47 marins ont pris dimanche le départ de la première étape de la cinquantième Solitaire Urgo Le Figaro à destination de Kinsale. Comme avant chaque grande course, Tip & Shaft a consulté un panel de spécialistes pour tenter d’établir un pronostic sur une épreuve qui s’annonce très ouverte, arrivée du nouveau Figaro Bénéteau 3 oblige. Ont ainsi accepté de jouer le jeu les deux derniers vainqueurs de la Solitaire, Sébastien Simon et Nicolas Lunven, mais aussi Charlie Dalin, Sam Davies, Paul Meilhat, Pascal Bidégorry, Tanguy Leglatin, entraîneur du pôle course au large de Lorient, Denis Hugues, directeur de course de la Solo Maître CoQ, Charles Darbyshire, qui dirige l‘Offshore Academy en Angleterre, les journalistes Serge Messager (Le Figaro) et Frédéric Pelatan (Le Journal du Nautisme).
Ils seront 47 à s’élancer dimanche pour la première des quatre étapes de la Solitaire Urgo Le Figaro. L’arrivée du nouveau Figaro 3, “ouvre le jeu” pour nos interlocuteurs, qui, tous, prennent beaucoup de pincettes au moment de livrer leurs pronostics. Trois noms sortent cependant nettement du lot : dans l’ordre Armel Le Cléac’h (cité neuf fois sur le podium, trois fois premier), Xavier Macaire(huit/trois) et Yann Eliès (sept/deux), soit les trois vainqueurs des courses d’avant-saison, la Solo Concarneau-Trophée Guy Cotten pour le premier, la Solo Maître CoQ pour le second, la Sardinha Cup (en double) pour le troisième.
“Je suis épaté du niveau d’Armel, dès le début, il a montré qu’il était présent, il m’impressionne beaucoup et ne craint personne”, note Sébastien Simon. “Il a ce petit truc cette année qu’on retrouve souvent chez les vainqueurs de la Solitaire : comme il n’a pas eu de victoire depuis le Vendée Globe, il est mort de faim“, ajoute Paul Meilhat. Charlie Dalin estime, lui, que le double vainqueur de la Solitaire (2003-2010) “coche pas mal de cases : il est bien physiquement, est habitué au gros bateau et au format de la Solitaire”.
Nombreux sont en effet ceux qui estiment que la dimension physique sera un critère essentiel de la performance sur un bateau jugé plus exigeant. “C’est un paramètre qui va peser plus lourd qu’en Figaro 2, d’autant que si on regarde le parcours, en dehors de la première étape, il y a beaucoup de bords courts, sur lesquels tu n’as pas vraiment le temps de te poser, avec beaucoup de changements de voiles et d’algues à retirer, sans compter le matossage qui, sur un pont plus bas, demande plus de physique”, confirme Charlie Dalin. Il est rejoint par Tangy Leglatin : “Il faudra bien choisir les moments où ça vaudra le coup de prendre des risques et de barrer parce qu’il y aura des écarts à faire, et en même temps, gérer ça sur quatre étapes. Cette gestion sera presque plus importante que la performance pure, le delta de performance lié à la fatigue peut beaucoup jouer .”
Pour Paul Meilhat, l’expérience d’autres supports, notamment des gros bateaux, aura, dans ces conditions, son importance, surtout dans la brise : “Psychologiquement, il faudra être capable de se mettre plus en danger que sur le Figaro 2. Avec ce bateau qui a une plus grosse capacité d’accélération, dans 20 nœuds de vent, tu te rends compte que tu vas beaucoup plus vite dès que tu envoies plus de toile, de l’ordre de 3 à 5 nœuds de différence entre celui qui va mettre son grand spi là où l’autre sera sous petit spi, par exemple. Je pense que dans du vent fort, peu seront capables de le faire et ceux qui ont l’expérience du gros bateau auront à mon avis un avantage sur les autres.” Ce que confirme Pascal Bidégorry : “Le fait de faire du gros bateau ne fait pas de mal : quand tu as géré des grosses voiles, de la puissance, il n’y a pas grand-chose qui t’émeut sur un plus petit bateau”.
Du gros bateau, Xavier Macaire en a fait un peu, en l’occurrence de l’Imoca, mais c’est sa capacité à performer d’entrée sur le Figaro 3 (troisième de la Sardinha Cup et vainqueur de la Solo Maître CoQ), qui a marqué nos observateurs. “Xavier est affûté, il a vite compris le bateau, je le trouve plus à l’aise rapidement sur le Figaro 3 que sur le 2″, analyse Denis Hugues. Frédéric Pelatan estime que le skipper de Groupe Snef “a le couteau entre les dents, il a cette Solitaire à gagner après être passé plusieurs fois pas loin”. Pour Paul Meilhat, tout dépendra cependant des conditions : “S’il y a de la brise, je vois bien un Xavier Macaire, dur au mal. Si c’est une Solitaire de petit temps, je vois plus Yann, parce qu’il a un feeling assez exceptionnel dans ces conditions, pas forcément très cartésien.”
Un feeling qui, aux yeux de Sam Davies, sera un ingrédient essentiel pour performer sur un bateau que tous découvrent encore : “Personne n’a pas encore la bible pour le faire marcher parfaitement et on sait que les réglages vont encore vachement évoluer pendant la Solitaire. Ceux qui vont réussir à progresser le plus entre la première et la dernière étape auront un avantage certain, je pense que les marins issus de la voile olympique ont ce feeling. Mais ce qui est sûr, c’est que Yann l’a aussi : j’ai navigué avec lui sur la Sardinha Cup, j’avais l’impression que dès que c’était la nuit, on était mieux, il n’a pas besoin de voir.”
Sébastien Simon met de son côté en avant l’aspect compétiteur du skipper de StMichel : “Yann a une gniaque incroyable, il a affiché ses ambitions de victoire, et souvent, quand il dit, il fait”. Et le vainqueur de la Solitaire 2018, qui avait marqué les esprits par son discours ouvertement ambitieux l’année dernière, de confier : “C’est Yann qui m’a inspiré cette façon de faire : c’est un peu le seul qui aime jouer ce jeu psychologique, je pense que c’est important.” Si Charles Darbyshire estime de son côté que “Yann excelle sur le format qu’est le Figaro, c’est sa discipline”, Pascal Bidégorry conclut, à propos du Briochin : “Dans les anciens, c’est celui qui me semble le plus fort, il est clairvoyant, construit bien ses manches, jamais extrême, toujours la tête en l’air, et il arrive toujours à se gaver dans les phases de transition foireuses.”
Derrière, ce podium, les outsiders sont nombreux, dix-sept autres skippers ont ainsi été cités, trois plus souvent que les autres : Adrien Hardy, qui, malgré peu de moyens, “a le profil d’attaquant qui convient à cette Solitaire” (Tanguy Leglatin, qui cite dans la même veine Eric Péron), Anthony Marchand, dont Serge Messager dit : “Il a eu son déclic en remportant deux victoires d’étape l’année dernière, il sait qu’il est à un tournant de sa carrière et qu’une victoire peut lui permettre de décrocher un gros projet.” Le troisième est Martin Le Pape qui, en remportant la grande course de la Solo Maître CoQ et en terminant deuxième de la Solo Concarneau, a marqué les esprits : “J’ai l’impression qu’il a eu un petit déclic”, confirme Sébastien Simon, tandis que Charlie Dalin estime que “son gros point fort, en plus de sa vitesse, c’est sa condition physique, c’est un des coureurs les plus physiques du plateau, ça va forcément aider à un moment.”
Egalement cités sur le podium, Morgan Lagravière qui “a le besoin impérieux de ré-exister au top niveau de la course au large et a été régulier depuis le début de saison avec ce qu’il faut d’expérience et de feeling pour performer“ (Frédéric Pelatan) ; Alexis Loison, que Sébastien Simon voit “beaucoup plus fort mentalement que les autres années, prêt à y arriver” ; Gildas Mahé, “quelqu’un de très intuitif qui marche beaucoup au feeling, il a le profil pour bien faire marcher le Figaro 3 dans toutes les conditions” (Nicolas Lunven), et Jérémie Beyou que Serge Messager trouve “affûté comme quand il avait 25 ans et n’a plus rien à prouver”.
Les autres skippers cités par nos experts, mais pas sur le podium, se nomment Tanguy Le Turquais – “il va crescendo, a trouvé une très bonne carbu au près, il est capable de gagner une étape“, juge Pascal Bidégorry -, Yoann Richomme – “Il n’a pas le fond de jeu parce qu’il a pris le projet tard, mais il a le niveau”, estime Paul Meilhat – et Pierre Quiroga, dont Serge Messager dit : “Il est pétri de talent et le fait d’être rentré à Port-La-Forêt lui a sans doute permis de travailler sur ses points faibles.”
Du côté des bizuths, nos experts citent les trois mêmes : Benjamin Schwartz, Achille Nebout et Tom Laperche, “qui peuvent aussi être des trouble-fête au classement général”, note d’ailleurs Nicolas Lunven. “Pour moi, Benjamin Schwartz est même une très grosse cote au général, ajoute Frédéric Pelatan. Il est passé sous les radars pendant des années, mais on voit qu’il a été très régulier depuis le début de la saison, ça veut dire qu’il a énormément bossé pour prendre le bateau en main”. Tanguy Leglatin, qui entraîne ce dernier à Lorient ajoute : “Benjamin est dur au mal, solide physiquement et mentalement, mais j’avoue qu’Achille m’a aussi vraiment impressionné dans sa manière de naviguer et de sortir la tête du bateau alors qu’il a eu son Figaro très tard”. A propos de Tom Laperche, Charlie Dalin dit : “Tom a un bon potentiel, il sait garder la tête froide, est assez physique.”
Quid des « golden fifties », comme on pourrait appeler les trois revenants que sont Michel Desjoyeaux, Alain Gautier et Loïck Peyron ? Aucun ne les voit sur le podium ni dans le Top 5, mais le dernier d’entre eux a tout de même marqué les esprits sur la Solo Maître CoQ (11e) : “Loïck n’est pas du tout à la rue. Il fait toujours un peu le fanfaron, du genre à ne pas s’occuper de son bateau, mais quand il est dessus, ça reste un excellent marin, je suis impressionné par sa longévité”, commente Denis Hugues, tandis que Nicolas Lunven reste attentif à ce que va faire Michel Desjoyeaux, 35e de la Solo Maître CoQ et largué sur la Solo Concarneau au point d’abandonner : “La dernière fois qu’il fait la Solitaire (2013), il n’était pas dans le coup sur les courses d’avant-saison, et il a été plus que dans le coup sur la Solitaire (7e). Je me méfie du vieux renard qui, sur une étape comme celle entre Nantes et Kinsale, peut sortir du bois, parce qu’il sait que ça ne se jouera pas sur la réalisation parfaite de l’empannage, mais plus sur du placement”.
Le Top 5 du panel de Tip & Shaft : 1. Armel Le Cléac’h (Banque Populaire), 2. Xavier Macaire (Groupe Snef), 3. Yann Eliès (StMichel), 4. Adrien Hardy (Sans nature, pas de futur !), 5. Anthony Marchand (Groupe Royer-Secours Populaire)
Photo : Alexis Courcoux/Solitaire Urgo Le Figaro