique de faire un gros score sur la Route du Rhum que je rêve de gagner un jour.Et à plus long terme, quelles sont tes envies, te vois-tu repartir pour une sixième campagne de Vendée Globe ?
Contrairement à la précédente, rien n’a été validé en amont avec Charal cette fois-ci, ça laisse à tout le monde le temps de réfléchir. A titre personnel, mon envie est de continuer à régater à haut niveau et de jouer devant, je ne suis pas rassasié de course océanique, de tour du monde. Si demain, j’ai l’opportunité de refaire le Vendée avec un bon bateau, une bonne équipe et les moyens de bien faire les choses, je reviendrai avec plaisir et motivation. Sinon, The Ocean Race, plutôt deux fois oui que non, et pourquoi pas de l’Ultim ou refaire du Figaro, qui me fait toujours rêver ? Mais pour l’instant, tout est en suspens, rien n’est décidé.
L’Ultim est une corde qui manque à ton arc ? En parles-tu avec Charal ?
Oui, c’est la seule expérience que je n’ai pas. C’est sûr que l’Arkea Ultim Challenge m’a bien fait tilter, ça change la donne et rend la classe beaucoup plus attrayante, je signerais des deux mains pour la faire. Aujourd’hui, ce n’est pas à l’ordre du jour côté Charal, je ne vais pas parler pour eux, mais mon analyse est qu’avec l’Imoca et le Vendée Globe, on a un circuit solide qui permet d’assurer des retours sur investissement intéressants aux partenaires. L’Arkea Ultim Challenge est un gros plus pour la classe Ultim, mais si tu te places du côté des partenaires, c’est dur de rivaliser avec le circuit Imoca.
Photo : Mark Lloyd / Alea