Agé de 23 ans, Tom Laperche est un talent précoce, 11e de sa première Solitaire du Figaro en 2019, 3e un an plus tard. Au moment d’attaquer sa troisième saison sur le circuit Figaro Bénéteau avec la Solo Maître CoQ qui s’est élancée lundi aux Sables d’Olonne, le skipper de Bretagne CMB Performance évoque son parcours et ses ambitions.
Avant d’évoquer le Figaro, peux-tu résumer ton parcours pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Par mon père (Philippe), j’ai toujours baigné dans l’univers de la course au large, il a navigué avec des marins comme Laurent Bourgnon ou Thomas Coville, dont j’avais les posters dans ma chambre. J’ai débuté la compétition en Optimist, j’ai ensuite fait de l’Open Bic, de la planche, de l’Open 570. En parallèle, j’ai toujours fait du large, sur le Formule 40 de mon père, j’ai aussi fait le convoyage retour de la Route du Rhum 2010 quand j’avais 13 ans avec lui et mon petit frère en trimaran de 50 pieds, ça a été une super expérience.
Comment la voile est devenue un métier ?
Grâce au challenge Bretagne CMB Espoir qui m’a permis de faire un bond énorme. Quand tu sors juste de tes études [d’ingénieur à l’Université de Technologie de Compiègne, NDLR] et que tu sais que tu vas devoir faire un choix entre travailler ou essayer de faire de la voile, c’est une opportunité incroyable. C’est pour ça que cette filière est vite devenue un objectif, et l’année où je me suis présenté, j’avais vraiment en tête de remporter le challenge. Je savais que ça pouvait être un tournant, c’est un super ticket d’entrée dans l’univers professionnel de la course au large.
Tu as eu d’entrée des résultats probants : 2e de ta première étape de Solitaire du Figaro en 2019, 11e au final, as-tu été surpris ?
J’ai commencé le Figaro au moment où est arrivé le nouveau bateau, du coup, même si je n’avais pas l’expérience du solitaire et de l’engagement qu’il fallait mettre dans cette série, on l’a tous découvert en même temps. Rapidement, je me suis rendu compte que sur mes premiers départs et tests de vitesse, je n’étais pas perdu, je passais même des bouées devant. Sur ma première course, la Solo Maître CoQ, je fais une performance moyenne sur la grande étape (21e), mais en perdant 10 places à 3 milles de la ligne d’arrivée. Donc je me suis dit que c’était quand même bien pour des débuts, j’arrivais à dormir, à gérer ma vie sous pilote, le plus gros dossier était la météo, la stratégie et l’engagement qu’il faut mettre jusqu’à la ligne d’arrivée. Après, j’ai quand même été surpris, ma première Solitaire s’est super bien passée : sur quasiment toutes les étapes, j’ai été dans les cinq voire dans les trois premiers sur pas mal de pointages, c’était un peu au-delà de mes espérances.
Et tu confirmes en 2020 remportant la Solo Maître CoQ, avant de terminer 2e de la Drheam Cup puis 3e de la Solitaire, c’est quoi le secret de Tom Laperche ?
Je pense qu’il y a de l’investissement, du travail et de la rigueur, mes études m’ont permis d’apprendre à m’organiser pour être performant rapidement. Après, il y a la partie un peu moins rationnelle, le sensitif, qui fait que je sais faire avancer un bateau vite, c’est plus abstrait. Je pense que le temps passé sur l’eau depuis que je suis jeune et le fait d’avoir navigué sur beaucoup de supports différents m’ont permis d’acquérir plein de sensations qui me permettent d’être performant en Figaro.
Christian Le Pape, patron du pôle Finistère course au large, dit souvent de toi que tu ne prends pas feu, tu confirmes ?
Je pense que c’est assez vrai : quand je monte en pression, je ne le montre pas, mais même à l’intérieur, c’est assez rare que ça m’arrive. Je dirais que c’est d’abord parce que j’adore ce que je fais, je prends un plaisir énorme à bien régler mon bateau et à vivre dessus, à réfléchir pour essayer d’aller plus vite, à préparer la stratégie… La compétition, battre les autres, ça passe en deuxième.
Tu attaques ta troisième saison sur le circuit, les deux qui t’ont devancé sur la Solitaire 2020, Armel le Cléac’h et Frédéric Duthil, ne sont pas là, es-tu prêt à assumer un statut de favori ?
Oui et tant mieux si le regard des autres sur moi est comme ça, c’est déjà une petite fierté d’être arrivé là après deux saisons de Figaro. L’année dernière sur la Solitaire, tout le monde a voulu me faire porter cette étiquette, de mon côté, je visais un Top 5 ; cette année, j’ai envie de faire mieux, avec comme objectifs principaux la Transat (St Barth-Concarneau, avec Loïs Berrehar, auquel il a succédé en tant que skipper Bretagne CMB Performance) et la Solitaire.
Ces objectifs élevés vont-ils modifier ta façon de naviguer, notamment sur la Solitaire ?
Lors de mes deux premières années d’apprentissage, j’avais plutôt choisi une stratégie conservatrice, le but était de limiter les risques et d’essayer de jouer un peu sur les erreurs des autres. C’est un peu ça, le Figaro, et je pense que c’est une très bonne stratégie pour faire dans les cinq ou un podium. Maintenant, pour gagner, il y a un moment où il faut sentir les coups et investir davantage dans ses choix tactiques. Quand on regarde les années précédentes, les vainqueurs de la Solitaire sont ceux qui croient en leurs options, et finalement, ça passe, il faut ce petit état de grâce qui fait que, pendant un mois, tout va bien s’aligner.
Te vois-tu rester longtemps sur le circuit Figaro ?
Non, pas forcément. Depuis que je fais de la voile, j’ai toujours adoré découvrir de nouveaux supports, donc j’aurais l’impression de stagner si je devais faire cinq-dix ans de Figaro et ce n’est pas du tout péjoratif par rapport à ceux qui font ça. En tout, je vais bénéficier de quatre saisons avec Bretagne CMB, c’est une super formule, donc aujourd’hui, je me dis qu’il faut que j’arrive à naviguer au maximum sur plein de bateaux différents, que je trouve des embarquements, j’aimerais bien par exemple faire la Transat Jacques Vabre en fin d’année.
Tu aimerais faire quoi après le Figaro ?
Mon idée, c’est de faire le Vendée Globe, qui me paraît cependant encore un objectif assez lointain. C’est une aventure hors norme qu’il faut vraiment avoir envie de faire, je pense que ça va venir, peut-être plus vite que je ne l’imagine, mais si ce n’est pas sur le prochain, ce n’est pas forcément gênant. J’aimerais aussi faire du Multi50 [désormais Ocean Fifty]. Le nouveau programme est très alléchant, ça change vraiment du Figaro, avec plus d’adrénaline, les sensations de naviguer sur un flotteur l’écoute à la main, tu ne les retrouves pas partout, ça reste magique. En plus, c’est une plateforme qui, pour 800 000-900 000 euros, amortissement du bateau compris, permet de faire une saison complète en naviguant beaucoup, la formule est vraiment intéressante. J’ai envie d’être ambitieux pour les années qui viennent, donc si je peux faire la prochaine Route du Rhum en Multi50, ça me plairait.
Photo : Alexis Courcoux