Vainqueur de la Solitaire du Figaro en 2021, Pierre Quiroga a vécu une fin d’année difficile, entre fatigue accumulée au terme d’une saison très chargée et projet de Class40 tombé à l’eau, au point de faire “une petite dépression.” Le Méditerranéen remonte peu à peu la pente, avec du coaching, des navigations en vue en Ocean Fifty et l’envie de monter un projet à l’horizon 2023, voire dès cette année.
► Dans le film Duel, qui raconte celui que tu as livré à Xavier Macaire sur la Solitaire 2021 – actuellement projeté sur la tournée du Sailorz Film Festival (organisé par Tip & Shaft) -, on te voit très ému à la fin, quel sens ont ces larmes ?
Quand je l’ai vu pour la première fois la semaine dernière à Lorient, j’ai encore versé ma petite larme, c’était fort ! Les deux dernières années, j’étais vraiment rentré dans une démarche de faire les choses à ma façon, presque en confrontation avec le cadre général de Port-la-Forêt, avec lequel ça ne se passait pas très bien, je suis un peu une tête brûlée, j’ai mes méthodes, mon caractère. Ça m’a permis de reprendre du plaisir, mais quand tu rentres dans cette démarche de vouloir gagner à ta façon, tu as forcément plus de pression, tu es davantage attendu au tournant ; et quand ça ne marchait pas, j’avais une charge mentale en plus. Donc le fait de gagner, c’était, non pas une revanche, mais l’occasion de montrer que ma façon de faire marchait aussi, ça a rendu les émotions encore plus fortes. D’autant que je ne fais pas que remporter la Solitaire, je gagne deux étapes et je m’impose juste devant Xavier qui est mon mentor, ça faisait beaucoup !
► Comment as-tu géré ton après-Solitaire ?
Un peu n’importe comment ! Je l’ai terminée complètement cuit, et malgré ça, je me suis remis à l’eau une semaine après en Class40 en vue de la Transat Jacques Vabre [qu’il a courue avec Emmanuel Le Roch sur Edenred, NDLR]. C’est une erreur de ma part de ne pas avoir pris en compte l’état dans lequel j’allais terminer l’année 2021, pendant laquelle j’ai enchaîné Solo Maître CoQ, Sardinha Cup, Transat en double, Tour de Bretagne, Solo Guy Cotten, Solitaire et Transat Jacques Vabre ! Si c’était à refaire, je ne referais pas les choses de la même façon, j’aurais plutôt dû essayer de surfer sur ma victoire pour préparer la suite. Mais quand on me propose la Jacques Vabre en mai, je n’ai pas gagné la Solitaire, je sais que j’ai besoin de découvrir le Class40 pour rebondir après, donc je me lance, mais a posteriori, je me rends compte que ça m’a coûté beaucoup.
► Cette Transat Jacques Vabre a-t-elle été difficile à vivre ?
Oui, ça a été compliqué. Sur les cinq-six premiers jours, je me suis vraiment donné à 100% en exploitant mes dernières réserves énergétiques. Après, quand j’ai vu qu’on n’avait pas trop les armes par rapport aux autres dans les conditions un peu molles, ça a commencé à devenir un long calvaire. Nous les figaristes, on n’a pas l’habitude de ça, comme on est vraiment à armes égales, on sait que s’il y a un problème, la solution est à trouver chez nous. Là, il y avait une dimension bateau qui rentrait en compte, c’était compliqué de se dire qu’on ne pouvait pas rivaliser comme j’aurais aimé à partir du Cap Vert.
“Il ne faut pas avoir peur des mots,
c’était une petite dépression”
► Pourquoi ne pouviez-vous pas rivaliser ?
On avait un bateau qu’on connaissait trop peu et un jeu de voiles très typé haut de range, 18-20 nœuds, on n’avait notamment qu’un seul grand spi, contrairement à 90% de la flotte – qu’on a en plus abîmé. La septième place n’était pas si mal compte tenu du peu d’expérience qu’on avait sur le bateau avec Manu, mais je suis arrivé déçu, je voulais mieux. Et par-dessus ça, on est arrivés dans un contexte morose, avec pas de fête à l’arrivée, on n’a pas pu savourer. Ça a joué un peu sur mon moral, je me suis un peu renfermé sur moi-même, je n’avais pas les copains autour de moi pour créer une énergie sympa, et quand je suis rentré, j’ai chopé le Covid, une fois, deux fois, le projet Class40 a capoté, et là, c’est devenu compliqué…
► Ça veut dire quoi compliqué ?
Tu n’as plus envie de rien faire, plus envie d’aller faire du sport, de démarcher des partenaires… J’ai eu un gros poids qui m’est tombé sur la tête, il ne faut pas avoir peur des mots, c’était une petite dépression.
► Peux-tu nous parler de ce projet Class40 qui est tombé à l’eau ?
C’était un projet avec quatre investisseurs pour un bateau neuf et une partie du budget de fonctionnement. Je savais que j’aurais le bateau tardivement, mais je trouvais compliqué de ne le recevoir qu’en septembre, comme ça allait être le cas pour un Pogo S4, par exemple. J’ai donc pris un petit risque sur la construction en allant voir un architecte qui n’avait jamais fait de Class40. Et en fait, ça a pris du retard, avec le Covid, l’inflation des matières premières… J’en ai alors informé en toute transparence les investisseurs qui ont décidé de s’en aller, j’ai pris un coup sur la tête, parce que je voulais continuer à foncer.
“Pour gagner une Solitaire,
il ne faut faire que ça”
► Yoann Richomme nous disait il y a quelques années que lorsqu’on sort d’une filière comme Skipper Macif, on est un peu démunis pour aller chercher des partenaires, parce qu’on ne s’est concentrés que sur le sportif, as-tu vécu la même chose ?
J’avais effectivement lu l’interview de Yoann, j’avais essayé d’anticiper ça, mais en fait, pour gagner une Solitaire, il ne faut faire que ça. Si tu commences à penser à autre chose, tu risques de te cramer, c’est compliqué de la gagner en préparant tes projets futurs. C’était donc en pleine conscience que je me suis lancé corps et âme dans cet objectif, mais je confirme bien que quand le contrat se finit, tu as certes gagné quelques sous pour être à l’aise financièrement quelques mois, mais tu te retrouves quand même à poil. Tu n’as pas été formé à appréhender des partenaires, à aller démarcher, tu as perdu une bonne partie de ton carnet d’adresses, tu es presque plus démuni de ce côté-là qu’au moment où tu intègres la filière. En revanche, tu as un bagage sportif qui est ta carte de visite, un bagage technique exceptionnel qui peut te permettre d’être un bon prestataire pour d’autres, mais pour monter ton propre projet, c’est compliqué.
► Comment as-tu remonté la pente ?
Je me suis recentré sur moi-même en finissant mon appartement dans le Sud de la France, j’en ai aussi acheté un sur Lorient, c’était assez important pour moi de pouvoir me fixer, parce qu’en six ans, j’ai habité à La Grande Motte, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Concarneau, Port-la-Forêt… je n’avais plus trop de chez moi. Et j’ai passé quelques coups de fil, notamment à Tanguy Leglatin, si bien qu’aujourd’hui, je fais un peu de coaching avec lui auprès de skippers, qui, comme je l’ai fait l’année dernière avec Christopher Pratt ou Paul Meilhat, viennent chercher du travail spécifique. On travaille avec les skippers Macif (Loïs Berrehar et Erwan Le Draoulec), avec Achille Nebout et Tom Dolan. Je partage avec eux ma façon de faire, de réfléchir sur l’eau, ça redonne du baume au cœur après cette chute de moral importante à la fin de l’année dernière et ça permet de renaviguer.
“J’ai absolument besoin et envie
de remonter un projet pour moi”
► As-tu d’autres navigations en vue ?
Oui, je vais faire la saison du Pro Sailing Tour en Ocean Fifty aux côtés du vainqueur sortant de la Transat Jacques Vabre, Sébastien Rogues. C’est un projet sportif gagnant, ce qui est important pour moi, sur des bateaux qui me plaisent beaucoup. Cette expérience va me permettre de combler du temps, qui est trop libre en ce moment, je pense que mon année va être dédiée à ça, à proposer mes services sur de nouveaux supports, entre l’Imoca, le Class40 et l’Ocean Fifty.
► Et quid de tes projets personnels ?
J’ai absolument besoin et envie de remonter un projet pour moi, je suis sûr à 99,99% que j’y arriverai pour 2023. Je reste complètement aux aguets, si un partenaire veut se lancer, je suis opérationnel pour me lancer dans un projet de Class40 ou d’Ocean Fifty.
► On ne te verra pas en fin d’année sur la Route du Rhum ?
Il y a encore une option sur un Class40 en cours de construction, il y a très peu de chances que ça se fasse, il me reste deux semaines et demie pour éventuellement y arriver, si ça ne se fait pas, je basculerai sur 2023.
Photo : Alexis Courcoux