A 42 ans, Antoine Koch a un double profil de navigant (Figaro, Orma Sopra Group, MOD70…) et d’ingénieur qui lui a permis, au début des années 2010, d’intégrer le Gitana Team, où il a ensuite été chargé de la coordination de la conception du Maxi Edmond de Rothschild. Depuis 2018, il travaille aux côtés de Thomas Ruyant, contribuant aux performances remarquées du plan Verdier LinkedOut. Tip & Shaft a échangé avec lui.
A quelle époque es-tu vraiment passé de navigant à ingénieur en bureau d’études ?
Au moment où le circuit MOD70 s’est arrêté. J’étais alors navigateur sur Gitana, on a réfléchi pour faire évoluer le bateau et permettre à Seb (Josse) de faire la Route du Rhum 2014 avec un MOD 2.0. L’équipe m’a demandé de recréer le bureau d’études du Gitana Team et de travailler sur le dossier avec Guillaume Verdier. C’était en pleine période de la Coupe 2013 avec les images des AC72 volants, donc c’est tout de suite la voie dans laquelle on a cherché. Vu le temps imparti, on ne se sentait pas de faire directement voler le MOD sur le Rhum, mais on a mis en place la démarche pour passer à un échelon supérieur juste après. On s’est dit ensuite assez rapidement que ce n’était pas irréaliste de faire un Ultime volant et ça a convaincu Gitana de se lancer. C’était dans l’ADN de l’équipe d’accepter la part de risque inhérente à l’innovation. Une des manières de diminuer cette prise de risques a été d’utiliser le MOD comme base de développement, c’est ce qui a fait la différence avec tous les autres projets. Le fait de mêler conception et navigation a toujours été un peu mon cheval de bataille.
Tu as été chargé de la coordination générale de la conception de l’Ultime aux côtés de Guillaume Verdier, quelle a été votre priorité ?
J’avais fait une transat en convoyage sur Groupama 3 (aujourd’hui Idec Sport), j’avais vraiment aimé le côté 4×4 et facile du bateau, et c’est vraiment le comportement qu’on a voulu reproduire. Une des premières lignes du cahier des charges a donc été la garde à la mer : je suis convaincu que pour aller vite sur un multicoque, qui plus est sur un tour du monde, le fait d’être haut sur l’eau est un facteur de sécurité et de performance fondamental. Pour moi, c’était vraiment Groupama 3 remis au goût du jour. On n’a rien sorti de notre chapeau, on a saisi l’air du temps.
Et que penses-tu du Maxi Edmond de Rothschild aujourd’hui ?
La V1 est aboutie, avec encore ses foils d’origine conçus il y a quatre ans, ce qui est assez remarquable, il est prêt pour s’attaquer au Jules Verne. Après c’est le premier bateau qui va vraiment s’y confronter dans une configuration aussi volante et agressive. La grande incertitude, c’est la fiabilité des systèmes après 40 jours à très haute vitesse, avec des chocs et des vibrations qui, sur le long terme, génèrent un peu d’inconnu, le problème va d’ailleurs être le même sur le Vendée Globe.
Justement, comment t’es-tu retrouvé embarqué au sein de l’équipe de Thomas Ruyant ?
Vu que le gros bloc de conception était fini chez Gitana et que je voulais continuer dans cette voie, je me suis dit qu’il était temps d’aller voir ailleurs. J’avais un peu aidé Thomas et Boris Herrmann à comprendre le comportement de Malizia, l’ancien Gitana 16, en vue de leur Jacques Vabre 2017, je pense que mon approche et mon double profil ont plu à Thomas qui m’a contacté quand il a monté son projet.
Tu as participé au choix de Guillaume pour dessiner le bateau ?
Je suis bien sûr toujours content de travailler avec Guillaume, mais j’aurais plutôt souhaité qu’on parte d’une page blanche, ça n’a pas été possible parce Guillaume avait auparavant travaillé sur le plan Volvo 60 qui était déjà prêt et sur lequel il avait aiguillé Thomas. Je percevais que c’était une bonne carène, mais ce n’était pas forcément le concept de bateau vers lequel je souhaitais aller, donc je ne m’en suis pas occupé, je me suis concentré sur le gréement et les appendices.
Et quelle a été ta patte dans ce domaine ?
On la voit déjà sur le gréement, avec des choix de voiles assez différents de l’état de l’art. Les premières polaires laissaient penser que le potentiel de vitesse se rapprocherait plus d’un MOD70 que d’un Imoca traditionnel, donc j’ai essayé de faire en sorte que le plan de voilure ressemble à celui d’un MOD70, avec des surfaces plus petites et des voiles plus plates. Il y a de grandes vertus à éloigner au maximum les voiles d’avant de la grand-voile, de manière à ouvrir le couloir entre les deux et d’avoir plus de latitude sur le réglage de la grand-voile. Ça fait gagner énormément en efficacité aérodynamique et ça permet du coup des voiles plus petites et moins contraignantes à manœuvrer en solitaire. On peut aussi avoir des plages d’utilisation plus grandes du fait de cette meilleure circulation. Ça a été vraiment un axe de développement important. Et en jouant sur des surfaces plus petites, on a réussi à améliorer l’utilisation des trinquettes, c’est-à-dire qu’on utilise une deuxième, voire une troisième voile à l’intérieur des gennakers, ce qui permet de naviguer avec la grand-voile un peu plus bordée, donc de gîter un peu plus, donc de faire mieux fonctionner les foils. C’est une boucle complète qu’on a pensée dès le début. Et c’est un bon exemple de la manière dont j’aime travailler.
sur Thomas, ce ne sera pas fini”
Vous venez de sortir une V2 de foils, pourquoi ? Et vous apporte-t-elle satisfaction ?
La V1 avait comme vertu d’avoir peu de traînée et de permettre, sans trop s’en occuper, d’atteindre de bonnes vitesses moyennes. Elle avait par contre quelques limites : elle décrochait très souvent et la vitesse de décollage était un peu insuffisante, notamment par rapport à Charal qui nous a souvent mis en difficulté l’an dernier. On voulait donc diminuer les problèmes de ventilation, améliorer la stabilité et décoller plus tôt avec des foils plus grands ayant un peu plus de surface dans le tip. Après trois semaines de navigation, on est très contents de cette V2, le bateau paraît plus stable, les foils décrochent moins, ce qui est moins exigeant pour le skipper, et on a des phases où on va vraiment plus vite qu’avec la V1. Aux allures plus serrées que 100 degrés du vent réel, le bateau est l’un des tout meilleurs de la flotte, si ce n’est le meilleur ; ça ne veut pas dire tout le temps le plus rapide, c’est plus un compromis entre la vitesse, la facilité et le confort. Après, la difficulté, selon moi, sera liée aux chocs : d’un point de vue structurel, le bateau a été sérieusement renforcé, par contre, on ne sait pas comment tous les systèmes vont se comporter pendant 70 jours avec un tel niveau de chocs et de vibrations, sachant qu’ils sont hérités des bateaux de la génération précédentes qui n’étaient pas autant confrontés à cette problématique.
Charlie Dalin nous disait la semaine dernière que la descente de l’Atlantique était le moment-clé du Vendée Globe, es-tu d’accord ?
Oui et non. Statistiquement, elle l’est et il y a quatre ans, Armel et Alex avaient pris un petit matelas d’avance en arrivant dans le Sud et plus personne ne les avait revus ensuite. Mais il faut comprendre que c’est bien plus facile architecturalement de faire progresser un Imoca au près et au reaching serré qu’au portant. Les nouveaux bateaux ont énormément progressé dans ces conditions. Mardi, nous étions entre 55 et 60 degrés du vent dans 26 nœuds de vent, on allait entre 18 et 21 nœuds de moyenne, soit à peu près 8 nœuds plus vite qu’il y a quatre ans… Et, là-dessus, les nouveaux bateaux sont assez inégaux, dans la mesure où certaines équipes ont vraiment mis tous leurs efforts dans le portant, quitte à faire de grosse impasses sur le près, je pense notamment à Hugo Boss. Du coup, ça rouvre stratégiquement le jeu sur la remontée de l’Atlantique. Si Hugo Boss passe le Cap Horn avec 500 milles d’avance sur Thomas, qui a un très bon bateau pour la remontée, ce ne sera pas fini, alors que sur les éditions précédentes, avec une telle avance, ça sentait bon.
Photo : Pierre Bouras / TR Racing