Figure historique de la Transat AG2R La Mondiale puisqu’il en est à l’origine, Yvon Breton, qui vient de quitter son poste de conseiller du DG, en charge du sponsoring sportif chez AG2R La Mondiale, accompagnera une dernière fois l’épreuve, dont le départ de la 14e édition sera donné le 22 avril de Concarneau. L’occasion pour lui de revenir sur 26 ans de transat et d’évoquer l’avenir de la course en double entre Concarneau et Saint-Barth.
Quels souvenirs gardez-vous de la création de la Transat AG2R ?
Ça me rajeunit de 26 ans… En 1991, quand nous nous sommes mis d’accord avec François-Xavier Deshayes [l’organisateur de l’époque, dont la société, Match Racing, a été rachetée par Le Télégramme en 2004, NDLR], nous étions face à un besoin de communication auprès du grand public. Le sport m’est alors apparu comme une réponse tout à fait adaptée, dans le sens où c’est un terrain de jeu qui rapproche les gens, qui permet de partager des moments d’émotions. J’avais proposé au conseil d’administration de l’époque d’investir dans deux sports, la voile et le cyclisme, qui avaient deux vertus communes : la première, c’était un spectacle gratuit pour le public, la deuxième, la citation de la marque. La Transat AG2R présentait quant à elle plusieurs avantages : elle était innovante, puisque c’était la première transat à armes égales, elle était accessible d’un point de vue budgétaire, à la fois pour nous et pour les skippers, et elle était en double, ce qui, atout important pour un assureur de personnes, était à la fois synonyme de sécurité et de solidarité. Enfin, je voulais déjà inscrire ce partenariat dans le temps, parce que je considérais qu’une stratégie de communication au travers du sponsoring devait montrer une certaine fidélité et que c’était avec le temps qu’elle pourrait permette de garantir un meilleur retour sur investissement. Vingt-six ans après, nous sommes toujours là…
Le retour sur investissement vous satisfait-il ?
Oui. A l’époque, nous avions un taux de notoriété extrêmement faible auprès du public, de l’ordre de 2%, aujourd’hui, sept à huit Français sur dix connaissent AG2R La Mondiale qui est toujours placée dans le Top 5 des citations de marque dans notre secteur d’activité. Les enquêtes montrent que les valeurs qui nous sont accolées sont la performance, la solidarité, la proximité, et le sport et la voile ont été déterminants pour cela. Selon les études, nous avons un capital sympathie assez extraordinaire pour une compagnie d’assurance, alors que nous ne sommes pas forcément dans un domaine très sexy et que nous intervenons dans des moments de la vie pas toujours très sympas. C’était donc un pari de s’engager sur du long terme, on peut dire qu’il a porté ses fruits et c’est aussi pour ça que nous sommes encore là : quand on reçoit, il faut savoir redonner. Aujourd’hui, les trois quarts de nos moyens budgétaires consacrés au marketing et à la communication s’expriment à travers le sponsoring.
N’avez-vous jamais été tenté de sponsoriser un skipper ?
Si je vous disais le nombre de marins qui m’ont sollicité depuis tout ce temps… Nous nous sommes forcément posé la question et nous y avons même répondu une fois favorablement, puisque nous avions lancé dans les années 2000 le Skipper AG2R, qui a soutenu Jeanne Grégoire puis Rodolphe Jacq. Mais j’ai vite vu que ça ne passait pas bien vis-à-vis des médias qui, comme nous étions aussi partenaires d’un événement, considéraient que nous étions un peu juge et partie. J’ai donc décidé de faire machine arrière, c’est la seule expérience que nous avons faite. Nous avons aussi choisi d’être partenaire d’un événement parce que c’est un partenariat moins dépendant des performances d’un skipper, on est partenaires de tous ceux qui contribuent à la réussite de l’événement. Et dans notre autre sport, le cyclisme, nous sommes, là, partenaires de sportifs, en l’occurrence d’une équipe, cela nous permet d’avoir l’ensemble du dispositif et de jouer sur les deux tableaux.
Si vous vous retournez sur les treize éditions précédentes, arrivez-vous à isoler des souvenirs marquants ?
C’est dur, mais j’en citerais deux. Le premier, c’est l’arrivée fantastique de 1994 : à un mille de l’arrivée, on ne savait toujours pas qui allait gagner, c’était un spectacle magique, en pleine nuit, sous des orages incroyables, avec 63 secondes d’écart en faveur de Jean Le Cam et Bilou [devant Bertrand de Broc et Marc Guillemot, NDLR]. Le second, qui m’a beaucoup ému, c’est la victoire de Bruno Jourdren avec Marc Guessard en 1998. Comme on le sait, il est en situation de handicap puisqu’il ne peut pas se servir d’un bras, c’était un moment extrêmement émouvant de le voir tirer des bords vers l’arrivée, personne ne s’y était d’ailleurs trompé et il avait reçu un accueil fantastique à Saint-Barth. Globalement, ce que je retiens avant tout, c’est tout l’humain qui tourne autour de cette transat.
La transat a vécu des moments plus difficiles depuis quelques éditions, avec un plateau réduit à une quinzaine de bateaux, a-t-elle été menacée et quand ?
Clairement oui, surtout après la dernière édition. Il y avait déjà eu une alerte en 2014, avec un nombre de bateaux en baisse, qui ne s’était malheureusement pas redressé en 2016, notamment à cause d’un calendrier invraisemblable, avec une Solo Maître CoQ en même temps que la transat et une Solitaire du Figaro en juin. Il faut bien comprendre qu’après chaque édition, on attend d’avoir toutes les mesures des retombées, qualitatives et quantitatives, avant de décider si on repart. Là, je voyais bien que tous les clignotants n’étaient pas au vert, il a donc fallu que je prenne mon bâton de pèlerin pour argumenter auprès du conseil d’administration. Mais pour repartir, il fallait montrer une intention de rebondir.
Et cela a donné quoi ?
J’ai été amené à rencontrer tous les intervenants pour tenter d’améliorer le plateau. Ce qu’il fallait ? D’abord régler ces problèmes de calendrier qui ne servent pas la cause de la voile, ensuite rouvrir la course aux amateurs. A l’arrivée, tout le monde, les coureurs, les organisateurs, les partenaires, la fédération, a fait preuve de bon sens avec un calendrier qui ne gêne personne et, surtout, la course a été incorporée au Championnat de France de course au large. Cette reconnaissance est un Graal, j’espérais bien que ça allait tomber pour ma dernière, elle a sans doute permis à des skippers de s’inscrire, si bien que je trouve que cette année, le plateau est formidable.
Une clause dans le contrat avec l’organisateur, OC Sport-Pen Duick, conditionnait votre soutien à la course à un plateau de 20 bateaux au minimum, ils seront 19 finalement au départ après le retrait des frères Livory…
On avait effectivement fixé un minimum de 20 bateaux, il y en a 19, on n’est pas à une unité près. Avec cette clause, je voulais surtout donner un signal fort qu’il fallait s’inscrire dans une dynamique de remontée plutôt que dans une baisse ou une stagnation. Je n’aurais pas dit non à 25, mais là, c’est quand même un tiers de plus que la fois précédente. En plus, c’est toujours un peu difficile en année de Route du Rhum, avec pas mal de skippers potentiels de la classe Figaro qui se préparent pour le Rhum.
Le Figaro 3 peut-il être un moyen supplémentaire de relancer la Transat AG2R La Mondiale ?
Sans aucun doute, d’autant qu’il sera mis à l’eau un an avant la prochaine édition et qu’il pourrait servir de support pour les Jeux de 2024 si la course au large est inscrite au programme olympique avec une épreuve en double mixte. Si une première expérience sur ce format peut avoir lieu en France lors de la Transat AG2R 2020, on en sera plus qu’heureux.
Pourquoi ne pas imaginer dès lors une Transat AG2R en double mixte en 2020 ?
C’est le sens de l’histoire, la course au large est un sport qui n’est pas au même niveau que d’autres en termes de mixité. Et je pense que ce serait assez facile de convaincre les marins de faire un test quatre ans avant les Jeux, il n’est jamais trop tôt pour se préparer !
Vous avez pris votre retraite le 1er février, la course survivra-t-elle à votre départ ?
Je ne peux pas vous le dire, c’est une décision qui ne m’appartient pas, d’autant que je ne suis plus salarié de la maison même si l’entreprise m’accorde un peu de confiance pour accompagner cette édition jusqu’à son terme. Ce qui est sûr, c’est qu’en interne, les collaborateurs sont extrêmement fiers de notre engagement dans le sport et dans la voile, c’est un sentiment d’appartenance renforcé. Quelqu’un me remplace et fera ça très bien, personne n’est irremplaçable, on m’a demandé de l’accompagner, je le ferai avec beaucoup de bonheur.
Qui est-il et a-t-il la même appétence pour vous pour la voile ?
Il s’appelle José Messer, il aime beaucoup le sport, il a d’ailleurs été très proche d’être footballeur professionnel au Racing Club de Strasbourg et s’est beaucoup impliqué dans le sport/santé au sein de l’entreprise. Il est passionné, motivé, je pense qu’il a compris quand il était commercial à quel point notre engagement dans le sport était connu des prospects et que cette stratégie de communication avait sa raison d’être. Je suis sûr qu’il fera un excellent boulot !
Le cyclisme ne suffirait-il pas à remplir à lui seul vos objectifs en termes de sponsoring ?
En faisant ça, on perdrait une partie de la cible. Le cyclisme et la voile sont extrêmement complémentaires : la voile est un sport plus leader d’opinion, CSP +, chefs d’entreprise, plus citadin et plus féminin que le vélo. Et si on regarde les équivalents d’achats publicitaires, les ratios sont assez proches : le rapport de la voile est de 7 à 10 fois l’investissement pour 1,2 million de budget sur la Transat AG2R ; en vélo, en face des 14 millions investis, ça oscille entre 100 et 130 millions. Et le vélo a beaucoup plus d’exposition sur l’année, alors que la Transat AG2R, c’est un mois tous les deux ans.
En conclusion, vous n’êtes pas inquiet sur l’avenir de la Transat AG2R ?
Non, la course n’est jamais qu’à maturité, elle peut vieillir sereinement avec probablement ce nouveau coup d’accélérateur lié au nouveau bateau dans un contexte de mixité qui ne pourra que valoriser son développement