Damien Guillou au départ de la Golden Globe Race

Damien Guillou : “Une aubaine de vivre ça une fois dans ma vie”

Passé par la classe Figaro Beneteau (sept participations à la Solitaire entre 2010 et 2017) avant de se spécialiser dans un rôle de préparateur, pour Yann Eliès ou Kevin Escoffier notamment, Damien Guillou, 39 ans, sera un des deux Français au départ de la deuxième édition de la Golden Globe Race, dimanche 4 septembre aux Sables d’Olonne. Tip & Shaft a échangé avec le skipper de PRB.

Comment as-tu décidé de te lancer dans l’aventure de la Golden Globe Race ?
Quand il y a eu la première édition il y a quatre ans, la course m’avait interpellé, j’avais trouvé le concept sympa, même si je n’avais pas donné suite. Pour cette édition, c’est finalement une opportunité qui s’est présentée : j’étais boat-captain de Kevin (Escoffier), PRB a eu envie de retourner sur la Golden Globe Race après avoir soutenu Philippe Péché sur la première édition. Comme ça me donnait envie et que j’étais là, on s’est mis d’accord assez naturellement avec PRB. Si bien que je n’ai pas eu à rechercher un partenaire pour y aller. Après, j’ai quand même beaucoup réfléchi, surtout avec ma femme et mes enfants, je leur ai bien expliqué l’enjeu, parce que ce n’est pas rien. Une fois que tout s’est aligné, j’ai dit OK et on a mis en route le projet.

Comment l’avez-vous structuré ?
Tout a été centralisé via la structure de Vincent Riou à Port-la-Forêt, ce qui me permet d’avoir un accès total à ses bâtiments, un lieu que je connaissais bien puisque j’y travaillais. C’est une énorme aide, parce que j’étais dans des conditions parfaites pendant toute ma préparation. D’autant qu’il y a eu énormément d’heures de chantier sur le bateau, je ne pensais pas y passer autant de temps.

Justement, comment as-tu choisi le bateau ?
Le cahier des charges restreint le choix entre une quinzaine de bateaux de 33 à 36 pieds. L’idée était de prendre un 36 pieds, il s’est avéré que le Rustler 36 sortait du lot, parce qu’il est assez large au niveau des arrières, ce qui lui donne pas mal de stabilité, et assez haut sur l’eau, ce qui fait qu’il accepte vraiment la charge. Donc on est partis là-dessus, sauf qu’il s’est avéré qu’il n’y en avait plus beaucoup à vendre, parce que le bateau avait repris de la cote après la première édition de la course, on a fini par en trouver un à Venise, au sec dans un chantier [prix d’achat 80 000 euros]. On l’a ramené par la route et on a direct fait un gros chantier de trois mois pour le mettre en configuration proche de ce qu’il est maintenant. Ce qui m’a permis d’enchaîner beaucoup de navigations puis ma qualification de 2000 milles en 17 jours. On a ensuite refait un chantier de trois mois.

 

“Le sextant me faisait un peu peur”

 

Te sens-tu prêt ?
Oui, je pense avoir placé le curseur assez haut dans la préparation, on a fait un truc propre tout en restant raisonnable. Souvent, certains pensent que sous prétexte que je suis avec PRB et Vincent, j’ai toute une armée derrière moi, mais ce n’était pas du tout le cas, ce n’était pas une écurie Imoca ! J’ai travaillé tous les jours sur le bateau du lundi au vendredi, tous les matins à 8h30, avec juste un préparateur avec moi. Mais c’est ce qu’il faut, car sur un projet comme ça, tu es obligé d’être acteur de tout, car c’est une course qui va durer longtemps, je vais avoir plein de problèmes, donc c’est important que je sois sur tous les dossiers du début à la fin.

Tu vas naviguer à l’ancienne, au sextant, as-tu déjà expérimenté ça et si non, comment as-tu appris ?
Non, je n’ai pas connu le sextant, c’est qui me faisait un peu peur au tout début du projet. En revanche, quand j’étais petit, je naviguais à la carte et à l’estime avec mes parents, c’était le tout début du GPS, donc mon père m’apprenait à me servir de la règle Cras et à faire le point sur la carte, j’avais quelques notions d’enfance ancrées en moi. Après, j’ai aussi navigué en Mini 6.50, où on navigue à la carte. En revanche, le sextant, non, les personnes de ma génération ne s’en sont pas servies. Donc ce que j’ai fait, c’est que j’ai trouvé un gars à Toulouse, un passionné de navigation astronomique, qui donne des cours et vend le matériel qui va avec. Avant même d’acheter le bateau, je l’ai contacté pour faire un stage de deux jours, je suis tombé sur un mec super sympa et pédagogue, j’ai adoré sa manière de m’expliquer. Ensuite, pendant trois mois, il m’envoyait des exercices de calcul que je faisais à la maison, et quand on a mis le bateau à l’eau, je suis passé à la pratique, à faire des relevés sur l’eau et mes calculs, ça s’est bien passé, je ne pensais pas maîtriser les bases aussi vite, je suis ensuite retourné faire un stage de perfectionnement.

C’est très différent de ce que tu as connu depuis que tu fais du bateau ?
Oui, c’est vraiment une autre manière de voir les choses, une autre philosophie, c’est plus de travail, il faut être rigoureux. Aujourd’hui, on est habitués à naviguer au mètre près, là, il faut accepter une marge d’erreur de 15 milles. Ce qui fait qu’il faut être vigilant lors des approches de côtes, si tu as un doute et qu’il fait nuit, il vaut mieux temporiser et attendre que le jour se lève. Et on a le droit au sondeur, qui sert pas mal dans ces cas-là. Il y a un autre paramètre, c’est qu’on est autorisés à entrer en contact par la VHF avec tous les bateaux qu’on croise et leur demander notre position, parce que ça se faisait à l’époque, c’est un outil supplémentaire.

 

“C’est une erreur de me voir gagner avant le départ”

 

Compte tenu de ta préparation, qui a été plutôt confortable par rapport à d’autres concurrents, peut-on considérer que tu es le favori de cette deuxième Golden Globe Race ?
C’est sûr que par rapport à certains, j’aurai eu deux ans à temps plein pour préparer cette course, j’y ai mis toute mon expérience et ma motivation, car j’ai su dès le départ que la réussite de ce projet se passait avant le départ. Pour ce qui est de la concurrence, rien qu’en lisant le CV des mecs, tu vois qu’il y a pas mal d’aventuriers, pour lesquels cette course est le projet d’une vie, leur objectif est juste de terminer la course. Des gars qui sont là avec l’envie de gagner, il y en a cinq grand maximum, dont l’Anglais Simon Curwen qui me semble le plus gros concurrent. Il a beaucoup navigué et régaté, j’ai l’impression qu’il s’est bien préparé, je l’ai vu sur le prologue dont il a pris la deuxième place derrière moi après être mal parti, il a attaqué, ça montre bien que c’est un bon client. Après, beaucoup me voient remporter la course avant le départ, mais selon moi, c’est une erreur, car la Golden Globe Race est vraiment une course différente de ce qu’on connaît : l’enjeu principal, plus que toutes les autres épreuves, c’est d’aller au bout, car il y a quand même énormément de possibilités de ne pas finir, en raison de la longueur, mais aussi parce que le bateau va rencontrer des conditions extrêmes pas vraiment faites pour lui, l’usure va être monstrueuse. Et il faut aussi faire attention à ne pas trop tirer dessus sous prétexte que je fais partie des favoris, je risque de plus provoquer des problèmes que le mec qui ne part que pour l’aventure. Il ne faut pas avoir un raisonnement trop régatier, il faut voir à très long terme.

Jean-Luc Van den Heede avait gagné la première édition en 212 jours, comment appréhendes-tu cette durée ?
Ça peut paraître inquiétant de s’isoler pendant autant de temps, mais c’est aussi un des aspects qui m’attire. C’est quasiment impossible, nulle part dans le monde, de pouvoir vivre une telle chose, même si on ne sera pas complètement isolés parce qu’on a des liaisons régulières avec l’organisation par Iridium – ce sont les seuls avec qui on peut parler. Peut-être que ça va être un enfer, on ne peut pas se préparer à vivre un truc aussi long, mais je le prends comme une aubaine de pouvoir vivre ça une fois dans ma vie.  

As-tu justement échangé sur le sujet avec Jean-Luc ?
Oui, mais il est sur une autre planète ! Dans le sens où il est vraiment fait pour ça. Quand tu parles avec lui, il t’explique qu’il est parti faire une course comme les autres, il n’a eu aucun souci avec la longueur. Donc j’ai presque envie de dire qu’il est de mauvais conseil, parce que pour lui, la question de la longueur ne se pose même pas, il retient juste que tout s’est bien passé !

 

Photo : Yann Riou / polaRYSE / PRB

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