Sorti du chantier Multiplast la semaine dernière pour être acheminé à Lorient dans le hangar de l’équipe de Yoann Richomme, Paprec Arkéa, qui sera mis à l’eau le 22 février, a été dessiné, comme le futur bateau de Thomas Ruyant, par Antoine Koch et le cabinet Finot-Conq. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec l’ingénieur/architecte.
► Peux-tu nous raconter la genèse de ce projet Imoca ?
Sur le premier Imoca de Thomas (Ruyant), l’équipe avait voulu minimiser la prise de risques en prenant ce qui se faisait de mieux, à savoir Guillaume (Verdier). J’ai ensuite travaillé avec eux pour essayer de typer un peu plus le bateau pour le portant. Pour ce deuxième bateau, comme Thomas aime bien ne pas faire comme les autres – ça se voit dans sa manière de gérer son équipe, de raconter son histoire avec ses partenaires, mais aussi de naviguer -, il avait envie qu’on monte un design team pour porter une vision différente.
► Comment s’est monté ce design team ?
Il se trouve que j’ai fait mon stage de fin d’études chez Finot-Conq pendant le Vendée Globe 2000, j’avais conservé de très bonnes relations avec Pascal (Conq) et toujours gardé dans un coin de la tête la possibilité de travailler avec eux. Même s’ils sont moins présents dans la course ces dernières années, ils ont un savoir-faire horizontal sur toute la conception d’un bateau, notamment David de Prémorel, la véritable cheville ouvrière du cabinet, qui vient de la structure à l’origine. Ça me plaisait bien de travailler avec quelqu’un capable de faire des vérifications en structure tout en ayant la vision globale d’un architecte naval. Sachant que dès l’origine, nous avions aussi l’intention de faire appel à GSea Design pour les calculs de structure et la mise en plans. Il y avait une bonne complémentarité entre nous, Finot avait aussi dans ses cordes la CFD, à savoir la numérisation numérique des écoulements, une des passions de David, tandis que de mon côté, j’étais plus sur la partie VPP, simulateur dynamique et appendices. Quand je dis “de mon côté”, j’inclus Bobby Kleinschmidt, en charge du dessin des carènes et des appendices chez Team New Zealand – c’est avec lui et David que nous avons travaillé sur la carène -, Guénolé Bernard, depuis longtemps chez Luna Rossa, qui a fait tous les systèmes de foils et safrans, et un petit jeune, Thomas Dalmas, arrivé du bureau d’études d’Initiatives Cœur, qui a été d’une aide très précieuse pour faire tout le travail de fond d’analyse des données.
► A quel moment s’est greffé le projet Paprec Arkéa ?
Avant même d’avoir tout finalisé avec l’équipe de Thomas, on savait qu’une nouvelle équipe Paprec Arkéa était en train de se monter, on a discuté assez vite avec eux, mais ils ont attendu de choisir leur skipper avant de finaliser avec nous, car c’était fondamental qu’il adhère. Il se trouve que Yoann avait lui aussi une forte relation historique avec Finot-Conq, qu’il avait bien aimé la manière dont le cabinet avait répondu à l’appel d’offres de la classe Figaro pour le Figaro 3 ; il était aussi rassuré par la présence de GSea Design et par le fait que j’ai navigué un peu en Imoca, donc il a validé la collaboration.
“On a fait le choix d’un bateau plus étroit”
► Quel a été le postulat de départ pour dessiner ce bateau ?
On est partis du constat, partagé par tout le monde, que les bateaux étaient très inconfortables et durs à exploiter sur un tour du monde. On a vu sur le dernier Vendée Globe qu’au portant dans de la mer formée, ils avaient du mal à remédier aux problèmes de passage dans la mer et d’instabilité des vitesses, passant en permanence de 15 à 30 nœuds, et inversement. Ce qui est épuisant pour le skipper et produit des vitesses moyennes pas très élevées. On sait par exemple que le premier bateau de Thomas (LinkedOut) est hyper performant, mais avec un niveau d’exigence pas facile à gérer. On le voit très bien dans le film de Molécule [29 173 NM, actuellement présenté au Sailorz Film Festival, NDLR], qui est pas mal pour remettre les idées en place sur l’engagement que demandent le Vendée Globe et le bateau – certaines images sont impressionnantes.
► Et quelles réponses avez-vous apportées à ces problématiques dans vos choix architecturaux ?
Globalement, on a fait le choix de faire un bateau plus étroit que la génération d’avant. On voit que c’est une réponse commune avec Charal, je m’attends à ce que Guillaume (Verdier) fasse aussi un pas dans cette direction pour le futur Apivia. Après, pour améliorer les performances au portant, on a essayé de réduire pas mal la surface mouillée. C’est assez différent de Charal qui a des sections très en U là où, chez nous, elles sont plus en V, ce qui type un peu plus le bateau pour les faibles angles de gîte et doit lui permettre d’être un peu plus facile à gérer au portant, de glisser plus, avec des angles de relance moins prononcés. Aujourd’hui, les bateaux actuels, au portant, sont très binaires : sur celui de Thomas, si tu abats un peu pour te reposer, tu es à 15 nœuds, ce qui est trop lent, mais si tu lofes, tu es à 25 voire 30, et c’est tout de suite difficile à gérer, tu n’as pas vraiment d’entre-deux. Avec moins de surface mouillée, on espère avoir un comportement un peu plus linéaire. On a donc choisi d’avoir un scow qui, si on le découpe au niveau du bouchain, ressemble terriblement à Charal, sauf que dessous, on a une petite étrave assez fine qui est là pour amortir les mouvements. Après, tout le monde parle beaucoup de l’étrave car c’est ce qui se voit le plus, mais l’arrière est tout aussi important pour passer dans les vagues. Donc on a beaucoup travaillé dessus, je pense qu’on est un peu plus large au milieu et plus étroit à l’arrière que Charal, avec l’objectif de diminuer la traînée et de permettre au bateau de davantage se cabrer au portant quand on en a besoin, mais aussi de bien passer dans les vagues au près.
► Et si tu compares avec Malizia-Seaexplorer, le plan VPLP de Boris Herrmann ?
On a un peu plus de similitudes avec Charal qu’avec le bateau de Boris qui est plus large. Le point commun avec Malizia est la recherche d’une faible surface mouillée pour pouvoir naviguer plus à plat et typer le bateau pour le portant. Par contre, la ligne de quille est différente et il a plus de rocker que nous, ce qui le type sans doute un peu plus pour la brise. Ce qui est intéressant, c’est qu’on a tous travaillé sur les mêmes sujets et qu’on arrive à des propositions qui ont certes des points communs, mais aussi des divergences fortes.
“Des réponses totalement différentes
sur les plans de pont”
► Les bateaux de Yoann et Thomas sont-ils les mêmes ?
Les deux équipes ont décidé des points sur lesquels elles allaient faire la même chose, comme les carènes, les appendices sont aussi proches. En revanche, sur les plans de pont et l’ergonomie, chacune est venue avec ses idées, ça a divergé assez naturellement. C’est intéressant de constater qu’on a des réponses totalement différentes entre les deux à la problématique d’avoir à se déplacer le moins possible dans la zone de vie. Mais je vous laisserai découvrir…
► A quelles différences de performances peut-on s’attendre entre le premier bateau de Thomas et le nouveau ?
Il faudra se garder de tirer des conclusions hâtives car les décisions prises pour améliorer le comportement du bateau dans la mer font que dans d’autres conditions, elles pourront le ralentir. C’est par exemple assez vraisemblable qu’à l’entraînement en baie de Port-la-Forêt, sur mer plate dans 15 nœuds de vent, les nouveaux aillent plutôt moins vite que les « anciens ». Par contre, dès qu’il y aura du vent fort et de la mer, et en particulier au portant, ce qui arrive souvent sur un tour du monde, ça devrait aller plus vite. Après, ce n’est pas évident de chiffrer, mais par exemple, si on compare la cinquantaine de carènes que nous avons testées à une référence très proche du bateau de Thomas, il peut y avoir des différences de traînées d’une dizaine de pourcents sur un cycle de vague de 4 secondes en faveur de la nouvelle carène. Et au pic de la traînée, au moment où le bateau met le nez dans l’eau, on a plus de 50% de gain sur le nouveau bateau. Pendant un temps certes très bref, une demi-seconde, sauf que cette demi-seconde suffit à ralentir le bateau, ce qui nécessite, derrière, de gérer une relance. On pense que toute l’instabilité en vitesse qu’on constate aujourd’hui vient scientifiquement de ce pic de traînée très fort et là, le gain est quand même relativement important. Si ça se passe comme on l’a vu en simulation, on peut s’attendre à un bateau qui ralentira bien moins dans les vagues et aura donc des vitesses moyennes potentiellement assez supérieures.
► Maintenant que tous les grands choix ont été arrêtés, quelle est la suite du programme ?
On va accompagner les équipes jusqu’au Vendée Globe, qui va arriver très vite. On ne livre pas un produit fini à la mise à l’eau, c’est comme une F1, il faut la faire évoluer en cours de saison. On réfléchit donc forcément déjà à des évolutions, je n’ai aucune fierté d’architecte particulière, on prendra ce qui marche bien à droite et à gauche !
Photo : polaRYSE