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Solitaire du Figaro : ce qu’il faut retenir à mi-parcours

En deux étapes, la 50e édition de la Solitaire Urgo le Figaro s’est considérablement décantée, avec la prise de pouvoir de Yoann Richomme, vainqueur à Kinsale et deuxième à Roscoff. Fort de 2h23 et 2h34 d’avance sur ses poursuivants immédiats, Pierre Leboucher et Armel Le Cléac’h, le skipper de Hellowork-Groupe Télégramme a-t-il pour autant partie gagnée ? Tip & Shaft a réuni un panel de spécialistes pour faire un premier point à mi-parcours. Dominic Vittet, vainqueur de l’épreuve en 1993, Christian Le Pape, patron du Pôle Finistère Course au large, Charlie Dalin, sur le podium des cinq dernières éditions, Thomas Rouxel, l’Irlandais Marcus Hutchinson et le journaliste Dominic Bourgeois ont ainsi répondu à nos interrogations.

RICHOMME, UNE DEMI-SURPRISE SEULEMENT
En remportant la première étape à Kinsale et en coupant en deuxième position la ligne de la deuxième à Roscoff derrière Adrien Hardy, Yoann Richomme a fait main basse sur la première partie de la Solitaire, seulement un mois et demi après avoir succédé à Charles Caudrelier – parti chez Gitana – à la barre du Figaro 3 géré par OC Sport. Faut-il pour autant considérer que c’est une surprise ? “Oui et non, répond Thomas Rouxel. Oui, parce que je me disais que je ne voyais pas un mec faire les quatre étapes dans les cinq, tellement le bateau est exigeant, donc faire déjà un et deux, ça me surprend beaucoup. Non, parce qu’on sait que Yoann, même s’il est arrivé tard sur le projet, a pas mal navigué en début de saison.” 

En l’occurrence avec Pierre Quiroga (Skipper Macif), avec qui il a couru la Sardinha CupIl n’est pas arrivé sans bagage chez OC, confirme Charlie Dalin, qui naviguait pour sa part aux côtés de Martin Le Pape. Lors des stages à Port-La-Forêt et des entraînements avec Macif, on a beaucoup travaillé sur les voiles et sur les réglages. Et on a bien vu l’année dernière avec son Class40 que Yoann arrive à trouver les manettes d’un nouveau bateau dans un laps de temps court”. La victoire de Richomme sur la Route du Rhum lui a en outre apporté une bonne dose de confiance en plus. “A 35 ans, il est à maturité techniquement, physiquement et intellectuellement”, juge Christian Le Pape, tandis que Jérémie Beyou constatait mercredi à l’arrivée à Roscoff : “Il a saisi un truc que nous n’avons pas trouvé en termes de vitesse, il est toujours rapide, régulier, il tire les bons bords, il a de la réussite, ça ressemble à un état de grâce”.

LE JEU RESTE OUVERT, MÊME AVEC PLUS DE 2 HEURES D’AVANCE
Fort de sa confortable avance sur ses poursuivants, a-t-il pour autant course gagnée ? “S’il continue à naviguer comme ça, il sera très dur à aller chercher”, estimait mercredi Armel Le Cléac”h que Yoann Richomme confiait avoir marqué sur la seconde partie d’étape. “Il a identifié ses principaux adversaires, il va commencer à contrôler, ce n’est plus à lui d’attaquer”, observe Dominic Vittet. “C’est un peu tôt pour du marquage, ça va être plus une stratégie de moindre prise de risques, tempère Thomas Rouxel, qui estime cependant que “la course n’est pas tuée : avec cette avance en Figaro 2, il ne pourrait pas lui arriver grand-chose ; en Figaro 3 avec les deux étapes qui restent, le jeu reste ouvert”. 

Le profil des deux étapes à venir incite en effet à la prudence, surtout s’il y a du petit temps : La troisième [Roscoff-Roscoff, NDLR] sera probablement celle de tous les dangers, pense Dominic Bourgeois. Tu te tapes tous les trucs compliqués : le Four, le Raz-de-Sein, le Fromveur, Wolf Rock, les côtes sud anglaises, les courants des anglo-normandes, en plus avec de le pleine lune et de la marée, puisque ça monte à 89 de coeff…” Autre argument avancé : les énormes écarts constatés sur les deux premières étapes, liés en bonne partie à un Figaro 3 qui, avec ses spis asymétriques et son gennaker, ouvre la voix à des trajectoires plus ouvertes aux allures portantes. “Les écarts en temps sont très importants et si on fait une erreur, on est capable de revenir, ça va être la marque de ce nouveau bateau pour deux ou trois ans et c’est beaucoup plus intéressant à suivre”, note ainsi Marcus Hutchinson.

Ce qui fait le jeu des attaquants, à l’instar d’Adrien Hardy, auteur d’une option payante au sud du DST des Casquets lors de la deuxième étape, d’autant plus que les audacieux sont moins faciles à suivre, comme le constate Dominic Bourgeois : Avant, l’AIS portait à quasiment 20 milles, les mecs étaient collés à l’écran pour surveiller leurs adversaires. Là, c’est devenu plus compliqué, parce que la portée est limitée à 3 milles. Yoann n’avait ainsi pas du tout percuté qu’Adrien et Gildas Mahé étaient passés par le sud du DST”.

LES BASES DU FIGARISME ONT CHANGÉ
Certains figaristes pur jus en perdent leur latin : “En Figaro 2, la stratégie du gagne-petit sur la route était tout le temps payante, alors que là, quand tu tires sur la barre et que tu mets le gennak, tu peux accélérer de 3-4 nœuds, ça change complètement la donne. On a du mal à trouver nos fondamentaux, tout le monde tâtonne un peu”, reconnaît Christian Le Pape qui ajoute : “Le bord rapprochant sur l’ortho n’est peut-être pas la martingale du Figaro 3“. Pour Dominic Vittet, “ceux qui ne font que se suivre font des places très moyennes. C’est une dimension qui va tous les faire réfléchir”. Et les font visiblement déjà réfléchir : Marcus Hutchinson évoque ainsi une discussion avec un coureur lui avouant être “trop en mode Figaro 2 et pas assez joueur”Tandis que Yann Eliès confiait à Roscoff : “J’ai suivi les routages à la lettre, un peu comme un bon soldat, mais un soldat qui ne réfléchit pas. Il fallait plus être dans le feeling”.

Un Yann Eliès qui fait partie des grands perdants de la première moitié de la Solitaire, parti du mauvais côté du DST d’Ouessant sur la première étape, avec Anthony Marchand, Alexis Loison, Xavier Macaire, Jérémie Beyou, Gildas Mahé et d’autres. “Sur la première étape, Yann a été assez dominateur jusqu’à Ouessant, pour finalement prendre quasiment 4 heures, ça l’a plombé car il a compris qu’il ne gagnerait pas la Solitaire, constate Dominic Bourgeois. “La première étape a été une punition pour beaucoup, elle leur a fait très mal”, confirme Thomas Rouxel.

LE CLÉAC’H ET LEBOUCHER, IMPRESSIONNANTS EUX AUSSI
Relégués à plus de 5 heures de Yoann Richomme, ils ne pourront, sauf retournement de situation ou casse, empêcher ce dernier de jouer la gagne, ses principaux rivaux étant logiquement, aux yeux de nos interlocuteurs, ses poursuivants immédiats, en particulier Armel Le Cléac’h, dont Dominic Vittet dit, usant de la métaphore tennistique, : Armel, c’est Federer, c’est la classe ! Il est capable de partir dans une option d’une façon totalement déterminée et indépendante, et avec beaucoup de talent. Il met les balles près des lignes, souvent à l’intérieur du terrain, et sur la troisième étape, il va être dans son jardin.”

Quid de Pierre Leboucher ? “Il a quand même une grosse expérience de la tactique en 470 et s’est bien adapté au nouveau support”, pense Dominic Bourgeois. Christian Le Pape estime quant à lui que le Nantais, en plus d’être une force de la nature, possède “une belle maîtrise de la conduite au portant, une finesse de barre et des sensations qui font merveille dès que le bateau accélère”. De quoi déposséder Yoann Richomme d’une victoire qui lui tend les bras ? Réponse dans deux semaines…


LA SENSATION LAPERCHE. 2e de la première étape, 18e de la seconde et 5e au général, Tom Laperche a marqué les esprits de nos spécialistes : “Il est tout le temps posé et zen, ce sont des qualités hyper importantes pour de la navigation en solitaire sur ce bateau où, d’un classement à l’autre, tu peux prendre ou perdre beaucoup”, juge Thomas Rouxel, Charlie Dalin ajoutant : “Il n’a que 21 ans, c’est assez exceptionnel d’arriver à naviguer à ce niveau-là à cet âge, c’est pour l’instant la révélation de cette Solitaire.” Une révélation dont Christian Le Pape dit : “Il a toutes les qualités des gens à fort potentiel : une motivation profonde, une fraîcheur physique et une résistance au stress exceptionnelle : à Nantes, il s’est aperçu que son rail de grand-voile était arraché deux jours avant le départ, il n’a absolument pas pris feu. Il est très stable, cette énergie maîtrisée est l’apanage des très bons.”

Photo : Alexis Courcoux / Solitaire Urgo Le Figaro

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