Mise à l'eau Imoca Charal 2

Jérémie Beyou : « Charal 2 a un profil particulier »

Dévoilé lundi dans une vidéo réalisée à l’aube quelques jours plus tôt, le nouveau Charal 2, plan Manuard construit chez CDK Technologies à Lorient, sera mis à l’eau lundi. L’occasion pour Tip & Shaft de s’entretenir avec son skipper, Jérémie Beyou, qui fait les présentations de son nouvel Imoca.

► Revenons d’abord sur la genèse de Charal 2, quel était le cahier des charges et le dernier Vendée Globe a-t-il influé sur les choix ?
Ce qu’il faut savoir, c’est que le projet Charal 2 a été lancé avec Sam Manuard et tout notre design team trois semaines avant le départ du Vendée Globe. Qui n’a été qu’une confirmation de ce qu’on avait déjà constaté avant, à savoir que les grands foilers pouvaient aller vite, mais qu’on avait des difficultés à avoir des moyennes élevées stables, notamment au portant. C’est vraiment dans ce sens qu’on a choisi l’architecte. On avait tous été bluffés par L’Occitane, son attitude, son passage dans la mer à plat. J’ai aussi pas mal discuté avec Armel (Tripon) qui m’a confirmé que le comportement du bateau était très sain. En plus, Sam est plus qu’un architecte, c’est aussi un super marin, qui sait rapidement joindre la théorie à la pratique parce qu’il navigue lui-même. L’idée, pour nous, était de garder un design team en interne assez conséquent pour faire évoluer le bateau en permanence, Sam était OK avec ce fonctionnement, il est venu tout seul, avec juste KND pour la partie simulations et performance, Gurit pour la structure et Nat Shaver pour le dessin des foils.

► Aviez-vous été trop radicaux avec Charal 1 ?
Ce n’est pas de l’amateurisme de dire ça, mais ces foilers étaient tellement nouveaux que c’était difficile de savoir exactement comment ça allait se passer dans l’Indien en solitaire, dans 35 nœuds au portant. Depuis, on a navigué, tous les modèles de simulation dynamique ont bien progressé, mais forcément, quand on regarde la version initiale de Charal 1on peut effectivement dire que c’était un peu trop radical pour ce parcours. On s’en est d’ailleurs vite rendu compte, et pendant les deux ans qui ont précédé le Vendée Globe, on a essayé de gommer tant qu’on a pu les petits défauts, notamment en reculant les poids, en modifiant l’étrave, les poids de lest et de ballast, en mettant de la quête arrière, on a vraiment bien progressé sur le comportement et la maîtrise du bateau.

► Avez-vous étudié beaucoup de formes de carènes ?
On est partis des deux bases qu’on connaissait, Charal 1 pour nous et L’Occitane pour Sam, on a essayé d’identifier les qualités et défauts des deux concepts. On a aussi étudié du plus large, du plus cubique, on a pensé à faire un « bustle » [sorte de coque sous la coque, comme sur les AC75 de la Coupe de l’America, NDLR], un peu comme on avait commencé à le faire sur Charal 1 mais de façon plus marquée à l’arrière. Des dizaines de carènes sont passées dans la moulinette. C’est d’ailleurs assez étonnant, car on est dans l’ère des foils, et au final, c’est sur la carène qu’on a le plus travaillé. Comme on n’en est pas encore aux bateaux volants, il faut vraiment arriver à soigner la puissance initiale pour se lever et faire en sorte, ensuite, de ne pas trop s’arrêter quand on retouche l’eau, la carène reste un élément hyper important en Imoca.

 

“Un bateau très rectangulaire”

 

► Peux-tu nous décrire celle de Charal 2, notamment par rapport à Charal 1 ?
C’est un bateau vraiment très rectangulaire, du tableau arrière jusqu’à quatre mètres de l’étrave. Ensuite, on est quasiment sur la largeur maximum de pont à l’avant, c’est beaucoup plus fin sur Charal 1. Vu de côté, on a le spatulage à l’avant qui est très prononcé ; combiné au fait que le bateau est assez étroit, ça donne une impression de vrai scow, je pense qu’on a été plutôt radicaux à ce niveau, le bateau a un profil particulier, je pense qu’il n’y en aura pas deux comme ça. Et le tableau arrière est très différent, on a beaucoup plus de puissance de carène en statique sur le 2 que sur le 1. Sinon, l’idée était de centrer et reculer les poids le plus possible, notamment le rouf, avec un cockpit encore plus petit que sur Charal 1, ça donne un pont comme une sorte de piste d’atterrissage et en termes d’aéro, ce n’est pas plus mal.

► Un mot sur ton cockpit, qui n’est pas complètement fermé contrairement à d’autres ?
Oui, c’est un peu le même concept que sur Charal 1, j’aime bien sortir un peu la tête et surtout avoir une vision de ce qui se passe sur le pont la plus complète possible. Comme on est tous sur l’idée de baisser le centre de gravité au maximum, le cockpit est au plus bas de ce que nous autorise la jauge, mais – je l’avais constaté en visitant L’Occitane – il est plus lumineux que sur Charal 1 sur lequel on avait beaucoup d’angles morts, on a une meilleure vision vers l’avant. Quant à la casquette, c’est la même que L’Occitane.

► Quels ont été les choix en termes de géométrie des foils ?
Les foils commencent à avoir tous à peu près la même géométrie. Ce qui va les différencier, c’est ta volonté de naviguer avec un bateau plus ou moins à plat. Pour nous, l’idée est de décrocher le moins possible, c’est pour ça que nos foils sont un peu en V, ils se régulent un peu tout seuls avec l’altitude, l’objectif est de naviguer plutôt à plat. On a essayé de ne pas trop perdre sur les allures de près ou de reaching, mais on a choisi la géométrie de foils qui nous paraissait la plus adaptée au parcours du Vendée Globe.

► Une deuxième paire est-elle déjà prévue ?
Oui, nous avons une étude en cours. On a besoin de naviguer avec le bateau avant de choisir le timing exact, mais dans l’idéal, ça serait bien d’en avoir une assez rapidement, d’autant qu’on n’a pas de foil de rechange en cas de casse.

 

“C’est hyper riche d’avoir
Franck (Cammas) à nos côtés”

 

► Quels gains de performance espères-tu par rapport à Charal 1 ?
C’est difficile à dire tant qu’on n’a pas navigué, mais au portant avec de la grosse mer, normalement, ils seront importants pour des questions de stabilité et d’attitude du bateau. Avec les précédents bateaux, tu n’arrivais pas à être à plus de 17 nœuds au portant dans 25 nœuds, c’était famélique ! Là, si on arrive à tenir ne serait-ce que 23 nœuds, le gain sera colossal !

► Penses-tu que tu pourras être performant dès la Route du Rhum-Destination Guadeloupe ?
Quatre mois pour préparer un bateau neuf, ce n’est jamais suffisant, mais je suis convaincu qu’on aura un bateau compétitif au départ du Rhum, l’idée est d’y aller pour faire un résultat. On a eu la chance de garder Charal 1 jusqu’au dernier moment, ce qui nous a permis d’avoir deux équipes, l’une dédiée à la construction du second bateau et l’autre de navigants qui a continué l’exploitation du premier. Si bien qu’on ne s’est jamais arrêtés, on est prêts et en ordre de marche pour mettre en route Charal 2, il n’y a pas eu cette transition qu’on a vécue il y a quatre ans, on va perdre beaucoup moins de temps, c’est vraiment un atout.

► A propos de navigants, ton équipe a-t-elle évolué ?
Oui, nos chemins se sont séparés avec Chris (Christopher Pratt), avec lequel on a vécu une longue et belle histoire et qui est sur la mise en place de son propre projet Vendée Globe. On a accueilli Kevin Bloch en début d’année, il prend en charge toute la partie performances de Charal 2 en remplacement de Nicolas Andrieu qui est désormais le patron du bureau d’études. Et nous travaillons avec Franck (Cammas). Il a cette capacité rare d’avoir un volet technique et des notions de design de très haut niveau, tout en étant un des meilleurs marins sur la place, que ce soit en équipage ou en solitaire. Il est dessus en permanence, sur tous les dossiers, avec lui, rien n’est oublié. Au point qu’à un moment, tu te dis : « Ça fait beaucoup ! » Mais il va savoir faire le tri à la fin, en fonction de ce qui est important. En hydro, dans l’ingénierie, en construction, il est incollable, c’est hyper riche de l’avoir à nos côtés sur la partie design, je lui laisse le soin d’annoncer son programme mais on espère qu’il trouvera du temps pour nous épauler sur la mise au point.

► Que va devenir Charal 1 ?
Le bateau est en cours de vente, il a un client qui annoncera son programme dans les semaines à venir.

► Tu as terminé deuxième de la Guyader Bermudes 1000 Race et de la Vendée Arctique, à chaque fois derrière Charlie Dalin, quel bilan tires-tu de ces courses et comment expliques-tu la domination de Charlie ? Par ses grands foils ?
Deux fois deuxième avec un bateau sur lequel on n’a quasiment pas fait de développement cette année, c’est hyper satisfaisant. Quant à Charlie, c’est un ensemble, s’il gagne, c’est qu’il est super bon et qu’il s’appuie sur une équipe qui lui met au point un bateau fiable. Après, à certaines allures, au près et de petit médium, la taille des foils est prépondérante – et il faut rappeler qu’il est dans la règle – tu ne peux pas lutter, parce que le bateau décolle plus tôt. Sur Charal 2, on a optimisé la carène et le profil des foils, mais à un moment, on restera en butée sur ces allures avec la jauge des 8 m3, par rapport à ApiviaBureau Vallée, mais aussi Arkéa Paprec, qui bénéficient de la clause d’antériorité. C’est pour ça qu’il faut bien se creuser la tête pour arriver à faire des bateaux qui vont plus vite !

Photo : Maxime Horlaville – PolaRYSE / Charal

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