Alors que la deuxième étape de la Solitaire URGO Le Figaro arrive dans la nuit de mardi à mercredi en Espagne, retour sur la première remportée par Anthony Marchand (Groupe Royer-Secours Populaire) avec le concours de Jeanne Grégoire, du Pôle Finistère course au large, de Nicolas Lunven et Yann Eliès, respectivement double et triple vainqueurs de l’épreuve, et du directeur de course Francis Le Goff.
Anthony Marchand à maturité ?
Toujours dans les bons coups entre Le Havre et Saint-Quay, Anthony Marchand, 33 ans, aura attendu sa huitième participation pour remporter sa première victoire d’étape, lui qui s’était imposé en début de saison sur la Solo Concarneau. Pas un hasard si l’on en croit Yann Eliès : “Je crois qu’Antho a pris conscience il y a deux ans, au retour de sa Volvo Ocean Race [sur Mapfre, NDLR], qu’il fallait travailler plus et être rigoureux, ça l’a conduit à fournir un travail important avec Alexis Loison“. Effectivement, le skipper de Groupe Royer-Secours Populaire a décidé de préparer sa saison en binôme avec celui de Custo Pol, mais également de chercher d’autres compétences, comme il l’a confié à Saint-Brieuc : “Avec Alexis, on s’est créé un binôme d’entraînement en essayant de reproduire un peu le système de fonctionnement de Bretagne Crédit Mutuel ou de Skipper Macif. Nous avons aussi fait appel à Nicolas Lunven et à nos maîtres voiliers respectifs pour les réglages de voiles, et pour la météo, en plus de Jean-Luc Nélias du Pôle Finistère, on a pris Dominic Vittet pour la Solitaire”.
Interrogé sur sa collaboration avec le duo, Nicolas Lunven, vainqueur de la Solitaire l’an dernier, s’il estime que – “la victoire d’Antho ne s’explique pas parce que je suis venu lui donner un petit coup de pouce” – commente : “Je pense que mentalement, ça a pu lui faire du bien, parce que quand tu as le sentiment avant le départ d’avoir fait le maximum dans tous les domaines, tu te concentres sur l’essentiel : aller vite et au bon endroit”. Le natif de Saint-Brieuc devient-il pour autant favori de la course ? “Gagner une étape, ça peut être un déclic et ça permet de gagner en confiance, note un autre Briochin, Yann Eliès. Maintenant, on va voir comment il digère cette victoire et comment il gère l’escale à domicile, avec les sollicitations des proches et de la famille”.
Peu d’écarts mais des séquelles ?
“Un Figaro entier sur une étape”, voilà comment Francis Le Goff résume cette étape initiale. Entre multiples changements de leaders et conditions variées, la première étape aura été un vrai condensé de la course, mais à l’arrivée, “elle a accouché d’une souris au général”, note Yann Eliès. “Avant le départ, des coureurs disaient que la Solitaire pouvait se jouer sur cette étape, avec de gros passages à niveau, mais, en fait, il y a eu un train à chaque passage à niveau et tout le monde s’arrêtait pour s’attendre”, constate Jeanne Grégoire.
A l’arrivée, les écarts sont infimes (les 20 premiers en 18 minutes), mais tous sont d’accord pour estimer que cette étape laissera des traces : “Les écarts sont faibles, mais ça va peser sur la suite, tant ils ont mis leurs tripes sur cette étape ; il faudra attendre quelques jours pour faire le compte”, estime Francis Le Goff. “Il ne faut pas sous-estimer l’impact physique de cette étape très dure pour les organismes mais aussi pour les machines. Ceux qui ont été un peu juste en budget cet hiver et n’ont pas eu l’argent à mettre dans l’entretien du bateau risquent de le payer cher”, ajoute Yann Eliès. Entre spis explosés, tangons, poulies et écoutes cassés, centrales électriques endommagées par les paquets de mer et autres pépins, les préparateurs ne manquent pas de travail à Saint-Brieuc, tandis que le nombre d’abandons (7 sur 36) est inhabituellement élevé. “Il y a plusieurs facteurs : les conditions météo des 24 premières heures, très copieuses ; des bateaux qui, même très bien préparés, arrivent en bout de course ; mais aussi le fait que la plupart des marins les maîtrisent parfaitement et tirent donc davantage dessus”, explique Francis Le Goff.
Les gros bras dans le coup, certains reviennent de loin
“Même si les écarts sont très faibles, l’étape a déjà imprimé une hiérarchie : dans la manière de naviguer, des gars sont sortis du lot”, estime Nicolas Lunven qui précise : “Pour moi, Sébastien Simon, s’il ne gagne pas l’étape, a été le patron : il a su décrocher le paquet quand il fallait dans la pétole, il a eu la vitesse, il a toujours été présent. A un moment donné, ça va faire mal”. Yann Eliès ajoute, à propos du skipper de Bretagne CMB Performance : “Il a eu pendant l’étape cette capacité à se dire : « OK, les mecs sont revenus, j’ai encore raté l’occasion de marquer la Solitaire, tant pis, je remets le couvert »”.
Nico Lunven a également apprécié la performance, certes pas récompensée au classement (13e), de Corentin Douguet – “Il décroche le premier pour aller à terre à Land’s End, il fallait le sentir le truc” -, tandis que tous s’accordent pour souligner que Charlie Dalin – et plus encore Thierry Chabagny et Erwan Tabarly -, reviennent de très loin. “Les « tontons » s’en sortent bien, note Jeanne Grégoire à propos des deux derniers, mais c’est aussi l’expérience qui joue : même décrochés, ils n’ont jamais lâché, parce qu’ils savent que sur une Solitaire, tout peut arriver”. Francis Le Goff confirme : “La capacité de certains à ne jamais baisser les bras et à revenir est impressionnante, c’est là qu’on voit les grands”.
La révélation de cette étape ? Plusieurs citent Alan Roberts, cinquième à Saint-Quay. “Ça faisait un bout de temps qu’il s’entraînait beaucoup et que les résultats allaient plutôt en décroissant, mais sur les pontons avant l’étape, je l’ai senti serein, il avait décidé de ses choix stratégiques, il s’y est tenu”, commente Jeanne Grégoire, tandis que Nicolas Lunven conclut : “La surprise pour moi, c’est qu’il n’ait pas mieux marché plus tôt, parce que j’ai eu l’occasion de naviguer avec lui il y a quelques années, je l’avais trouvé très percutant sur l’eau. Je pense que dans sa tête, cette étape va lui faire du bien”.