Sam Davies a signé vendredi dernier sa première victoire en Imoca en remportant la Drheam Cup-Destination Cotentin devant Isabelle Joschke et Yann Eliès. Une occasion toute trouvée pour s’entretenir avec le team manager d’Initiatives Cœur, David Sineau de l’évolution d’un projet qui devient au fil des saisons de plus en plus ambitieux.
Sam a remporté ce vendredi la Drheam Cup, cette victoire est-elle la récompense de la montée en puissance du projet Initiatives Cœur ?
C’est déjà une première victoire pour Initiatives Cœur et pour Sam en Imoca, donc ça fait vraiment plaisir à toute l’équipe, ça nous met dans une dynamique intéressante. Quant à la montée en puissance, je dirais qu’elle est progressive depuis 2014. A l’époque, quand Initiatives a proposé à Tanguy de repartir sur une campagne de Vendée Globe, il avait répondu : « OK, mais pas sur la même histoire », il voulait un bateau un peu plus performant. Avant, le projet était géré intégralement chez Initiatives, à partir de 2014, avec l’arrivée d’un deuxième partenaire-titre, K-Line, Tanguy s’est dit qu’il fallait créer une structure pour gérer le projet, c’est à ce moment-là que je l’ai rejoint et que nous avons peu à peu monté l’équipe. Je veux d’ailleurs lui rendre hommage car dès le début, même quand le projet avait moins de moyens, il a voulu le structurer comme un grand projet en faisant appel à un team manager, à un responsable de bureau d’études, à un boat-captain… il n’a pas pris trois copains préparateurs. Après, sur le dernier Vendée Globe, même si nous n’avons pas eu les résultats escomptés avec l’abandon, nous étions plutôt contents de la façon dont ça s’est passé, cette campagne a permis à cette équipe de se faire la main.
Le projet a encore pris de l’ampleur après ce Vendée Globe…
Oui, quand Sam est arrivée, nous avons encore eu la possibilité de monter d’un cran, avec le nouveau bateau [l’ex Maître CoQ de Jérémie Beyou, NDLR], déjà, avec l’arrivée d’un nouveau partenaire, ensuite, Vinci Energies, qui nous a permis d’avoir les moyens d’aller au-delà de ce que nous faisions d’habitude. Jusqu’ici, nous nous efforcions de nous préparer sérieusement, en étant malins avec nos moyens ; là, on peut se permettre de vraiment avoir une feuille de route en termes de développement du projet et d’aller un peu plus loin.
Comment t’es-tu retrouvé à la tête de ce projet ?
J’avais un parcours à moitié de chef d’entreprise, dans l’Internet puis les énergies renouvelables, et à moitié de navigateur, j’ai fait deux fois la Mini-Transat en 2003 et 2007, puis le Figaro en 2011 et 2012. A l’été 2013, Tanguy, que j’avais rencontré en Mini, est venu me voir en me disant que le projet allait grossir, il m’a proposé de m’en occuper. Pour moi, c’était la bonne manière de concilier mes envies de bateau et ce que je savais faire professionnellement. Aujourd’hui, le projet dépasse toutes mes espérances d’il y a cinq ans. En 2013, c’était juste un petit coup de main sur son ancien bateau, Le Pingouin. Quand je vois cinq ans après, ce qu’est devenu le projet avec une équipe de neuf personnes, le nouveau bateau, nos partenaires, l’arrivée de Sam, les premiers résultats, quel chemin parcouru ! Avec un projet qui, chaque année, est de plus en plus intéressant et motivant.
Tu parlais de développements, quels sont-ils sur le bateau ?
L’hiver dernier, nous avons fait un chantier qui a consisté à changer la configuration des ballasts en mettant le bateau à la jauge 2016, en gros, nous les avons excentrés. Nous avons aussi changé la configuration du gréement : comme il fallait supprimer une voile [huit au lieu de neuf, NDLR], plutôt que de se demander laquelle supprimer dans le jeu de voiles existant, nous avons redéfini l’intégralité du jeu de voiles et des surfaces, nous l’avons donc refait en grande partie. Il y a encore deux voiles précédentes qu’on utilise, parce que nous n’avons pas encore tranché sur ce qu’on veut faire. Nous avons enfin beaucoup travaillé sur l’ergonomie pour adapter le bateau au gabarit de Sam et installé le système de réglage de l’incidence des foils, nous sommes l’un des premiers bateaux à avoir fait ça. A l’arrivée, Sam est beaucoup plus à l’aise dans certaines conditions, on l’a vu sur la Drheam Cup : après le Fastnet, dans des conditions ressemblant un peu à l’alizé de sud-est qu’on rencontre au début de l’Atlantique Sud, où le bateau n’était pas très à l’aise, elle a repris sur Isa et sur Yann [Joschke et Eliès, NDLR]. Après, ce qui fait aussi la différence, c’est que Sam travaille et s’entraîne énormément, il y a beaucoup de contenu dans les navigations et les débriefings, ça paie aussi.
Avez-vous déjà planifié d’autres évolutions ?
Oui, pour l’année prochaine, nous faisons de nouveaux foils, nous travaillons avec Guillaume Verdiercomme architecte et nous n’avons pas encore choisi le chantier, le bateau aura ses nouveaux foils au printemps 2019. Une des feuilles de route que nous nous sommes fixées, c’est d’avoir le bateau tôt en configuration Vendée Globe pour que Sam navigue beaucoup avec. Elle garde le souvenir de son Vendée Globe 2008 où elle finit quatrième avec un bateau qui en était à son troisième Vendée Globe alors qu’il y avait seize bateaux neufs au départ de la course. Pour elle, un de ses points forts était d’avoir beaucoup navigué en amont avec son bateau, elle se sentait très bien dessus, elle veut faire la même chose.
Le projet devient donc de plus en plus ambitieux, peut-on dire que Sam fait désormais partie des prétendantes à la victoire sur les courses du circuit ?
Notre objectif est d’être dans le match sur le Vendée Globe, on est aussi lucide sur le fait que face aux plus gros projets que seront Charal, Apivia, Hugo Boss et autres, avec des bateaux neufs, ils auront un avantage sur le papier. Nous, ce sera le troisième Vendée Globe du bateau, mais on espère que nous aurons d’autres avantages : on sera sans doute le projet sérieux avec le skipper qui aura le plus navigué sur son bateau au départ. Sur le Rhum, on espère être un outsider sérieux : pour moi, les favoris objectifs sur le Rhum seront Yann et Alex. Après, ce qui est important pour nous, c’est la philosophie générale du projet, qui reste la même, liée à sa partie solidaire. Nous ne sommes pas prêts à prendre tous les risques pour gagner à tout prix et le fait de finir les courses reste important pour faire durer le projet. Maintenant, les deux parties du slogan « Défier les océans pour sauver des enfants » sont de plus en plus associées : la première partie de la phrase prend de plus en plus de crédibilité parce que le projet monte en performance, mais la seconde est tout aussi importante.
Quel est le budget annuel d’Initiatives Cœur ?
On ne le dévoile pas, en partie parce qu’on ne sait jamais de quoi on parle, on compare sans arrêt des budgets qui ne comprennent pas les mêmes choses. Je dis juste que pour moi, un petit projet professionnel en Imoca, c’est un million d’euros de budget technique par an, un gros, c’est 3 millions ; nous on est un projet moyen, entre les deux.
Avec Vinci Energies, vous avez un partenaire qui est une grosse multinationale, cela vous donne-t-il encore davantage d’ambitions à l’avenir ? Sens-tu chez eux une envie d’aller plus loin ?
Cela ne fait qu’un an et demi qu’ils sont dans l’histoire, c’est un peu prématuré, voire limite grossier, de leur parler d’après, sachant qu’ils sont engagés jusqu’en 2021. Après, à titre personnel, mon métier est de penser à la suite et mon souhait est évidemment que les choses continuent. On a en tout cas un truc assez rigolo dans notre projet, c’est qu’on a trois sponsors extrêmement différents : Initiatives, une boîte du Mans de 50 personnes, K-Line, une PME vendéenne d’environ 2 000 personnes, et Vinci Energies, une multinationale de 70 000 personnes. C’est intéressant de fédérer au sein d’un même projet des entreprises aux objectifs vraiment différents.
Quelles sont les pistes de réflexion pour la suite ?
Il y a eu récemment deux mouvements de fond majeurs dans notre petit monde : le premier a été le départ de beaucoup de sponsors historiques et emblématiques de la voile vers la classe Ultim ; le second est le fait que l’Imoca devienne le support de la Volvo Ocean Race. Pour ce qui est de la Volvo, je trouve que c’est une bonne chose : d’abord c’est assez valorisant pour le travail fait par l’ensemble des équipes et de la classe. Ensuite, on entend parler dans toutes les classes d’internationalisation sans trop savoir par quel bout prendre le problème, ça peut donner un coup d’accélérateur. C’est forcément attirant, maintenant, l’avis qui compte, c’est celui de Sam et de nos partenaires.
Et la classe Ultim ?
Franchement, je n’en sais rien. Et à un moment donné, ce qui est important, c’est les bateaux et les circuits. C’est un point de vue personnel, mais quand les investissements sont élevés, il faut que les circuits soient robustes.
Justement, le circuit des Imoca Globe Series a récemment vu le jour, avec une nouvelle course au printemps, les Valence Globe Series, qui vient d’être adoptée par la classe Imoca, qu’en penses-tu ?
Déjà, il y a une chose qui me plaît, c’est le concept d’Imoca Globe Series : c’est une manière de mettre ensemble tous les organisateurs de la classe tout en affirmant que l’objectif premier de l’Imoca est de préparer le Vendée Globe. Après, j’ai tendance à considérer que ce dont nous avons besoin, c’est d’une grande course océanique par an, avec, au printemps, une course d’entraînement. Donc ce qui nous importe, c’est la qualité du parcours en tant qu’entraînement. De ce point de vue, notre cœur penchait plus pour Lorient-les Bermudes-Lorient, plus océanique et peut-être un peu plus dure. Maintenant, le projet de Valence semble bien ficelé avec une partie océanique assez copieuse.