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Corum L’Épargne : autopsie d’un échec

Depuis sa mise à l’eau en mai 2020, l’Imoca Corum L’Épargne a subi une litanie d’avaries. Le démâtage lors du Défi Azimut a été celle de trop qui a poussé Corum L’Épargne à annoncer, le 26 septembre, la fin du projetTip & Shaft revient sur les raisons qui ont conduit à cette décision.

En moins d’une semaine, l’équipe voile Corum L’Épargne aura essuyé deux coups durs. Le premier est survenu dans la nuit du jeudi 21 au vendredi 22 septembre, un peu plus de 12 heures après le départ de la course de 48 heures du Défi Azimut Lorient Agglomération, avec le démâtage de l’Imoca mené par le tandem Nicolas Troussel/Benjamin Schwartz “dans des conditions maniables avec un vent de 25 nœuds et une mer formée”, selon le communiqué de la course.

Le bateau, dessiné par l’architecte franco-argentin Juan Kouyoumdjian et construit en 2019/2020 sous la maîtrise d’œuvre de Mer Agitée, l’entreprise de Michel Desjoyeaux, avait été remis à l’eau fin juillet après un chantier de sept mois destiné à le rendre plus fiable et plus performant, entre un changement d’étrave et des nouveaux foils (voir notre interview de Frédéric Puzin, patron de Corum L’Épargne, en avril). “On a évidemment été tous été très déçus par cette avarie, mais l’équipe s’est aussitôt mobilisée pour trouver des solutions afin d’être au départ de la Transat Jacques Vabre”, raconte Nicolas Troussel à Tip & Shaft.

C’était sans compter sur le second et ultime coup dur, mardi matin, lorsque Frédéric Puzin, le fondateur de Corum L’Épargne est venu en personne à Lorient annoncer au skipper puis à l’équipe la fin du projet. “On ne s’attendait pas à ça, poursuit Nicolas Troussel. C’est évidemment beaucoup de déception, de tristesse et de frustration pour l’équipe de quinze personnes qui a mis beaucoup d’énergie dans ce projet. J’ai également une pensée pour mon co-skipper Benjamin Schwartz. Mais je comprends que Corum ne veuille pas s’obstiner dans un projet qui ne fonctionne pascar ce n’était malheureusement pas la première casse.”

  

“Ne pas s’obstiner dans l’échec”

 

Effectivement, depuis sa mise à l’eau en juin 2020, le plan Juan Kouyoumdjian a effectué plusieurs passages par la case chantier, entre un premier démâtage au bout de huit jours de course sur le Vendée Globe 2020 et une avarie de quille en avril 2022 sur la Guyader Bermudes 1000 Race. Reste que l’annonce a constitué un vrai choc pour l’équipe, d’autant que, selon, le team manager Greg Evrard, “on a la conviction que ce bateau aujourd’hui transformé a un vrai potentiel, ce n’est pas le roi de la piste, nous n’avons pas cette prétention-là, mais on sait qu’il a franchi un pas.” 

Et l’intéressé d’ajouter : “La nouvelle, bien que soudaine, ne m’a pas révolté, j’en comprends la logique. Corum fait partie des partenaires les plus résilients qui existent et il l’a prouvé. Et pourtant, ça s’arrête là, c’est une juxtaposition de paradoxes !” Réaction attristée également chez l’architecte Juan Kouyoumdjian qui, joint par Tip & Shaft, estime que “le projet était en pleine évolution afin de figurer parmi les meilleures équipes. Ça laisse une sensation d’injustice, mais je ne peux que respecter la décision de Corum.”

Cette décision, Frédéric Puzin l’a prise “la mort dans l’âme” après quelques jours de réflexion, comme il l’a confié à Tip & Shaft : Le premier réflexe après le démâtage a été de chercher un mât et une bôme.” Après un échange avec ses équipes, il a finalement appuyé sur le bouton stop, craignant que la poursuite du projet n’apparaisse comme de l’obstination. “Depuis le début, ce projet, censé servir des valeurs de performance, d’engagement et de résilience, est une succession d’abandons, d’avaries et de classements qui ne sont pas du tout à la hauteur de nos ambitions et de notre engagement. Dans l’intérêt de l’entreprise, nous ne pouvions plus prendre le risque d’une nouvelle avarie ou d’une contre-performance et de devenir le projet qui rate à tous les coups et s’obstine dans ses échecs.”

 

“Je ne regrette aucun
des choix que l’on a faits”

 

Au moment de mettre un terme à ce partenariat de quatre ans, celui qui navigue lui-même en IRC sur son Ker 46 Daguet 3, éprouve-t-il des regrets, notamment sur certains choix techniques ? “C’est un projet qui a échoué, c’est clair, mais je ne regrette aucun des choix que l’on a faits, qu’il s’agisse de celui de l’architecte, de l’équipe ou du skipper. Les Imoca sont des machines extrêmement complexes, auxquelles on fait subir des épreuves et des contraintes qui sont juste hors normes. Il faudrait investir plus d’argent sur le volet R&D, gérer plus de choses en interne, comme le chantier, afin de tout contrôler et ne rien laisser au hasard. Mais cela induit un niveau de budget qui n’existe pas en Imoca.”

À l’heure du bilan, l’architecte Juan Kouyoumdjian, qui avait auparavant dessiné des Imoca pour Brian Thompson et Bernard Stamm, mais également Arkéa Paprec (sistership de Corum L’Épargne), mené sur le dernier Vendée Globe par Sébastien Simon (abandon), ne se défausse pas : “Il y a eu des moments de très bonnes performances, avec des résultats satisfaisants, mais dans l’ensemble, je ne peux que tirer un bilan négatif. J’ai aussi un sentiment de malchance, entre la casse des foils d’Arkéa Paprec au début du projet, qui a complètement conditionné son évolution pendant que les autres projets gagnants progressaient, et Corum qui était en pleine consolidation, avec des sensations positives et une configuration très rapide en solitaire, avant que le mât ne tombe de nouveau.”

Aujourd’hui, l’architecte et l’équipe lorientaise continuent d’ailleurs d’étudier les raisons de ce second démâtage, comme l’explique Greg Evrard : Nous avons déjà éliminé pas mal de causes : le mode de navigation, les voiles utilisées, les charges appliquées au gréement ainsi que les ruptures d’accessoires périphériques type émerillon, comme ce fut le cas pour Holcim PRB sur The Ocean Race. Le spectre est donc très réduit et ne concerne plus que le tube lui-même ou le gréement dormant. On continue d’investiguer pour trouver la cause parce que ce n’est pas le premier dans la classe Imoca.”

 

Nicolas Troussel
“très motivé pour rebondir vite”

 

Outre Holcim PRB, les derniers en date étaient en effet 11th Hour Racing 1 (devenu Guyot Environnement) sur la Transat Jacques Vabre 2021 et Bureau Vallée sur cette même Jacques Vabre puis sur la Route du Rhum 2022, ce qui ne manque pas d’interroger sur des mâts monotypes plus forcément adaptés à la puissance des Imoca de dernière génération. “Ils ont été conçus à une époque [la classe a imposé les mâts monotypes en 2013, NDLR] où les bateaux n’étaient pas équipés de foils et donc moins rapides, avec d’autres dynamiques et d’autres charges. Ce qui ne veut pas dire que tous les mâts vont tomber, mais on joue dans une zone qui n’est pas celle prévue au départ“, concède Greg Evrard.

La suite ? tandis que Nicolas Troussel se dit très motivé pour rebondir vite et recommencer une autre histoire, la qualification pour le Vendée Globe n’est pas terminée et l’objectif est aujourd’hui de retrouver un partenaire”, l’équipe de Corum L’Épargne, en plus d’investiguer sur les causes du démâtage, travaille à la remise en état du bateau en vue de sa mise en vente.

Ensuite, on liquidera le projet, mais le plan n’a pas encore été arrêté, car on veut faire les choses très correctement”, insiste Frédéric Puzin. Interrogé sur le coût total de ce projet, le fondateur de Corum L’Épargne répond : “Depuis 2018, il est d’environ 16 millions d’eurosEt si nous étions allés jusqu’au Vendée Globe, nous aurions dû ajouter 4 millions d’euros.” Avant de préciser : “Les retombées presse ont été importantes, ce projet nous a permis de doubler notre notoriété.”

 

Photo : Eloi Stichelbaut – polaRYSE / Corum l’épargne

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