Cinquième du Vendée Globe 2020, Boris Herrmann a très vite basculé sur une nouvelle campagne, avec des moyens plus importants et un bateau neuf, plan VPLP construit par Multiplast, qui sera mis à l’eau “le 19 juillet à 10h”, assure-t-il. Tip & Shaft a échangé avec l’Allemand autour de ce projet, mais également, au moment où se terminait le One Ocean Summit de Brest, sur des thématiques environnementales qui lui tiennent à cœur.
► Le One Ocean Summit s’achève ce vendredi à Brest, un tel événement fait-il avancer les choses ou est-ce plus de l’affichage de bonnes intentions ?
Bonne question ! J’y ai moi-même participé en prenant quelques heures pour participer à un forum autour de l’observation de l’océan avec la classe Imoca. Je trouve que la faiblesse de ces réunions, c’est l’engagement de la société civile et du grand public. Bien sûr, il y a le président Macron et d’autres chefs d’Etat, donc des articles qui vont en parler, mais il manque la puissance émotionnelle, l’accroche qui fait que les gens dans la rue vont comprendre que ça les concerne. Le Vendée Globe, dans ce sens, est un très bon levier pour donner à ces sujets une voie de communication puissante.
► Depuis quand te sens-tu vraiment concerné par ce sujet de la préservation des océans ?
En 2010-2011, on a fait la Barcelona World Race avec Ryan Breymaier sur le bateau de Bilou (l’ex Veolia de Roland Jourdain), on avait été obligés, à cause de la présence de glaces beaucoup plus au nord que prévu, de considérablement rallonger la route. Résultat : on avait mis 100 jours alors qu’on avait embarqué 85 jours de nourriture, Ryan avait perdu 25 kilos ! Ça nous avait marqués et ça nous a fait réfléchir aux problématiques de réchauffement climatique, même si j’ai toujours été intéressé par ces sujets, j’ai notamment fait des études de “sustainable management.”
► Dans ton projet de course au large, comment t’investis-tu concrètement ?
J’avais rencontré en 2008 Martin Kramp, un Allemand qui vit en France et a développé avec Yvan Griboval un capteur pour les bateaux de course. Nous sommes restés en contact et le jour où j’ai réussi à avoir mon propre projet, je l’ai contacté en lui proposant d’embarquer son laboratoire pour mesurer le taux de CO2, la salinité et la température de l’océan. Nous avons trouvé des donateurs pour l’installer en 2018, ça marche bien et ça apporte aussi beaucoup à notre équipe, tout le monde s’y intéresse. Nous avons également mis en place un programme de compensation de nos émissions de CO2 grâce à une ONG aux Philippines qui plante des mangroves, dont l’avantage est qu’elles poussent plus vite que les arbres, captent mieux le CO2 et créent un écosystème. Nous avons ainsi lancé le Malizia Mangrove Park, on a planté plus de 500 000 mangroves depuis un an et demi, l’objectif étant un million. Maintenant, compenser, ça ne suffit pas, ce qui est important, c’est la transition, les innovations, pour limiter l’impact carbone.
“La chose la plus importante
est la durabilité de nos bateaux”
► Un impact qui est très important quand on construit des bateaux comme ton futur Imoca, quelles peuvent être les solutions ?
Il n’y a pas de recette secrète, on travaille avec la classe, avec notamment les nouvelles règles de jauge, dont celle sur les éléments en bio-composite, qu’on va exploiter au maximum en faisant des trappes, portes, planchers et quelques parties de la casquette en matériaux bio-composites. On limite aussi beaucoup nos déplacements, le Covid nous l’a imposé au départ, mais c’est devenu une habitude de travail, au point que je n’ai discuté en présentiel avec les architectes que lorsque la conception du bateau était déjà quasiment terminée ! Mais la chose la plus importante pour moi est la durabilité de nos bateaux. Aujourd’hui, on voit que celui de Jean Le Cam a réussi à terminer dans le top 5 du Vendée Globe alors que c’était son cinquième tour du monde. On a des bateaux qui peuvent rester compétitifs douze ans ou plus, on ne les jette pas à la poubelle après chaque Vendée Globe, ça lisse l’empreinte carbone dans le temps, je trouve que c’est important d’en parler parce que le débat est parfois un peu biaisé.
► Tu as d’ailleurs cédé ton précédent Malizia à Romain Attanasio pour en construire un autre, était-ce prévu à l’avance ou est-ce lié au succès de ton tour du monde ?
C’est plus le succès qui a déclenché ça. Il y a eu un énorme engouement en Allemagne qui est monté au fur et à mesure de mon Vendée Globe. Lors de la remontée de l’Atlantique, il y avait quasiment tous les jours quelque chose à la télé, même dans des émissions grand public, ça dépassait le cadre du sport. Une étude de l’institut MeltWalter a évalué à 420 millions d’euros la valeur publicitaire des retombées médiatiques. Il faut certes prendre ça avec des pincettes, mais ça montre l’importance du retentissement médiatique qui a brisé la glace en Allemagne, on ne s’attendait pas du tout à ça ! C’est fabuleux de voir comment le Vendée Globe a permis à une équipe jeune et internationale comme la nôtre d’obtenir un tel succès et on a vraiment eu une dynamique très forte qui a poussé des sponsors à venir nous voir pour participer à l’aventure. On a même pu choisir nos partenaires, on en a aujourd’hui huit réunis sous le slogan A Race We Must Win. Cette dynamique nous a conduits à nous dire qu’on n’aurait peut-être qu’une fois l’opportunité dans notre vie de faire un nouveau bateau, c’est pour ça que le choix s’est fait très vite.
► Avec forcément un budget à la hausse ?
Oui, d’autant qu’au tout début de l’histoire, l’Imoca était une annexe du projet GC32, on avait juste de quoi payer la location et l’assurance du bateau. On a eu un budget très limité pendant quatre ans, c’est juste à la fin qu’on a trouvé Kuehne+Nagel et d’autres partenaires qui nous ont permis de mettre des grands foils. Aujourd’hui, je ne te donnerai pas de chiffre, mais on est à la hauteur des autres favoris, on a les moyens de faire des choses de très bonne qualité et l’équipe s’est étoffée, on est 25 à temps plein.
“Il ne faut pas mesurer le succès
de la campagne avec un chiffre”
► Et donc des objectifs sportifs plus élevés ?
Le rêve de chaque sportif est de gagner quelque chose, même si je pense que sur le dernier Vendée Globe, dans ma tête, je n’étais pas à 100% dans cette perspective : j’étais proche du podium à l’arrivée et ça m’a stressé, je n’étais pas prêt dans ma tête à me dire que je méritais d’être là et que j’allais tout donner dans les dernières heures, j’ai un petit regret là-dessus. Pour cette deuxième campagne, je veux me mettre dans la disposition mentale et technologique de pouvoir gagner. Maintenant, on n’est pas les seuls à avoir eu un gros succès médiatique, la preuve : il va y avoir 15 bateaux neufs et quasiment autant de favoris parce que la plupart des skippers de ces bateaux ont déjà fait le Vendée Globe. Le niveau de compétition va clairement monter et faire cinquième comme sur mon premier Vendée va probablement être beaucoup plus dur. Donc pour moi, l’objectif sportif ne doit pas être un chiffre, mais le processus qui doit me permettre d’être compétitif. Il ne faut pas mesurer le succès de la campagne avec un chiffre sur un papier, c’est trop risqué.
► Pourquoi avoir fait le choix de courir The Ocean Race ?
C’est aussi pour ça : on s’est dit que c’était top de construire un bateau pour le Vendée Globe, mais on sait que c’est une course super dure qui peut s’arrêter au bout de deux jours sur une petite casse. Donc on s’est demandé comment on pouvait se donner plus d’opportunités de réussir globalement le projet, la réponse a été plus de courses. The Ocean Race m’a en plus toujours inspiré et j’ai tout de suite senti quand les discussions ont commencé avec l’Imoca que c’était un grand truc d’associer le Vendée Globe et The Ocean Race dans un même écosystème. Aujourd’hui, ça prend son chemin un peu trop lentement, j’espère qu’il y aura 4-5 Imoca, peut-être 6. Mais dans le pire des cas si la course tombe à l’eau, on fera quand même le parcours.
► Avec quel équipage partiras-tu ?
Il y aura Will Harris [qui accompagne Boris Herrmann depuis trois ans, NDLR], un Français très connu en France et une femme qui ne vient pas de France, on n’a pas encore annoncé les noms publiquement.
► Peux-tu nous dire pour finir à quoi ressemblera ton nouveau Malizia ?
Il aura des lignes plus rockées que ceux qu’on a vus jusqu’ici, toute la ligne va être plus ronde, de l’avant jusqu’à l’arrière. L’objectif principal est d’avoir plus de tolérance dans la mer ; un bon bateau pour le Vendée Globe ne va pas faire des pointes énormes mais des moyennes élevées. Sur le dernier cycle, les VPP des architectes donnaient des vitesses jusqu’à 26-28 nœuds dans les conditions du Sud, dans la réalité, les bonnes moyennes sur 24 heures ont été de 18 nœuds pas plus, donc si on peut déjà gratter un ou deux nœuds, ça sera pas mal. On aura un cockpit fermé du style Hugo Boss, mais avec plus d’espace et de vision, sur les voiles, l’horizon, mais aussi vers l’arrière. Et j’aurai ma bannette dans le cockpit à côté de la colonne et pas loin du winch, avec les écrans devant moi. Entre la Route du Rhum et The Ocean Race, il y aura zéro adaptation, à part le nombre de cuillers et de tasses !
Photo : Jean-Marie Liot