Imoca Corum

Frédéric Puzin : “On n’est pas dans le misérabilisme”

Lancé en 2020, le projet Imoca Corum L’Épargne a essuyé pas mal de déboires, entre un abandon sur le Vendée Globe pour son skipper Nicolas Troussel, de nouveaux pépins techniques l’an dernier et une 20e place sur la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Fondateur de Corum L’Épargne, Frédéric Puzin revient sur ce passé tourmenté et évoque la suite du projet.

Quel bilan avez-vous fait de l’année 2022 avec l’équipe Corum Sailing?
Je ne vais pas vous raconter de salades, on aurait aimé faire mieux. On fait une première course où on perd la quille (la Guyader Bermudes 1000 Race), ça aurait même pu être plus dramatique. Ensuite, on fait une Route du Rhum sur laquelle on finit complètement à la ramasse, avec plein de problèmes techniques à nouveau et Nico qui fait bien ce qu’il sait faire, mais qui doit se remettre dans le rythme et reprendre ses marques pour arriver au plus haut niveau. Donc on va dire que 2022 a été la saison de plus qu’on aurait aimé éviter.

Le partenaire que vous êtes se pose-t-il dès lors la question de continuer ?
D’abord, ce n’est pas un partenariat : c’est notre bateau et notre équipe, au sein de laquelle 16 personnes sont salariées, c’est un département de l’entreprise comme un autre. C’est clair que jusqu’à présent, ce projet n’est pour l’instant pas le truc le plus brillant qu’on ait fait, mais je me dis qu’il n’y a pas de raison qu’on fasse aussi mal que finir 20e sur la Route du Rhum avec les moyens mis en œuvre ; donc au final, c’est plutôt inspirant et ça oblige à se bouger. Mes entreprises ont toujours fait des pas de géant quand elles se sont prises des murs. Donc on n’est pas dans le misérabilisme, ce n’est pas parce qu’on s’est pris les pieds dans le tapis qu’on n’a pas le droit de se relever et de sourire. Et je peux vous dire que la cote d’amour du projet Corum Sailing Team au sein de la boîte est au zénith, les gens en sont fans, il nous a en plus permis de doubler notre notoriété, ce qui était l’objectif numéro 1. Ça pique de ramasser les bouées, mais ça fait partie du jeu ; et quand ça s’enchaîne, vous vous demandez comment vous y prendre pour faire mieux la prochaine fois, c’est l’attitude que nous avons.

Estimez-vous que vous être trompés sur le choix du bateau, qui, comme son sistership Arkéa Paprec (toujours en vente), n’a pas eu les résultats escomptés ?
On ne regrette pas du tout le choix de l’architecte (Juan Kouyoumdjian), mais comme on est partis dans ce projet très tard, fin 2018, je pense qu’il aurait fallu dès le départ avoir l’équipe en interne dont nous disposons aujourd’hui, avec un bureau d’études et des ingénieurs, pour challenger les choix techniques. Nous n’avions pas, à l’époque, les bons interlocuteurs pour discuter avec Juan, mais nous pensons que sur son design, il n’a pas fait plus mal que les autres. Il a fait moins bien sur certaines choses, sans aucun doute, mais aussi beaucoup mieux sur d’autres : au reaching et au près, par exemple, ce bateau a vraiment un truc, nous sommes aussi ravis du cockpit et de tout un tas de choses. Après, c’est sans doute le bateau qui a été le plus pénalisé au portant VMG par rapport aux carènes de 2020, ce que nous sommes en train de réparer. Donc globalement, nous sommes contents du design du bateau, le problème n’est pas là ; le problème, c’est la façon dont on le fabrique et là, c’est un autre sujet.

 

“Le niveau de difficulté technique
de ces bateaux a été mal appréhendé”

 

Que voulez-vous dire par là ?
Que ce n’est pas satisfaisant. Je vais être assez acide, mais je pense que le niveau de difficulté technique de ces bateaux a été mal appréhendé, c’est pour moi le sujet de fond. On ne met pas l’argent qu’il faut sur les modèles prédictifs de rupture de charge ou d’efforts dans les vagues, sur les recherches en termes de matériaux, de résistance… Je rêverais qu’à l’Imoca se pointe du jour au lendemain un Américain ou un Allemand qui dépense trois ou quatre fois ce qu’on a mis, parce que je pense qu’en termes de développement, sur les matériaux, la construction et la R&D, on ferait des bonds de géant. Si c’était à refaire – et la boîte n’avait pas forcément les moyens à l’époque -, je mettrais 5 millions d’euros sur la table pour aller chercher des compétences afin d’essayer de comprendre ce qu’on ne comprend pas aujourd’hui. Je pense qu’on est restés un peu dans l’artisanal, dans le bricolage, c’est mon seul regret. Ce secteur de la voile de compétition est en train d’apprendre des choses qui sont connues depuis très longtemps dans d’autres domaines. Vous imaginez si les avions cassaient aussi souvent que les Imoca ? Je vais vous donner un exemple : sur la Route du Rhum, une pièce faite par un sous-traitant connu et censée être incassable – elle équipe quasiment tous les autres bateaux – a cassé sur le nôtre [il ne souhaite pas dire laquelle, NDLR] ; au moment où elle a été révisée, deux ingénieurs de la Corum Sailing Team sont restés 48 heures chez le fabricant pour s’assurer que tout était fait correctement, la pièce a ensuite été passée aux rayons X. Et; à l’arrivée, elle casse. Il y a deux façons de voir ça : soit vous vous dites que c’est de la malchance, parce que vous êtes le seul à avoir pris la foudre, mais je ne me cacherai pas derrière l’absence de bol ; soit vous essayez de faire en sorte de ne pas prendre la foudre la fois suivante. Et donc de faire autrement.

C’est-à-dire ?
Aujourd’hui, on a décidé de reprendre tout, à notre façon et de fond en comble, avec une approche de l’aéronautique au niveau qualité, on a mis en place des méthodes et des moyens qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe. Ça ne veut pas dire que ça ne cassera pas à nouveau, mais on veut avoir notre propre méthode.

 

“Notre bateau, dans sa nouvelle version,
aura toutes ses chances”

 

Vous avez aussi décidé de considérablement modifier votre Imoca, pouvez-vous nous dire dans quel sens ?
D’abord, on coupe six mètres à l’avant du bateau pour refaire une étrave complète, ensuite, on déplace les puits de foils qui vont pouvoir accueillir aussi bien notre ancienne version de foils, que la nouvelle, et nous faisons aussi évoluer le roof. L’idée est de combler notre gros point faible, le portant VMG, sans altérer nos performances au près et au reaching. Sachant que le bateau aura toujours un parti pris d’avoir une carène très tendue sur l’arrière. L’avantage, c’est que ça permet au reaching d’être bien appuyé et d’avoir beaucoup de longueur à la flottaison ; l’inconvénient, c’est que ça peut continuer d’être un handicap au portant, mais on estime qu’on peut le combler avec nos nouveaux foils. Et je pense que c’est bien d’avoir un bateau un peu typé. Aujourd’hui, pas mal d’Imoca ont été pensés pour être un peu tout-terrain. Mais ce que j’observe, c’est que le Vendée Globe, alors que tout le monde parle du Grand Sud, se joue souvent dans la remontée de l’Atlantique avec beaucoup de transitions, ce qui nécessite d’avoir un bateau assez léger, toilé, qui puisse aller très vite dans le petit temps pour aller chercher un autre système. On considère que notre bateau, dans sa nouvelle version, aura toutes ses chances d’un point de vue architectural.

Quel surcoût entraînent tous ces travaux ?
C’est de l’investissement, mais globalement, sur tout ce qu’on a fait, en prenant 2021 et 2022, c’est entre 2 et 2,5 millions d’euros. C’est une dérive, mais ce n’est pas complètement délirant par rapport à l’ensemble du projet qui, sur quatre ans, était de 13 millions d’euros, tout compris. Et entre ça et faire un nouveau bateau, on a décidé de le garder, parce qu’on considérait qu’on avait beaucoup de choses à faire valoir avec et surtout, on l’aime, ce bateau !

L’ex Apivia été récemment remis sur le marché par Banque Populaire suite à « l’affaire Clarisse Crémer », vous y êtes-vous intéressé ?
Je vais vous dire autre chose : on nous l’a proposé. Mais dans mon métier, quand quelqu’un fait les choses mieux que moi, je ne me dis pas que je vais acheter ce gars-là, je regarde comment faire mieux que lui. Apivia est un très bon bateau, très homogène, ça a été une super formule avec Charlie Dalin, mais je n’aime pas forcément acheter une formule magique, car souvent, quand on l’utilise pour soi-même, on est très déçu.

Dernière question : avez-vous remis en cause le choix de Nicolas Troussel comme skipper ?
Au vu de nos résultats, toute l’équipe a eu à se remettre en cause et à progresser, c’est aussi le cas de Nico qui a avancé de son côté, mais non, la question ne s’est jamais posée.

Photo : Adrien François / CORUM L’Epargne

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