Alors que le départ du Vendée Globe 2024 sera donné le 10 novembre, le cycle suivant se prépare déjà pour nombre de skippers et d’équipes, avec des constructions de bateau déjà lancées et un marché de l’occasion qui s’anime. Tip & Shaft fait le point.
Le 8 novembre 2020, au moment où les 33 skippers coupaient la ligne de départ du neuvième Vendée Globe, Sam Manuard commençait tout juste à plancher sur la conception de Charal 2, qui sera mis à l’eau en juillet 2022. L’objectif pour Jérémie Beyou et son équipe était alors de disposer du nouveau foiler pour la Route du Rhum 2022. Quatre ans plus tard, alors que le Vendée Globe 2024 ne s’est pas encore élancé, les projets concrets de bateaux neufs pour le cycle suivant n’ont jamais été si nombreux.
Un est déjà à l’eau, le plan Manuard OceansLab de Phil Sharp, qui n’a pas pu se qualifier à temps pour le Vendée Globe ; deux autres le seront prochainement : Les P’tits Doudous d’Armel Tripon, plan VPLP construit dans les moules de Malizia-Seaexplorer, attendu au printemps prochain, et le plan Verdier d’Elodie Bonafous, fabriqué dans ceux de Macif Santé Prévoyance, qui sortira de chantier au premier trimestre 2025. Pour ce qui est des autres futurs Imoca, Multiplast est sur le point de débuter la construction d’un nouveau plan Verdier pour Kojiro Shiraishi “et derrière, nous en faisons deux autres pour deux très belles équipes qui font un sistership”, précise Yann Penfornis, directeur général du chantier, sans dévoiler les équipes en question.
De nombreux acteurs du secteur indiquent par ailleurs que trois “slot” de construction ont été réservés chez CDK Technologies. “Ce n’est pas à moi de faire ce genre d’annonce, commente Yann Dollo, directeur général adjoint, mais on sent que l’intérêt pour l’Imoca est toujours fort, on a fait cinq bateaux pour cette campagne, on est capables d’en faire autant, voire plus pour la prochaine.” Force est de constater que les commandes de bateaux neufs pour le cycle suivant n’ont jamais démarré si tôt. “Cette anticipation est clairement le fait significatif du nouveau cycle 2028, confirme Romain Ménard, directeur de Team Spirit Racing, la structure qui gère le projet de Yann Richomme. Cela s’explique par plusieurs choses : l’engouement pour le Vendée Globe, la longueur de conception et de construction des bateaux et la montée en puissance du circuit Imoca qui fait que, en plus des histoires de sélection et de qualification, tout le monde a envie de faire des courses qui sont plus fortes qu’elles ne l’ont été avant.”
Anticiper pour The Ocean Race
Parmi ces courses, The Ocean Race, passée en Imoca lors de la dernière édition, compte pour beaucoup dans l’anticipation des commandes, le départ de la prochaine, en janvier 2027, imposant de démarrer tôt. “Un Imoca, c’est six mois de conception, deux de fabrication pour les outillages, un an de construction, soit quasiment 20 mois. Si tu veux faire The Ocean Race, tu n’as pas le choix de démarrer les choses avant le début du Vendée Globe”, explique Antoine Koch, architecte, avec le cabinet Finot-Conq de deux bateaux au départ du Vendée Globe 2024, Vulnerable de Thomas Ruyant et Paprec Arkéa (Yoann Richomme). “Ça démarre de plus en plus tôt car les équipes sont également attachées à passer plus temps sur l’eau en amont du Vendée Globe, les foilers étant des bateaux dont le mode d’emploi n’est pas super simple à trouver, ils demandent beaucoup de temps de fiabilisation et de mise au point”, ajoute David de Prémorel, directeur général de Finot-Conq.
Ce dernier et Antoine Koch font-ils partie des architectes déjà missionnés pour les bateaux neufs listés ci-dessus ? L’un comme l’autre ne souhaitent pas répondre, mais il ne fait guère de doute que Thomas Ruyant fera appel à leurs services pour son futur Imoca, annoncé pour 2026, la construction étant alors confiée CDK. Où serait lancé dans la foulée et dans les mêmes moules – là encore, personne n’a souhaité commenter – un bateau pour Boris Herrmann, les deux skippers ayant pour ambition de participer à The Ocean Race.
Toujours du côté de CDK, un bruit de ponton évoque un Imoca neuf à venir pour Banque Populaire. “Pas de commentaire”, nous a répondu Thierry Bouvard, le directeur du sponsoring et du mécénat du groupe BPCE, tandis qu’il y a un mois, Armel Le Cléac’h, interrogé par nos soins avant le départ de la Finistère Atlantique, avait confié : “Aujourd’hui, le Vendée Globe reste un événement majeur que Banque Populaire suit avec attention. On n’est pas présents cette année pour les raisons qu’on connaît, mais on regarde attentivement ce qui se passe sur le circuit Imoca. On va laisser passer cette édition et Banque Populaire communiquera après sur ses intentions de faire, ou non, un retour sur l’épreuve.”
Un attelage entre Banque Populaire et Franck Cammas, qui nous confirme que l’Imoca est aujourd’hui son “projet prioritaire, à condition que ce soit sur un bateau neuf et avec les moyens de jouer la victoire sur les deux grands événements, The Ocean Race et le Vendée Globe”, serait-il possible ? “Je connais très bien Ronan Lucas (directeur du Team Banque Populaire) qui est un ami presque d’enfance, mais pas de commentaire”, sourit l’Aixois, “à la recherche de partenaires”.
Les bateaux neufs ne seront
plus protégés
Pour ce qui est des deux « sisterships » évoqués par Yann Penfornis pour Multiplast, les rumeurs vont bon train, notamment sur un nouveau bateau pour Yoann Richomme (le premier a déjà été construit à Vannes). Une chose est certaine, le vainqueur de The Transat CIC 2024, qui disputera The Ocean Race Europe en 2025, ne cache pas ses ambitions de continuer après son premier Vendée Globe, et notamment de disputer The Ocean Race en 2027. “Il y a de l’appétence pour le projet du côté de Yoann et de l’équipe, ça résonne aussi fort pour les sponsors, parce que tu parles de huit à dix départs et arrivées, plus les in-shore, soit autant d’occasions d’activer le partenariat”, confirme Romain Ménard.
Interrogé dans Pos. Report mardi dernier, le directeur général de Paprec Group, Sébastien Petithuguenin, commentait quant à lui : “Sur ces projets, on ne peut pas acheter le temps, donc on est dans la projection de ce que pourrait être un nouveau bateau, les décisions d’en faire un ou pas sont en train de se prendre.” Parmi les autres skippers ayant fait part de leur intention de construire un nouvel Imoca, on trouve enfin Louis Burton qui l’avait annoncé en avril dernier, sans doute avec Sam Manuard. “On n’a pas encore amorcé la phase de travail, mais la volonté est là, ça démarrera en temps utile“, indique l’architecte.
En vue du Vendée Globe 2028, les bateaux neufs ne seront en tout cas plus exemptés de la course aux milles, article supprimé dans le nouveau règlement de qualification/sélection que la SAEM Vendée, organisatrice de la course, a prévu de communiquer lors de la semaine précédant le départ de l’édition 2024. “Le système en place a apporté plein de choses positives, avec plus de monde au départ des courses, des bateaux et des marins bien préparés, par contre, on a vu certaines limites, entre les deux démâtages de Louis Burton, les blessures, la maternité de Clarisse (Crémer), il y a aussi eu beaucoup de courses qui ont sollicité les skippers, l’idée est de proposer un projet qui réponde à ces limites“, commente le président de la classe Imoca, Antoine Mermod.
Le marché de l’occasion frémit
Cette exemption va peut-être doper un marché de l’occasion qui fait plus que frémir – 18 bateaux sont en vente à date sur le site de l’Imoca -, avec notamment un fort intérêt pour les foilers de générations 2020 et 2024 qui sont ou seront sur le marché. Selon nos informations, 11th Hour Racing Team a déjà préempté l’actuel Malizia-Seaexplorer pour Francesca Clapcich – jointe, cette dernière nous a répondu qu’elle “explorait les options, mais rien n’est encore confirmé”. Autres bateaux convoités, les deux Vulnerable de Thomas Ruyant (sur le marché fin 2025) et de Sam Goodchild, ainsi que DMG Mori Global One (plan Verdier 2019, mis à prix “à environ 4 millions d’euros”, selon l’équipe nipponne). Voire ceux de génération 2016 remis à niveau, comme l’actuel Groupe Apicil de Damien Seguin. La gamme de prix peut aller de 750 000 euros pour l’actuel bateau de Louis Duc à 5 millions, voire plus, pour la dernière génération.
Dans les acquéreurs potentiels, on trouve le Canadien Scott Shawyer, qui cherche avant cela à vendre l’ex Acciona (1,35 M€), Edouard Golbery, en quête de partenaires pour se lancer en 2026, ou Gaston Morvan, tout frais champion de France Elite de course au large et pas loin du but. “Il me manque encore un demi-budget pour faire quatre belles saisons dès 2025, avec un projet de rachat de bateau à foils de génération 2024.” Parmi les skippers que Tip & Shaft a contactés pour connaître leurs intentions post Vendée Globe, nombreux sont ceux qui souhaitent rempiler pour un nouveau cycle. C’est le cas de Maxime Sorel, dont les partenaires s’arrêteront après le Vendée Globe 2024, qui veut continuer sur son bateau actuel (plan Verdier de 2022), de Sébastien Marsset, Fabrice Amedeo ou Louis Duc, mais sur des Imoca plus performants – “J’aimerais bien accéder aux foilers”, confie ce dernier.
Certains ont également The Ocean Race dans le viseur, comme Yannick Bestaven qui “souhaite ensuite accompagner un skipper pour le Vendée Globe 2028”, Alan Roura avec le Swiss Offshore Team, Romain Attanasio qui s’inquiète cependant de voir “que l’économie se tend pour plein de raisons”. Enfin, il y a ceux qui ne pensent pas repartir dans l’immédiat, à l’instar de Tanguy Le Turquais, qui confie : “Je n’ai pas envie que le Vendée Globe devienne une routine et quelque chose de normal.”
Photo : Yann Riou / Polaryse