A 50 ans, Yvan Bourgnon partage son temps entre l’association Seacleaners qu’il a fondée, un métier de conférencier et la navigation : en Ocean Fifty avec Gilles Lamiré, en Nacra 20 avec son fils Mathis et sur les ETF26 Series à la tête de l’équipage Zizi to Fly. Au moment où il s’apprête à disputer le Raid Quiberon, Tip & Shaft a échangé avec lui.
Comment as-tu intégré le circuit ETF26 Series ?
C’est à la fois une envie forte et une opportunité. En 2020, j’ai eu l’occasion d’acheter en Suisse à des prix raisonnables trois ETF26 qui avaient chaviré sur le Bol d’Or 2019. Je me suis dit que j’allais dans un premier temps en reconstituer deux, le premier pour le mettre en vente, le second pour moi. L’entrée sur le circuit a été un peu difficile avec Jean-Pierre Dick qui tenait la classe, il n’était pas très ouvert, parce qu’il était inquiet sur les bateaux qu’il estimait un peu déclassés, mais ça a fini par s’arranger.
Et comment se sont passés les débuts ?
On a pas mal navigué en 2020 pour prendre en main le bateau, puis on est arrivés sur le circuit en mode amateurs. Au début, on ramassait un peu les bouées, aujourd’hui, on arrive à laisser des bateaux derrière nous, même si on sait qu’on ne sera jamais sur le podium, il ne faut pas rêver. On prend beaucoup de plaisir, c’est une classe formidable, accessible, qui est en train de se développer fortement (voir notre article). Les étrangers s’y intéressent de près, j’ai beaucoup de demandes pour mon deuxième bateau (*), des Néo-Zélandais, des Hollandais, les Danois de SailGP qui le louent pour le Raid Quiberon… On a prévu de mettre en service le troisième, qui a besoin de modifications, pour mars 2023. Les ETF26 sont aujourd’hui solides et stables, ils ne volent certes pas très tôt et pas au près, mais ils procurent des sensations de dingue. Et ils vont encore évoluer, avec des plans porteurs plus grands sur les safrans l’année prochaine, et sans doute de nouveaux foils en 2024.
Avec qui navigues-tu et quel est le budget d’une saison pour toi ?
C’est un projet 100% amateur, donc le budget est dérisoire, je dépense 20 000 euros à titre personnel, on a zéro sponsor. Je pourrais en chercher, mais je n’ai pas le temps. C’est plus important pour moi de trouver des dizaines de millions d’euros pour Seacleaners que 50 000 ou 100 000 pour l’ETF. Sinon, je navigue avec mon fils Mathis et Paul Melot, un ancien champion de cata de sport.
“On est sincèrement
désolés pour Sébastien“
Parlons d’Ocean Fifty et de ta collaboration avec Gilles Lamiré : tu sors d’un Grand Prix de Bonifacio assez mouvementé, puisque vous avez dû abandonner après avoir percuté Primonial, peux-tu nous raconter ?
On était sur une phase de départ, en train d’abattre au près sous Koesio, on n’a pas vu arriver Primonial sous le vent ; quand on l’a finalement vu, j’ai entendu l’équipage crier, je pensais que c’était pour Koesio parce que je passais un mètre derrière, mais en fait, c’était pour Primonial, je n’ai pas pu éviter la collision. C’est clairement le plus mauvais moment de ma carrière sportive, j’ai encore du mal à encaisser ça, parce que c’est terrible de mettre un autre bateau hors course. Après, je n’ai rien contre Gilles, c’est quelqu’un que j’apprécie énormément et avec qui je navigue depuis six ans, mais sur ce Grand Prix, comme il venait de ramener son bateau de Guadeloupe, on est arrivés sans entraînement, sans aucune préparation, on n’était pas dans les meilleures dispositions pour régater en sécurité. Je m’en veux, parce que j’étais à la barre, peut-être que j’aurais dû être plus prudent sur le départ compte tenu de ce manque de préparation. On est sincèrement désolés pour Sébastien (Rogues) qui galère pour réparer son bateau pour la prochaine course, j’espère qu’il sera à Brest.
Et Gilles ?
Il fait tout pour revenir le plus vite possible, mais la réparation du flotteur endommagé va être longue, il manque 2,5 mètres d’étrave. Là, ils viennent de démarrer la construction de la pièce chez Lalou Multi, après, il faudra faire l’assemblage à Marseille, convoyer le bateau en Bretagne, c’est une sacrée mission.
Que penses-tu de cette classe Ocean Fifty ?
Quand je vois tous les budgets qui partent sur le Vendée Globe et qui arrivent très peu dans les Ocean Fifty, j’ai du mal à comprendre, parce que c’est une classe exceptionnelle qui n’a rien à envier à l’Orma qu’on avait créée dans les années 1990. D’ailleurs, les bateaux vont aussi vite qu’à l’époque, ils sont spectaculaires, encore plus homogènes, il y a tout pour faire rêver les sponsors. Il manque à mon avis aujourd’hui deux-trois têtes d’affiche qui permettraient à la classe d’exploser. A un moment donné, il faut que les sponsors se demandent si ça ne vaut pas mieux de venir sur ce circuit plutôt que de finir 17e sur le Vendée Globe.
Navigues-tu sur d’autres supports ?
Oui, on a un objectif important avec Mathis, le championnat du monde de Nacra 20, à Hyères, en septembre. On a été champions d’Europe en 2019, ce n’est pas une classe où il y a énormément de bateaux, mais il y a des mecs très forts, des amateurs éclairés qui naviguent beaucoup.
“J’aime les défis extrêmes,
comme j’aime la compétition”
Aujourd’hui, ton métier, c’est navigateur ?
Mes deux métiers actuels, c’est écologiste, puisque je donne 50% de mon temps en tant que bénévole à Seacleaners, et conférencier à 25% ; les 25% du temps restants, je dépense de l’argent en naviguant. Maintenant, mon objectif est de revenir dans le match en course au large à partir de 2025-2026. Je me donne deux à trois ans pour lancer et propulser le Manta [projet de bateau collecteur de déchets plastiques, NDLR], après, je pense que j’aurai plus de temps pour naviguer. J’ai toujours le projet de faire le tour du monde à l’envers en multicoque, c’est pour moi un des derniers grands défis planétaires de la course au large, hyper engageant. Ce qui me stimule, c’est de me donner à fond, j’aime les défis extrêmes, comme j’aime aujourd’hui la compétition, j’aspire aux deux, j’ai besoin de cette alternance.
Sur quel bateau te verrais-tu partir ?
C’est trop tôt aujourd’hui pour dire quel bateau sera disponible en 2025, mais si j’ai le choix, je miserai sur un bateau solide, genre Idec, tu mets un mât plus petit, c’est le bateau rêvé pour faire ce tour du monde. Je suis d’ailleurs surpris que Francis (Joyon) n’ait jamais voulu s’attaquer à ce record, parce qu’il a le mental et le bateau pour le faire.
Un mot pour finir sur la « dynastie » Bourgnon : Basile, ton neveu, débute cette année sur le circuit Figaro, comment le vois-tu ?
Ce qui est impressionnant chez lui, c’est sa maturité. Son père (Laurent) avait lui aussi une maturité exceptionnelle, Basile s’est vraiment imprégné de ça. Il a ce côté peur de rien, mais tout en étant posé, réfléchi. J’en discutais avec Yann Eliès qui a navigué avec lui en Figaro, il a été assez bluffé. Et il a un atout en plus de son père, c’est qu’il est très bûcheur. Laurent avait un côté branleur, il ne faisait que ce qu’il aimait. Par exemple, il ne bossait pas beaucoup la météo parce qu’il n’aimait pas ça, alors que Basile n’a pas peur de se pointer tous les matins à Port-la-Forêt pour enquiller les jours de navigation et apprendre la météo, parce qu’il ne veut pas avoir de lacunes.
Et ton fils Mathis, a-t-il lui aussi pour objectif de faire de la compétition son métier ?
Pour l’instant, il a un pied dedans, un pied dehors ; là, il goûte à la vie professionnelle chez Forward Sailing, mais il consacre quasiment tout son temps disponible à la voile : il est dans la Swiss Sailing Team, fait du Flying Phantom, du M2, plus les régates avec moi en ETF et en Nacra. Après, est-ce qu’il va basculer sur la voile de compétition ? Je pense qu’au fond de lui-même, il en a envie, mais pour l’instant, il n’a pas le tapis rouge qui se déroule, comme l’a Basile avec l’équipe Edenred. Maintenant, le fait de bricoler, de chercher des sponsors, ça fait partie de l’apprentissage.
(*) un bateau d’occasion se négocie autour de 70 000€
Photo : Thomas Deregnieaux / Qaptur / ETF26