Alors que s’achève bientôt la treizième semaine du Vendée Globe – après l’abandon d’Arnaud Boissières, il reste ce vendredi 11 marins en mer -, Tip & Shaft a échangé avec le président de la classe Imoca, Antoine Mermod, qui livre son regard sur la dixième édition de la course.
Qu’est-ce qui t’a marqué dans les arrivées qui se sont enchaînées ces derniers temps ?
Ce qui m’a marqué, c’est que cette édition a confirmé que le Vendée Globe était un extraordinaire catalyseur d’émotions. On a vibré pendant trois mois au rythme des aventures, des péripéties, des réussites et des doutes des skippers, et quand on enchaîne les arrivées, on voit vraiment toute cette émotion qui ressort sur leurs visages et dans leurs propos, ce qui fait de ce défi quelque chose d’unique.
Et qu’as-tu retenu de leurs propos ?
Le point majeur qui est ressorti, c’est que plus que jamais, cette édition a été une régate planétaire. Tous les skippers se sont dépassés sportivement, pas seulement le top 3, il y a eu de la bagarre à tous les niveaux, on l’a encore vu en début de semaine, avec les 16 minutes entre Benjamin Ferré et Tanguy Le Turquais et ces cinq bateaux qui étaient à la lutte jusqu’au bout pour la 15e place. Pour moi, le niveau de fiabilité élevé a permis aux skippers de s’exprimer sportivement, on a moins eu une course à élimination technique. Tout cela s’explique par la qualité de la préparation, des skippers et de leurs équipes, et le système de qualification qui a permis pendant trois ans de fiabiliser les bateaux et aux skippers d’en prendre la mesure. Au départ du Vendée Globe, l’immense majorité de la flotte était très bien préparée, comme ça n’avait jamais été le cas auparavant.
Faut-il en conclure que la course a pris le pas sur l’aventure ?
Non, je ne suis pas d’accord avec ça. Pour moi, avant toute chose, un tour du monde en solitaire est une aventure extraordinaire. Si tu regardes Yannick Bestaven, qui avait gagné il y a quatre ans, il a été en bagarre dans le top 10 pendant les deux tiers de la course, a dû s’arrêter et abandonner au cap Horn, pour repartir et arriver hors course, c’était une aventure extraordinaire, alors que c’était un skipper qui jouait pour le podium, je n’opposerai pas les deux.
“Le Vendée Globe n’a pas
besoin de plusieurs classements”
Es-tu surpris par les chronos des premiers et quelles conclusions faut-il en tirer ?
Pour être tout à fait franc, non. Si on prend la performance intrinsèque des bateaux, ceux de la génération 2016 [date du précédent record d’Armel Le Cléac’h, en un peu plus de 74 jours, NDLR] faisaient entre 420 et 490 milles en 24 heures dans des conditions favorables, avec un record à 530. Là, clairement, avant le départ, on voyait bien qu’à conditions égales, ils faisaient plutôt entre 520 et 580, avec un top à 600, voire plus. Donc on savait que le gain potentiel était de l’ordre de 10 à 15%, ce qui s’est vérifié, sachant qu’en plus, sur cette édition, les premiers ont eu le bon enchaînement météo, avec tous les feux verts qui se sont allumés au fur et mesure qu’ils avançaient. Et dans le Sud, les bateaux arrivent désormais à avoir des attitudes et des stratégies de multicoque qui leur permettent de se positionner par rapport aux systèmes et augmentent leurs chances d’avoir un enchaînement météo positif.
Jean Le Cam disait récemment dans une interview au Monde qu’il avait été surpris par le rythme tenu par certains foilers dans les conditions soutenues du Sud, et toi ?
Pas forcément. Pour moi, le tournant a été The Ocean Race il y a deux ans, avec notamment l’étape du tour de l’Antarctique. C’est intéressant de noter que 11 des 40 skippers au départ du Vendée Globe ont couru cette étape, notamment bon nombre de leaders. Le fait pour eux d’être allés dans le Sud, où on ne va jamais en dehors du Vendée Globe, avec les mêmes bateaux, leur a fondamentalement permis d’avoir des certitudes sur ce que pouvaient supporter les Imoca, et sportivement de prendre des repères, de trouver les bons réglages. Je pense que ça a été un déclic et ceux qui ont été vraiment vite dans le Sud sur ce Vendée Globe étaient partis avec un niveau de confiance qu’on n’avait pas forcément auparavant quand on ne faisait qu’un tour du monde tous les quatre ans.
Jean Le Cam propose également deux classements, un pour les foilers, l’autre pour les bateaux à dérives, qu’en penses-tu ?
Je ne suis pas en phase avec cette idée. Pour moi, la force du Vendée Globe, c’est la simplicité de son concept. Chaque édition raconte ses histoires, cette année, on a effectivement eu des bagarres entre des catégories de bateaux différentes, mais il y a quatre ans, l’histoire avait été complètement différente en raison de la météo qui avait fait que foilers et bateaux à dérives avaient navigué ensemble. Pour moi, mettre différents classements, c’est mettre des cases, je pense que le Vendée Globe n’en a pas besoin.
“Le point noir, les enrouleurs
et les hooks”
Parlons du bilan technique : même si la course n’est pas finie, peux-tu nous faire le tableau général ?
Pour nous, le bilan est bon. Sur la structure primaire, on n’a pas eu de problèmes fondamentaux, ce qui est un point très important, ça veut dire que les architectes, les cabinets de structure et les équipes ont fait un super boulot, avec pas mal de renforts de fonds de coque ces trois dernières années qui ont porté leurs fruits. Sur les mâts, sujet sur lequel on a eu beaucoup de problèmes depuis le dernier Vendée mais où on a essayé d’apporter des réponses pour être à la hauteur sur ce Vendée, ça s’est plutôt bien passé, on a juste eu Pip Hare qui a démâté, sachant qu’Arnaud Boissières n’avait pas un mât monotype. Au niveau des voiles, on avait eu beaucoup de voiles déchirées il y a quatre ans, notamment au niveau des chutes, cette fois-ci, on a eu beaucoup moins de problèmes, les voiliers ont fait un vrai travail de fond qui a permis d’apporter une fiabilité qu’on n’avait pas vue à ce niveau sur les éditions précédentes. Au niveau électronique, on est aussi plutôt sur une bonne livrée alors que la fiabilité des systèmes n’est vraiment pas un sujet simple. En revanche, le point noir, c’est les enrouleurs et les hooks. On va réussir à la fin du mois le comité technique de l’Imoca pour débriefer et voir s’il faut faire évoluer nos règles, parce que le niveau de fiabilité de l’ensemble de ces pièces n’est pas satisfaisant, il a potentiellement mis en danger la course d’un certain nombre de skippers, il va falloir réagir.
Un petit mot pour finir sur la prochaine édition : la situation économique actuelle est-elle source d’inquiétude pour la classe ?
On est forcément attentifs et on voit bien que les signaux économiques ne sont pas très favorables. Par contre, ce dont on est sûr, c’est que ce Vendée Globe a fonctionné : sportivement et techniquement comme on vient de le dire, mais aussi au niveau des retombées. Les quelques chiffres déjà annoncés par la SAEM sont exceptionnels, certains médias nous ont aussi partagé leurs audiences qui sont juste dingues, ça veut dire que cette course fonctionne bien, donc on a énormément d’atouts pour permettre aux skippers de convaincre des partenaires.
Photo : Vincent Curutchet / Alea