Invité spécial de Tip & Shaft/Connect mercredi dernier à Nantes, Alex Thomson a ouvert la journée par une présentation de la stratégie commerciale et des retombées du projet Imoca Hugo Boss qui a marqué l’assistance. Aussi offensif dans ses prises de parole que sur l’eau, le Gallois a pris le temps de se confier en exclusivité à Tip & Shaft.
Tu vas disputer en 2020 ton cinquième Vendée Globe consécutif, tu n’es jamais lassé de cette course ?
Non, c’est devenu pour moi une obsession. Je me sens chanceux et privilégié de faire ça, je fais de la voile de haut niveau, je m’occupe un peu de design, je fais du marketing, du business, du management… Le fait de naviguer n’est qu’une partie du projet qui couvre tellement de choses différentes. Si le boulot ne consistait qu’à naviguer tous les jours, je pense que je m’ennuierais. Là, je considère que je fais le plus beau métier du monde !
Si tu devais décrire ce métier en un mot ?
Incessant. C’est un métier dans lequel tu ne t’arrêtes jamais. D’une certaine façon, le Vendée Globe est la partie facile !
Te serais-tu lancé sur un cinquième Vendée Globe si tu avais gagné le dernier ?
Je ne suis pas sûr que ma femme m’y aurait autorisé ! Quelque part, c’est une chance d’avoir terminé deuxième dans le sens où ça me donne l’opportunité d’en faire un de plus.
Tu as annoncé la construction d’un nouveau bateau, peux-tu nous dire quel architecte et quel chantier tu as choisis et quand la construction va démarrer ?
Nous avons planifié le début de la construction dans un ou deux mois pour une mise à l’eau en avril 2019. Pour ce qui est de l’architecte, nous ne l’avons pas encore annoncé : tout ce que je peux dire, c’est qu’il sera français ! Quant au chantier, j’aimerais que ce soit en Grande-Bretagne.
Quel est ton programme cette année ?
Nous partons en mai pour une tournée qui passera par Montréal, Toronto, Boston et New York. J’ai déjà été à Toronto avant en 2007, c’était fantastique. J’adore emmener le bateau au cœur des villes, beaucoup le permettent, parce qu’elles sont sur la mer ou proches, comme Helsinki, Saint-Pétersbourg, Stockholm, Copenhague, Londres, Toronto… C’est vraiment un très bon moyen de montrer aux gens ce que nous faisons. Quand ils entendent ce que nous leur racontons, ils sont en général stupéfaits, qu’ils soient anglais, français, américains, chinois. Après cette tournée, nous rentrerons en août pour préparer la Route du Rhum, ce sera ma première Route du Rhum ! Jusque-là, cela a toujours été compliqué de la faire, parce que la Route du Rhum, comme le Vendée Globe, est une course tellement française que nos sponsors préféraient toujours faire quelque chose de non-français, mais cette fois, je vais y participer.
Pourquoi cette fois ?
Parce qu’il y a une place dans le calendrier et parce qu’il est temps pour moi de la courir. Saint-Malo est sans doute ma ville préférée en France, c’est si beau ! Quand j’ai commencé à naviguer, je voulais toujours faire Cowes-Dinard. En plus, cette course fait partie des Globe Series, c’est important d’y participer pour soutenir le circuit.
Pourquoi ne participes-tu pas dans ce cas aux Monaco Globe Series début juin ?
Au départ, la course prévue dans le calendrier était New York-Barcelone. Le temps que le nouveau calendrier des Globe Series se mette en place, nous nous étions déjà engagés sur un autre programme. Nous le planifions en général un an et demi ou deux ans en avance, c’est compliqué de le changer.
Tu as annoncé lors de ton intervention chercher un second partenaire titre, peux-tu nous en dire plus et nous parler de ce budget ?
Hugo Boss m’a demandé de trouver un second partenaire principal à hauteur du tiers du montant total du budget, l’idée pour eux étant d’accroître leur retour sur investissement. Pour ce qui est du budget, c’est difficile d’en parler, parce que comme je l’ai expliqué, plus de 50% de notre business est lié à l’activation, chaque budget est donc différent. Mais d’un point de vue technique, nous savons qu’il faut 12 millions d’euros sur quatre ans pour être en mesure de viser la victoire sur le Vendée Globe.
As-tu vendu ton bateau actuel ? Quel en est le prix ?
Il est à vendre, nous pourrions aussi étudier la possibilité de le louer en vue du Vendée Globe. Nous avons été très près de le vendre [à Stéphane Le Diraison, NDLR], mais ça ne s’est pas fait. C’est un bateau fantastique, une partie de moi-même, il est complètement capable de gagner le Vendée Globe. Quant au prix, il est négociable, mais c’est plus de 3 millions d’euros.
Tu parles beaucoup de business, de retour sur investissement, le résultat sportif est-il du coup aussi important dans ton projet ?
Le résultat sur l’eau aide à donner de la valeur au projet, c’est lié. Chaque année, je consacre trois mois à travailler pour créer de la valeur, je pourrais passer ces trois mois à m’entraîner pour aller plus vite, et je pense que ça me ferait aller plus vite, mais il faut arriver à faire la balance entre les deux. Depuis le tout début, nous avons décidé que le plus important était de créer de la valeur pour atteindre ou dépasser nos objectifs commerciaux. Si tu ne fais pas ça, comment continuer dans la durée ?
Penses-tu que les skippers français attachent une telle importance à cette partie business ?
Je ne sais pas, mais je constate qu’il y a une nouvelle génération de skippers Imoca qui arrive – je pense par exemple à Stéphane Le Diraison, Paul Meilhat, Tanguy de Lamotte, Sébastien Simon – et qui fait bouger les choses, avec une approche plus commerciale pour permettre à notre sport de gagner en valeur. Il y a quinze ans, la Volvo Ocean Race et la Coupe de l’America étaient le top, alors que les gens considéraient que le Vendée Globe était encore du sport amateur ; aujourd’hui, il a beaucoup grandi et, pour moi, il est au moins au même niveau que la Volvo et la Coupe de l’America, si ce n’est plus haut. C’est une course qui ne parle pas que de technique, il y est aussi question d’émotions, d’un homme ou d’une femme contre les éléments. Nous sommes parvenus à toucher les personnes qui sortent du cadre des amateurs de voile, c’est une course qui est dotée d’un potentiel incroyable. Et je pense que c’est de notre responsabilité, si nous aimons notre sport, d’en être des ambassadeurs dans le monde pour encourager d’autres marins à y participer.
Comment s’y prendre ?
Il faut que nous arrivions à travailler ensemble, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Ces derniers mois, j’ai été en Irlande pour soutenir une équipe irlandaise, en Finlande pour soutenir une équipe finlandaise, en Allemagne pour soutenir Jörg [Riechers] et Boris [Herrmann]… Les gens me disent : “Mais Alex, pourquoi aides-tu Jörg et Boris à trouver des sponsors alors que tu vas naviguer contre eux ?” Je le fais, parce que s’ils trouvent des sponsors, j’aurai plus de retombées presse en Allemagne ! Nous devons arrêter de penser aux individus, et plutôt penser à notre sport pour aider autant de personnes que nous le pouvons à nous rejoindre dans les trois-quatre ans. Que ce soient des individus, des équipes, le Vendée Globe, la Route du Rhum, je fais tout ce que peux pour aller dans ce sens, et ça, c’est de notre responsabilité à tous.
Est-ce aussi pour cette raison que tu prends plus d’importance au sein de la classe Imoca dont tu es vice-président ?
Je suis dans la classe depuis longtemps, je ne suis plus loin d’en être l’un des plus vieux d’ailleurs. Il y a neuf-dix ans quand j’ai intégré le conseil d’administration, nous étions, avec Mike Golding, un peu les faire-valoir pour dire que la classe était internationale. Aujourd’hui, les choses changent beaucoupavec Antoine Mermod, le président. Au conseil d’administration, il y a des jeunes qui sont ambitieux et croient au projet, nous sommes beaucoup plus soudés. Ils font beaucoup d’efforts pour que les réunions aient lieu en anglais, ils veulent vraiment pousser dans le bons sens et je suis vraiment fier de faire partie de cet ensemble.
Tu parles d’internationaliser la classe, le projet à l’étude de courir la Volvo Ocean Race en Imoca est-elle selon toi une bonne idée ?
Pour une équipe comme la mienne, si nous pouvons courir la Volvo Ocean Race avec un petit surcoût, mais pour un rendement double, c’est bien évidemment une bonne idée. Avec Hugo Boss, nous parlons régulièrement de participer à la Volvo, mais le rapport entre les coûts et les retombées n’était pas suffisant jusqu’ici, là, ça pourrait marcher. Nous avons d’ailleurs resigné un contrat pour quatre ans avec Hugo Boss il y a cinq mois et lorsque nous avons évoqué le sujet, ils étaient très excités par cette perspective. Et si la Volvo devient un événement Imoca, je pense que nous verrons arriver des skippers de la Volvo sur le Vendée Globe, et à l’inverse des marins du Vendée Globe iront sur la Volvo, ça ne peut être que positif. Pour moi, les deux courses n’entrent pas en concurrence, elles racontent des histoires différentes, elles sont vraiment complémentaires, c’est un point important. Il faut arrêter de se comporter comme si nous étions tous en concurrence. Nous ne le sommes que sur l’eau.
Tu as dit lors de Tip & Shaft/Connect que l’un des freins au développement du Vendée Globe est qu’il est géré par une société en partie publique, peux-tu en dire plus ?
Le Vendée Globe doit faire des efforts pour s’internationaliser. Les organisateurs disent qu’ils le font, mais, dans les faits, ce n’est pas le cas. J’ai fait la moitié de tous les Vendée Globe, donc je suis bien placé pour le savoir ! En France, le Vendée Globe a atteint ses limites : les organisateurs disent que 80% des Français connaissent la course, donc maintenant, pour devenir plus gros, il faut aller à l’international. Le Vendée Globe est une propriété de l’Etat [majoritairement du département en fait, NDLR], ce sont des fonds publics, et ce sera toujours le cas. Le problème est plus qu’il est dirigé de la même manière qu’un conseil municipal, avec des process très lourds. Je ne pense pas que ce soit la bonne manière de gérer ce qui est pour moi l’un des plus grands événements sportifs au monde. Mais je veux quand même souligner que les gens qui travaillent pour le Vendée Globe font un travail fantastique.
Finissons par toi : quand tu regardes le marin que tu étais il y a vingt ans, que vois-tu et penses-tu avoir beaucoup changé ?
Je n’étais rien, j’apprenais juste à faire du bateau ! J’étais jeune, inexpérimenté, je n’avais même pas encore été choisi comme skipper pour la Clipper Race [qu’il gagnera en 1998-99, NDLR]. Je n’aurais jamais imaginé tout ce qui m’arrive aujourd’hui, mais j’avais le courage et la volonté. Si j’ai changé ? Disons que là où j’ai le plus progressé, c’est dans mes aptitudes à communiquer. Sinon, les gens me disent encore que je suis une tête brûlée et que je pousse le bateau trop fort. Mais je préfère être trop rapide que trop lent !